Un
stylo dans la main.
En
assistant quelques heures seulement à un colloque bien trop savant,
voire pédant parfois, sur les écrivains marcheurs, pour échapper
aux propos abscons d’une jeune universitaire qui n’a jamais sans
doute mis un pied devant l’autre, ni même accordé un regard à
son auditoire, j’ai pris la fuite mentalement, un stylo en main.
Cela me rappelait mes escapades lointaines, quand le chemin n’avait
d’autre but que celui de la rencontre et du portrait, l’ailleurs
ayant toujours été pour moi, l’autre !
Marcher,
ce n’est certes pas s’ouvrir des horizons. La géographie n’a
pas besoin de cette lenteur de l’homme qui avance à son pas pour
découvrir pleinement la diversité de la planète. D’autres en ont
fait leur fonds de commerce, certains même sont devenus écrivains à
succès ou ministres, sans jamais avoir pris le temps ni le plaisir
de découvrir véritablement leur prochain, fut-il, paradoxalement,
lointain.
Ceux-là
regardent à travers un œilleton de caméra qui a l’incroyable
capacité de ne renvoyer que sa proche image. Différer son regard,
le mettre en conserve par le truchement d’un objectif, c’est
perdre à coup sûr toute forme d’objectivité. Le regard se passe
d’une focale quand il ne se contente pas seulement des yeux.
Marcher c’est aller de l’avant vers un inconnu quiacceptera
éventuellement de vous tendre la main. Voir en marchant c’est
prendre le temps de la pause, de l’arrêt pour converser avec celui
qui se trouve sur le trajet sans interférer avec le moindre objet de
la modernité différée.
Converser
mais pas seulement car il convient en la circonstance d’user de
tous ses sens pour appréhender une parcelle de la vérité de cet
inconnu qui se livre ou se propose quelques minutes. Bruits, odeurs,
sensations diverses sont autant d'éléments qui viennent ajouter à
la compréhension de cette infime parcelle d’éternité, de celui
ou de celle qui a accepté, un bref instant ou un long moment,
d’entrer en relation avec celui qui ne fait que passer, emportant
ainsi, ce qu’il aura retenu de cette miraculeuse communion.
Puis,
les adieux effectués, l’un reprendra son chemin tandis que l’autre
restera à son état de sédentaire. Celui qui avance poursuivant
alors, longtemps encore cette rencontre, la revivant, l’ordonnant,
la transformant, pour écrire mentalement, tout en marchant, le récit
qu’il en fera, quand il aura trouvé un point de chute. C’est du
moins ainsi que je faisais, lors de mes pèlerinages intérieurs,
avant que d’envoyer à la toile le récit subjectif de la journée
écoulée.
J’aurais
sans doute dû prendre le microphone et parler sans lire de notes,
évoquer ce bonheur de la pérégrination pour écrire. Mais
auraient-ils compris ces doctes personnages, qui pour exister un tant
soi peu, ont besoin de convoquer les grands hommes, citant leurs
propos, parsemant leurs citations de commentaires savants alors que
le sentier n’est fait que de cailloux et de poussière. L’humilité
sied au marcheur qui ne cherche pas la performance, fut-elle
résolument artistique.
Mettre
un pied devant l’autre n’a à mon sens de raison que pour trouver
quelqu’un sur sa route surtout quand ce quelqu’un finit
immanquablement par être soi-même. C’est le miracle de cette
aventure qui n’est pas sans souffrance, cors aux pieds, ampoules et
crampes, jambes lourdes et douleurs diverses. En restituer un récit
chimérique, une ode trompeuse à la nature et à la spiritualité,
est une escroquerie morale.
Je
marche dans ma tête tandis que la brillante universitaire débite
des sornettes qu’elle a pris soin de glisser sur le papier. Tout en
restant bien sagement à ma place, j’ai rongé mon frein avant que
de lâcher les chevaux de ma pensée vagabonde. Je suis resté en
équilibre sur mon petit carnet, retrouvant les senteurs de mes
longues marches personnelles. Marcher, ce n’est pas suivre le pas
d’un tiers qui vous invite à une balade commune. La véritable
aventure est individuelle et curieuse, aventureuse et imprévue. Ni
programmation, ni prévisions, le vent ou le hasard pour unique guide
! Marcher c’est encore rester en vie et n’être qu’envie et
désir de découverte.
Pérégrinement
vôtre.
Notre chemin de halage défiguré
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