Sur
le sable.
N'ayant
jamais goûté aux joies étranges de la station côté pile puis
côté face sur le sable brûlant, je n'expose guère mon corps aux
rayons ardents de l'astre solaire. Je n'offrirai jamais mon épiderme
au sournois mélanome pas plus que mon corps ne risque d'attirer des
regards concupiscents. Blanc, désespérément, je resterai !
Pour
un temps suffisamment long pour ne pas passer une fois encore pour un
ours , je
reste sur le sable avec mes amis. Je cherche alors matière à
occupation compatible avec cette immobilité sablière. J'observe
alors ceux qui se prétendent mes semblables …
Deux
écoles s'opposent, se heurtent et se contredisent parfois. Mais en
cette période de grande vacuité ,
la place est suffisante et les conflits inexistants. Les immobiles
font face aux agités dans une concorde qui n'est que de saison, la
trêve pascale
n'autorise guère les redoutables batailles côtières qui attendent
l'été pour exploser ici …
Les
allongés demeurent de très loin les plus nombreux. Ils
appartiennent à deux obédiences : les dorsaux qui exposent bedaines
ou abdominaux aux regards admiratifs, les ventraux qui montrent la
meilleure part d'eux-même. Dans une alternance presque parfaite, les
uns prennent la position des autres qui leur rendent la pareille.
Ils
sont tous à l'abri de la silice ! Draps immenses ou paréos
multicolores évitent ce grain de sable qui irrite l'épiderme. Les
uns sous un parasol de marque (publicité oblige), les autres
derrière un coupe vent (à moins que ce ne soit un voile pudique
pour une nudité à peine assumée). Les plus matérialistes
disposent d'installations complexes qui volent à la première
rafale.
Le
bronzage est la quête collective, partiel ou intégral, il demeure
le principal sujet d'occupation de nos allongés. Il faut préparer
le terrain avec force crème et quelques trempages épisodiques.
L'application exige une rotation de la pièce à cuire à petits
feux. Il faut veiller à exposer des zones inaccessibles en des
contorsions impossibles. Le silence tient lieu ici de méditation
pour les adorateurs du dieu Râ !
Quelques
lettrés viennent tuer le temps. Le gros pavé indigeste est
recommandé pour résister aux rafales et supporter les innombrables
pauses. Une couverture plastifiée couvre les risques d'une vague
taquine. Deux ou trois techniques s'opposent discrètement. Le
lecteur dorsal usent de son best-seller comme d'un pare-soleil. Le
ventral marque sa page de grains malicieux. Les plus équipés
viennent en ce lieu avec un fauteuil ras le sable et se consacre
vraiment à l'activité.
Quelques
occasionnels viennent avec un journal. Ils s'échinent désespérément
à l'ouvrir, le refermer, le garder en état contre vent et marée.
Ils ne savent pas que l'opération est rigoureusement impossible sur
la côte landaise. Ils ignorent fort heureusement le regard narquois
de ceux qui s'amusent à les voir ainsi jouer du cerf-volant sans
fil.
Les
assis sont plus rares. Chacun a regard à sa convenance. Les esthètes
admirent les corps galbés, dénudés, jeunes ou magnifiés par un
âge bonifiant. Les fripons repèrent le tatouage prometteur, signe
indubitable d'un libertinage potentiel. Les moqueurs recherchent les
outrages de la bombance ou de la décrépitude. Le corps est vitrine
et la plage est sa Samaritaine !
Puis
nos amis les agités vont souvent par paires par quand ils évoluent
sur le sable ! Ballon, raquette,
volant, boules, disques, ils sont étrangement englués dans une
répétition à l'identique d'un geste mécanique. Ils bougent pour
se donner l'illusion de l'activité. Leurs homologues de la vague
vivent en couple avec leur engin : le surf, le body-board ou la
planche. Ils sont habillés de noir, le fil à la patte, ils passent
le plus clair de leur temps à espérer la vague d'exception.
Enfin,
il y a un curieux personnage. Un bloc sur la cuisse, un stylo en
main, le nez en l'air, il épie, scrute, observe alentours. Il ne
cesse d'aller et venir entre page et plage. Il met son grain de sel
là où le sable est roi. Puis son forfait accompli, il se refait
marcheur le long de la bande côtière pour s'en retourner offrir à
la toile ces instants de vague à l'âme.
Sablièrement
vôtre.
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