mercredi 24 juillet 2019

À ne pas coucher sur le papier !



Un billet à dormir debout



On me prie de bien vouloir évoquer un sujet capital qu’il me convient ici de coucher sur le papier. Ce n'est pas sans émotion que je retire mon bonnet d’âne pour enfiler son homologue de nuit afin de venir vous bercer de quelques propos lénifiants. Tout fils de matelassier que je fus, j’ignorais tout alors de ce que faisaient les clients de mon père sur les matelas que nous leur livrions. Depuis, le poids des ans et de l’expérience me permet d’avoir un regard plus distancié sur la chose ce qui m’autorise ici à tenter d’éclairer votre lanterne.

Qu’il soit dans de beaux draps ou pas, le quidam ordinaire a sans doute trois manières de faire son lit et de s’y coucher. Tout le reste ne serait que littérature érotique, ce que je laisse volontiers à ma collègue d’écriture, plus prompte que moi à narrer ce qui se passe sous ou bien à côté de la couette. Mon grand âge sans doute me pousse à ne me préoccuper que de l'enveloppe charnelle du dormeur.

Pour se mettre au lit celui qui cherche le sommeil peut se vêtir d’un pyjama. Voilà bien là la forme la plus guindée qui soit, l’objet se déclinant en deux parties, une veste boutonnée rappelant sans doute la tenue de travail portée dans la journée accompagnée d’un pantalon le plus souvent assorti et parfois muni d’une braguette pour pousser la ressemblance avec l’état de veille plus loin encore.

Le pyjama diffère cependant de son grand frère le costume de jour dans sa volonté d’être toujours de mauvais goût et de rester dans le quant-à-soie. Qu’il soit à rayures ou bien à petits pois, il mélange les couleurs et les matières avec un sens inégalable du ridicule. Sortir dans la rue pareillement grimé vous met immédiatement sous le feu des regards amusés de vos voisins. Même lors d’un petit déjeuner entre amis, vous pouvez vous sentir ridicule.

La chemise de nuit conserve bien des adeptes à commencer par votre serviteur qui se met à nu pour satisfaire votre curiosité. Elle a le mérite de vous laisser libre la région pubienne qui peut parfois être sollicitée si par chance vous ne dormez pas seul. La chemise de nuit n’a pas de col, elle est d’une conception sommaire mais hélas, il est de plus en plus délicat d’en trouver sans les inévitables dessins grotesques que ne peuvent s’empêcher de déposer sur l’étoffe des fabricants sans nuance.

La chemise de nuit vous contraint par décence de revêtir un caleçon au lever du corps si vous ne voulez pas arriver par trop triomphant au petit déjeuner. C’est là, la seule limite qu’elle impose, nous ne pouvons lui en tenir rigueur et je lui garde éternellement ma préférence.

Les moins frileux, les plus amoureux, les mieux faits de leur personne ont renoncé à ces oripeaux nocturnes. Ils ont la nudité majestueuse, se privent de toute lingerie pour dormir du sommeil du juste et du stakhanoviste des turpitudes. Ils confondent ainsi le puits et le lit, sans doute parce qu’ils partagent leur couche avec une fontaine. Ils ne dorment à poings fermés qu’après avoir célébré le bonheur d’être deux dans un lit au milieu duquel la rivière est Durance. 
 
Si vous échappez à ces trois catégories c’est que vous dormez habillé. Il convient de s’en désoler. Non seulement ce n’est pas très bon pour votre hygiène corporelle mais de plus cela atteste sans aucun doute d’une situation précaire. Les gens de la rue n’ont pas cette chance de pouvoir se vêtir d’une tenue de nuit, c’est là le privilège de ceux qui possèdent un domicile. À ce titre, il convient d’en apprécier la chance, la vie est rapidement à même de vous dépouiller totalement et de vous contraindre paradoxalement à dormir tout habillé. C’est un des nombreux paradoxes de l’existence.

Voilà, j’ai rempli ma mission. J’ai couché quelques lignes sur le papier pour évoquer ce sujet incontournable. J’espère que celui qui m’a mis au défi en sera satisfait. Je n’ai plus qu’à aller me coucher sur mes deux oreilles, le cœur léger et la conscience tranquille. Bonne nuit à tous !

Littéralement vôtre.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...