Ou
la colère des lieux !
Il
était une fois, il y a bien longtemps de cela, au temps de ceux
qu'on prétend nos ancêtres : les gaulois, une ville, alors en bord
de Loire. C'était un important centre celtique où se réunissaient
druides et artisans. Férolles était alors le pôle métallurgique
de notre région, d'où ce patronyme. On y extrayait le fer qu'on
transformait sur place avant que de le confier au fleuve pour aller
vivre le reste de son âge de bronze …
Tout
se passait fort bien entre les habitants et le fleuve jusqu'à ce
qu'un vilain grain de sable, une paillette de fer ou un contre-temps
fâcheux ne vienne briser le charme et interrompre le cours de
l'histoire. Il ne faisait alors pas bon provoquer la colère des
Dieux ou bien celle des forces indomptables de notre fleuve sauvage.
Mais
revenons à nos forgerons. Ils avaient bien de l'adresse dans les
mains et un sens aiguisé de la technicité. Pour aller sur des
chemins qui n'avaient pas attendu les romains pour être tracés, ils
ferraient leurs chevaux, c'est même en cette science qu'ils étaient
devenus les maîtres. Tant et si bien que des Carnutes, de Biturgie,
d'Arvenes, de Namnètes et de Segusaves, les chevaux de tous les
peuples d'alors venaient en notre pays trouver fers à leurs sabots.
La
gloire ne dure hélas qu'un temps, il y a toujours un dérèglement
étrange pour venir interrompre les cycles heureux. Le succès peut
nourrir les germes de la décadence, un détail suffit parfois à
rompre le charme d'une période faste. Mais, n'allons pas si vite en
besogne. Il faut d'abord dresser le décor et présenter les
protagonistes de la fable.
Ogmios
était en ces temps druidiques un fieffé bavard et un guerrier d'une
force colossale. Ce vieillard, malgré le poids des années, n'avait
rien perdu de sa force musculaire. Il était redouté de tous tant
par sa capacité à mener des joutes verbales que par sa rudesse dans
le combat. Son crâne était dégarni, les rares cheveux qui lui
restaient étaient tout à fait blancs. Sa peau était rugueuse,
brûlée jusqu'à être tannée comme celles des vieux marins à
force de manier la massue et la forge. Notre charron était respecté
dans tous le pays et sa réputation n'était plus à faire.
Condatis
quant à lui n'avait rien de particulièrement impressionnant.
C'était un marin hors pair, c'est à lui que revenait la lourde
responsabilité de guider les embarcations quand les eaux étaient
basses. Il savait tout de la Loire et de ses affluents. Mais jamais
notre homme n'était si heureux que lorsque qu'une rivière s'offrait
en mariage à son fleuve. Il ne se lassait pas de ce spectacle
merveilleux des eaux qui se mêlent.
Atepomarus
n'était pas un homme facile à trouver. Toujours en selle, il aimait
sillonner le grand chemin qui menait de Cenabum à Gortona
(Sancerre). C'est lui qui faisait venir de toutes les nations des
chevaux pour les confier aux charrons, ses amis. À son initiative,
la ville de Férolles était devenue une immense écurie au grand
dame des femmes du village tant les manières de ces charretiers
étaient déjà déplorables !
Les
bêtes étaient gardées à l'écart du village sur la rive Sud au
lieu dit le gué-gaillard. Il y en avait tant que bien vite, se posa
un problème de salubrité. Les déjections animales ne cessaient de
s'amonceler, sans que personne ne songe à nettoyer l'écurie. Il
n'était désormais plus possible de les évacuer avec les moyens du
bord. Nos Celtes s'étaient montrés négligents et désormais, il
fallait trouver une solution pour nettoyer ces lieux immondes.
Les
trois sages de la tribu tinrent conciliabule pour examiner ce
problème insoluble. Chacun avait une idée en tête pour, en un tour
de main, effacer des années de négligences. Des femmes qui
assistaient à leur débat le firent remarquer qu'il eut été plus
simple de ne pas se laisser surprendre par tant de de fainéantise.
Les commères furent promptement sommées de se taire, chez les
gaulois aussi, il ne fait pas bon d'avoir raison quand on n'est pas
un garçon !
C'est
Atepomarus qui prit la parole en premier. L'homme était rusé, il
avait aussi souvent le pied en l'air que la langue bien pendue. Pour
lui, pas de souci, il n'y avait qu'à quitter les lieux et aller
ailleurs pour oublier ce qui ne fut pas fait tant qu'il était encore
temps. Les femmes riaient cette manière cavalière. Elles se
disaient qu'avec de telles idées, les jours seraient sombres quand
les romains se hasarderaient dans le coin. Sa proposition ne fut pas
même retenue, il fallait laisser le fer au feu …
Condatis
se montra plus malin. Il connaissait le pays et ses secrets. Le
soul-sol d'ici est capable de bien des sortilèges. Il fit grande
excavation dans la terre pour que jaillisse une rivière : « La
Marmagne » résurgence de la Loire, sortie ici à sa demande.
Mais, son débit n'était pas assez puissant pour repousser cette
montagne de fumier. Un ruisseau était né sans que le problème ne
fut résolu. Les femmes ne se moquèrent pas, elles se dépêchèrent
de réclamer un lavoir qui leur paraissait plus commode.
Ogmios
pour une fois prit la parole en dernier. Ce grand bavard était aussi
un homme très avisé. Il prit ce qu'il y avait à prendre et jeta ce
qui ne valait rien. Ce que Condatis n'était pas parvenu à faire
faute d'ambition, lui, se faisait fort de le réussir avec plus
grande action. Ce qu'un ruisseau ne pouvait faire, le fleuve tout
entier allait le réussir. Les femmes riaient sous cape mais se
gardèrent bien de dire le fond de leur pensée.
Ogmios
s'en alla remonter la Loire et choisit un goulet qui lui fit bonne
impression. Il banda ses muscles surpuissants et jeta dans le lit de
notre fille Liger d'énormes pierres en nombre si important qu'elles
bouchèrent son cours. En peu de temps, la pression des eaux fut si
forte qu'un torrent furieux se fit et trouva un nouveau chemin pour
poursuivre sa route.
Les
hommes de ces temps-là étaient capables de prouesses et les Dieux
bienveillants leur accordaient bien des faveurs. Les eaux furieuses
passèrent miraculeusement au milieu de l'écurie et chassèrent d'un
seul coup des années d'incuries. Les écuries d'Augias étaient
nettoyées et le véritable exploit, on le doit à un gars de chez
nous qui s'appelait Ogmios. Les romains, qui comme l'avaient prédit
les braves lavandières, ne tardèrent pas à mettre au pas cette
joyeuse bande d'incapables. Ils s'emparèrent du pays mais aussi de
la légende car le prénom du vieil homme n'était autre qu'Hercule.
Mais
l'aventure ne se résume pas à ce plagiat romain. La Loire prit ses
aises et trouva un nouveau lit qui lui convint bien mieux. Puisque
les gens de Férolles avaient joué avec le feu, la Loire irait faire
l'andouille du côté de Gergolium qui devint bien plus tard Jargeau.
On ne détourne pas l'histoire ni le cours d'une rivière et malheur
à ceux qui s'y frottent. Retenez la leçon et surtout écoutez les
femmes, elles se doutaient bien que l'aventure tournerait en eau de
boudin ...
Mythologiquement
vôtre
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