En
eau douce...
Il
était une fois deux amoureux qui eurent le désir de passer une nuit
de tendresse au milieu de l’eau. La Loire permet ce genre de
fantaisie par le truchement de quelques mariniers coquins et avisés,
offrant de fort belles toues cabanées afin que puisse se réaliser
ce phantasme accessible désormais, dans le plus grand confort. C’est
donc juste en face du magnifique village de Candes-Saint-Martin que
se déroula cette histoire sur le bateau de l’ami Denis R, un
vigneron d’exception et un hôtelier fluvial.
Tout
commença pour notre Juliette et son Roméo par un somptueux dîner
aux chandelles. Le maître des lieux étant en relation avec un chef
étoilé qui avait conçu pour lui et ses hôtes un repas à la
cassolette de grande classe, permettant au timonier de réchauffer et
de servir avec les moyens du bord. Quant aux vins, ils venaient
naturellement de la propriété du capitaine ce qui ne peut nuire à
la qualité de la prestation.
Une
fois les agapes achevées, Denis, en homme de Loire discret, s’en
retourna à terre, laissant nos deux tourtereaux à leurs amours.
Seuls entre Loire et Vienne, les deux amants purent ainsi se livrer à
un petit pas de valse qui se danse de mille et une manières quand le
désir se conjugue avec la passion. Nous ne saurions leur jeter la
pierre et tout au contraire envions la fougue de cette jeunesse
exaltée par l’empire des sens.
Roméo,
après avoir une première fois fait chavirer le cœur et les
sentiments de sa belle qui lui avait rendu la même gratifiante
récompense, voulut deviser avec la dame toute pâmée sur le pont.
C’était une nuit de pleine Lune, une clarté angélique baignait
la confluence des deux rivières. Au loin, le château de Montsoreau
donnait à la scène des allures de conte de fées. Il ne manquait
plus qu’un petit air de violon pour souligner les propos du jeune
homme.
Il
avait l’humeur poétique, il était exalté par les ébats qu’ils
venaient de partager en une fusion sans pareille. Il lui déclara son
amour tout en lui expliquant que la nature entière se mettait au
diapason, que rien en cet instant ne pouvait être plus beau pour
célébrer leur union. Il est vrai qu’un silence trompeur
accompagnait son discours et que la tiédeur de cet été naissant
était de nature à croire en l’harmonie universelle. Pourtant, à
deux pas de là se poursuivait l’impitoyable tragédie du jeu de la
survie.
Tout
commença quand une mouette plongea brusquement dans les flots,
attrapant au passage une ablette qui allait vivre son seul et unique
baptême de l’air. Le petit poisson tenta bien de frétiller tandis
que l’oiseau remontait dans le ciel étoilé. De son œil rond et
étonné, le poisson vit la Lune avant de succomber d’un coup de
bec fatal.
Au
fond de l’eau, d’autres drames se déroulaient sans que nos deux
étourdis d’amour n’en sachent rien. Un silure, toujours à
l'affût, ouvrit grand son effroyable gueule. Une tanche en goguette
se vit littéralement aspirée par le
monstre. Elle fut déchirée avant de disparaître, avalée par
l’animal vorace.
Non
loin de là, une grenouille sur la rive détendit sa langue pour
prendre à son piège une gracile libellule. La pauvrette n’eut pas
le temps de comprendre, qu’elle se trouvait engluée et tétanisée.
Elle disparut sans même un ultime adieu pour celles de son espèce.
Le batracien ne profita guère de son forfait, un héron en chasse
l’attrapa dans son long bec. Elle connut, elle aussi, les affres
qu’elle avait fait subir à l’insecte, victime d’un terrible
harpon.
Une
carpe passa dans le secteur. Elle vit une écrevisse qui venait de se
délecter d’un ver. Son repas n’eut pas le temps de lui faire
profit, le gros poisson lui régla à son tour un vilain sort. Tandis
qu’à deux brassées de là, une vipère se fit un festin d’un
bébé sterne tout juste sorti de son œuf. Une fois encore, la
chaîne alimentaire joua de sa terrible loterie et le reptile qui
était remonté sur la berge fut avalé par un blaireau.
Nos
deux amants s’embrassaient, persuadés que le monde était à leur
diapason. C’est confiant en l’avenir qu’ils retournèrent
célébrer à nouveau leur passion dans une belle sarabande des
corps. Cette fois, la nature joua son rôle et un petit spermatozoïde
plus aventureux que les autres se glissa subrepticement dans un ovule
qui ne demandait qu’à être fécondé. À voir la toue chavirer de
bonheur et à entendre dans le silence de cette belle nuit ligérienne
le sublime chant d'extase de la future mère, il est permis de penser
que le jeu de la vie et de la mort est le plus beau qui soit.
Un
être allait naître de cette nuit enchanteresse. Des centaines
d’autres avaient connu sort moins enviable. C’est ainsi que se
joue la tragédie de la vie. Il nous appartient de souhaiter longue
et belle vie à ce petit enfant à naître qui, à son tour,
participera prochainement à ce mystérieux cycle des espèces. Le
jour allait se lever entre Vienne et Loire, les deux amants, étourdis
de leurs folies s’endormaient enfin. Puissent-ils jouir longtemps
encore de ce merveilleux bonheur !
Cyclement
leur.
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