Un
billet à dormir debout
On
me prie de bien vouloir évoquer un sujet capital qu’il me convient
ici de coucher sur le papier. Ce n'est pas sans émotion que je
retire mon bonnet d’âne pour enfiler son homologue de nuit afin de
venir vous bercer de quelques propos lénifiants. Tout fils de
matelassier que je fus, j’ignorais tout alors de ce que faisaient
les clients de mon père sur les matelas que nous leur livrions.
Depuis, le poids des ans et de l’expérience me permet d’avoir un
regard plus distancié sur la chose ce qui m’autorise ici à tenter
d’éclairer votre lanterne.
Qu’il
soit dans de beaux draps ou pas, le quidam ordinaire a sans doute
trois manières de faire son lit et de s’y coucher. Tout le reste
ne serait que littérature érotique, ce que je laisse volontiers à
ma collègue d’écriture, plus prompte que moi à narrer ce qui se
passe sous ou bien à côté de la couette. Mon grand âge sans doute
me pousse à ne me préoccuper que de l'enveloppe charnelle du
dormeur.
Pour
se mettre au lit celui qui cherche le sommeil peut se vêtir d’un
pyjama. Voilà bien là la forme la plus guindée qui soit, l’objet
se déclinant en deux parties, une veste boutonnée rappelant sans
doute la tenue de travail portée dans la journée accompagnée d’un
pantalon le plus souvent assorti et parfois muni d’une braguette
pour pousser la ressemblance avec l’état de veille plus loin
encore.
Le
pyjama diffère cependant de son grand frère le costume de jour dans
sa volonté d’être toujours de mauvais goût et de rester dans le
quant-à-soie. Qu’il soit à rayures ou bien à petits pois, il
mélange les couleurs et les matières avec un sens inégalable du
ridicule. Sortir dans la rue pareillement grimé vous met
immédiatement sous le feu des regards amusés de vos voisins. Même
lors d’un petit déjeuner entre amis, vous pouvez vous sentir
ridicule.
La
chemise de nuit conserve bien des adeptes à commencer par votre
serviteur qui se met à nu pour satisfaire votre curiosité. Elle a
le mérite de vous laisser libre la région pubienne qui peut parfois
être sollicitée si par chance vous ne dormez pas seul. La chemise
de nuit n’a pas de col, elle est d’une conception sommaire mais
hélas, il est de plus en plus délicat d’en trouver sans les
inévitables dessins grotesques que ne peuvent s’empêcher de
déposer sur l’étoffe des fabricants sans nuance.
La
chemise de nuit vous contraint par décence de revêtir un caleçon
au lever du corps si vous ne voulez pas arriver par trop triomphant
au petit déjeuner. C’est là, la seule limite qu’elle impose,
nous ne pouvons lui en tenir rigueur et je lui garde éternellement
ma préférence.
Les
moins frileux, les plus amoureux, les mieux faits de leur personne
ont renoncé à ces oripeaux nocturnes. Ils ont la nudité
majestueuse, se privent de toute lingerie pour dormir du sommeil du
juste et du stakhanoviste des turpitudes. Ils confondent ainsi le
puits et le lit, sans doute parce qu’ils partagent leur couche avec
une fontaine. Ils ne dorment à poings fermés qu’après avoir
célébré le bonheur d’être deux dans un lit au milieu duquel la
rivière est Durance.
Si
vous échappez à ces trois catégories c’est que vous dormez
habillé. Il convient de s’en désoler. Non seulement ce n’est
pas très bon pour votre hygiène corporelle mais de plus cela
atteste sans aucun doute d’une situation précaire. Les gens de la
rue n’ont pas cette chance de pouvoir se vêtir d’une tenue de
nuit, c’est là le privilège de ceux qui possèdent un domicile. À
ce titre, il convient d’en apprécier la chance, la vie est
rapidement à même de vous dépouiller totalement et de vous
contraindre paradoxalement à dormir tout habillé. C’est un des
nombreux paradoxes de l’existence.
Voilà,
j’ai rempli ma mission. J’ai couché quelques lignes sur le
papier pour évoquer ce sujet incontournable. J’espère que celui
qui m’a mis au défi en sera satisfait. Je n’ai plus qu’à
aller me coucher sur mes deux oreilles, le cœur léger et la
conscience tranquille. Bonne nuit à tous !
Littéralement
vôtre.
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