Pan
sur le bec …
Il
était une fois une belle cité ligérienne, prise d’un étrange
malaise. Imperceptiblement, dans les grandes maisons bourgeoises, les
maîtresses des lieux, se sentant délaissées par leurs époux,
toujours plus affairés, toujours plus accaparés par la volonté
impérieuse de s’enrichir sans trêve ni repos, sans se passer le
mot, trouvèrent toutes le même dérivatif, la même manière de
combler leur solitude.
C’est
sans doute en se souvenant de leur tendre enfance que ces dames, dans
le secret de la salle de bain, se munirent toutes de ce qui pouvait
aisément passer pour un hochet, un simple jouet innocent. Elles
avaient l’âge d’avoir connu les aventures de Saturnin dans ce
petit écran alors en noir et blanc. Elles pensaient que leurs époux
ne verraient pas malice à la présence de ce charmant anatidé en
plastique dans l’espace dédié aux ablutions et autres délectables
bains.
Elles
furent exhaussées. Durant une longue période, les compagnons de ces
dames, trop préoccupés par le cours de la bourse, la croissance de
leurs filiales, la pérennité de leur patrimoine ne se soucièrent
absolument pas de ce qui se tramait ainsi quand le verrou scellait la
porte de ce merveilleux espace ouaté. Puis, au hasard de
conversations autour d’un alcool fort dans un de ces clubs
distingués pour ceux de la haute société, la coïncidence ne
permettait plus d’expliquer une telle généralisation de ce petit
gadget.
Les
notables, ceux qui tenaient les affaires de la cité, pressentirent
qu’il y avait là matière à scandale si l’affaire venait à
fuiter. Mais avant tout, il leur fallait tirer les choses au clair,
en savoir plus sur l’utilisation que leurs femmes avaient de ce
petit canard. Ces gens-là, monsieur, on ne parle pas franchement, on
ne met jamais cartes sur table à moins qu’elles ne soient
bancaires. C’est donc un cabinet de détectives privés qui fut
sollicité pour éclaircir le mystère.
L’office
agit promptement d’autant plus du reste qu’elle avait dans son
personnel un jeune éphèbe qui, bien au fait de l’évolution des
mœurs, avait sa petite idée sur les évolutions intimes du canard
en plastique. Il mena une enquête de terrain, ne recula devant aucun
sacrifice pour pénétrer les demeures et plus si affinités. Il
rendit un rapport détaillé, oubliant simplement de préciser qu’en
bien des maisons il avait suppléé agréablement, semble-t-il,
l’objet du délit.
Devant
l’évidence, les hommes outrés et horrifiés de ce qu’ils
venaient d’apprendre, décidèrent de parer rapidement à ce
scandale qui pouvait ternir les prochaines échéances locales. Il
convenait de trouver un dérivatif pour mettre le canard sur le
devant de la scène médiatique en évacuant totalement les
vibrations intimes qu’ils avaient pu occasionner.
Comme
tous ces messieurs étaient membres de sociétés caritatives, de
celles qui permettent de se donner bonne conscience tout en
bénéficiant de quelques exonérations fiscales, ils eurent une
incroyable idée qui fera date dans tout le pays et même hors de ses
frontières. Le canard devait retourner à son élément naturel, la
rivière. De ce postulat de base, les propositions fusèrent pour lui
trouver une utilité susceptible de faire des sous, une préoccupation
incontournable dans ce milieu.
Immédiatement
il fut évoqué la possibilité d’organiser une immense danse des
canards au moment des fêtes johanniques. Hélas, le succès du « Set
Électro » interdisait de proposer une alternative plus
conforme à l’esprit de la Sainte. L’usage précédent du canard
rendant même totalement impossible sa conversation durant les
cérémonies dédiées à la Pucelle. Il fallait trouver occasion
plus opportune.
De
la baignoire à la bassine, il était facile d’établir un pont.
Fort de cette réflexion, une voie royale s’ouvrit à nos
décideurs. La Loire leur tendait les bras, le pont Georges V, jadis
inauguré par la Pompadour allait pouvoir se refaire une virginité
dans l’affaire. Ne manquait plus qu’à trouver une carotte pour
suppléer à la fonction scabreuse de ces maudits canards. La
suggestion d’ailleurs ne fit pas rire ces maris dont les carences
en la matière avaient été largement démontrées.
C’est
pourtant par le truchement d’une belle récompense que la fameuse
course des canards fera vibrer les foules et un peu moins les dames
des organisateurs. Le concept naquit dans la fièvre d’une séance
de tempête dans des crânes peu habitués, il est vrai aux
cogitations intellectuelles. C’est ainsi qu’elle s’imposa alors
que le whisky avait troublé bien des esprits.
Il
fut décidé de vendre les canards délictueux ou plus exactement de
les proposer à l’adoption. Ainsi, ils quittaient la tête haute
les baignoires de ces dames. Les petits Saturnins artificiels, privés
de cette pile qui pouvait nuire aux eaux de la rivière, seraient
tous jetés à la Loire lors du Grand Festival de Loire à deux pas
des Tourelles, afin de bénéficier de l’onction de Jeanne. Le
premier canard qui franchira la ligne d’arrivée permettra à son
parrain ou sa marraine de partir avec une belle voiture neuve.
Ne
manquait plus qu’à valider la farce en lui donnant un nom en
Anglais. Dans cette ville, tout ce qui se fait de grand et de nouveau
doit se référer à la langue de Shakespeare. C’est sans doute un
complexe local, dans une cité qui ne s’est jamais pardonnée
d’avoir ouvert les portes de son Université à ce détestable
persifleur que fut Jean Baptiste Poquelin. La « Duke Race »
était née et devait clouer le bec aux mauvaises langues.
Voilà
la véritable histoire de cette hérésie environnementale. Je me
devais de vous en informer au risque de déclencher le courroux de
ces beaux messieurs. Quant à leurs dames, privées de leur petit
compagnon en plastique, j’aimerais leur proposer mes services mais
je crains de ne pouvoir remplir leur immense besoin de délicates
attentions.
Sarcastiquement
leur.
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