jeudi 25 juillet 2019

Marcher dans sa tête



Un stylo dans la main.



En assistant quelques heures seulement à un colloque bien trop savant, voire pédant parfois, sur les écrivains marcheurs, pour échapper aux propos abscons d’une jeune universitaire qui n’a jamais sans doute mis un pied devant l’autre, ni même accordé un regard à son auditoire, j’ai pris la fuite mentalement, un stylo en main. Cela me rappelait mes escapades lointaines, quand le chemin n’avait d’autre but que celui de la rencontre et du portrait, l’ailleurs ayant toujours été pour moi, l’autre !

Marcher, ce n’est certes pas s’ouvrir des horizons. La géographie n’a pas besoin de cette lenteur de l’homme qui avance à son pas pour découvrir pleinement la diversité de la planète. D’autres en ont fait leur fonds de commerce, certains même sont devenus écrivains à succès ou ministres, sans jamais avoir pris le temps ni le plaisir de découvrir véritablement leur prochain, fut-il, paradoxalement, lointain.

Ceux-là regardent à travers un œilleton de caméra qui a l’incroyable capacité de ne renvoyer que sa proche image. Différer son regard, le mettre en conserve par le truchement d’un objectif, c’est perdre à coup sûr toute forme d’objectivité. Le regard se passe d’une focale quand il ne se contente pas seulement des yeux. Marcher c’est aller de l’avant vers un inconnu quiacceptera éventuellement de vous tendre la main. Voir en marchant c’est prendre le temps de la pause, de l’arrêt pour converser avec celui qui se trouve sur le trajet sans interférer avec le moindre objet de la modernité différée.

Converser mais pas seulement car il convient en la circonstance d’user de tous ses sens pour appréhender une parcelle de la vérité de cet inconnu qui se livre ou se propose quelques minutes. Bruits, odeurs, sensations diverses sont autant d'éléments qui viennent ajouter à la compréhension de cette infime parcelle d’éternité, de celui ou de celle qui a accepté, un bref instant ou un long moment, d’entrer en relation avec celui qui ne fait que passer, emportant ainsi, ce qu’il aura retenu de cette miraculeuse communion.

Puis, les adieux effectués, l’un reprendra son chemin tandis que l’autre restera à son état de sédentaire. Celui qui avance poursuivant alors, longtemps encore cette rencontre, la revivant, l’ordonnant, la transformant, pour écrire mentalement, tout en marchant, le récit qu’il en fera, quand il aura trouvé un point de chute. C’est du moins ainsi que je faisais, lors de mes pèlerinages intérieurs, avant que d’envoyer à la toile le récit subjectif de la journée écoulée.

J’aurais sans doute dû prendre le microphone et parler sans lire de notes, évoquer ce bonheur de la pérégrination pour écrire. Mais auraient-ils compris ces doctes personnages, qui pour exister un tant soi peu, ont besoin de convoquer les grands hommes, citant leurs propos, parsemant leurs citations de commentaires savants alors que le sentier n’est fait que de cailloux et de poussière. L’humilité sied au marcheur qui ne cherche pas la performance, fut-elle résolument artistique.

Mettre un pied devant l’autre n’a à mon sens de raison que pour trouver quelqu’un sur sa route surtout quand ce quelqu’un finit immanquablement par être soi-même. C’est le miracle de cette aventure qui n’est pas sans souffrance, cors aux pieds, ampoules et crampes, jambes lourdes et douleurs diverses. En restituer un récit chimérique, une ode trompeuse à la nature et à la spiritualité, est une escroquerie morale.

Je marche dans ma tête tandis que la brillante universitaire débite des sornettes qu’elle a pris soin de glisser sur le papier. Tout en restant bien sagement à ma place, j’ai rongé mon frein avant que de lâcher les chevaux de ma pensée vagabonde. Je suis resté en équilibre sur mon petit carnet, retrouvant les senteurs de mes longues marches personnelles. Marcher, ce n’est pas suivre le pas d’un tiers qui vous invite à une balade commune. La véritable aventure est individuelle et curieuse, aventureuse et imprévue. Ni programmation, ni prévisions, le vent ou le hasard pour unique guide ! Marcher c’est encore rester en vie et n’être qu’envie et désir de découverte.

Pérégrinement vôtre.

Notre chemin de halage défiguré 

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