dimanche 21 juillet 2019

Le Tour du Parc du château de Sully


L’immuable rituel



C’était un temps où chacun avait ses habitudes, un rituel immuable qui ponctuait le dimanche après-midi d’une nécessaire promenade digestive. Il y avait là comme le prolongement de la messe dominicale et des agapes qui suivaient un repas plus frugal fait de pain enzyme. J’avoue que le mécréant que je suis devenu par la suite, s’est nourri de ce passage d’un ennui mortel dans l’église Saint Ythiers.

Le repas en famille prenait des allures de grand cérémonial. C’était la seule demi-journée où la boutique était fermée. Même le dimanche matin, il y a avait permanence pour l’accueil des clients, ma mère manquant l’office pour tenir sa maison et servir quelques clients. Il traînait en langueur tout autant qu’en longueur. Nous attendions la visite en fin de repas de la famille Meyer pour les inévitables cerises à l’eau de vie. J’avoue une aversion toute particulière pour ce qui à l’époque me semblait déjà une sacrée incongruité.

L’enfant que j’étais alors avait néanmoins avalé sa petite dose d’alcool et si l’humeur était à l’abus, j’y ajoutais le droit de tremper un biscuit à la cuillère dans le crémant ouvert pour parachever le repas. Bien lesté de ces compléments, nous pouvions alors nous diriger vers la Sange pour effectuer le tour du parc du château. Notre sens de rotation ne variait jamais d’un pouce, d’autres familles marquaient leur différence en allant à contre sens de nous.

Nous ne nous posions pas alors la question s’il y avait mieux à faire ou même si nous pouvions nous exonérer de la promenade des adultes, c’était ainsi, il fallait suivre et je pense que nous en étions ravis. Nous arrivions par l’allée qui longe la résidence des instituteurs. En cette époque révolue, les mairies logeaient ceux qui étaient alors respectés de tous. Dans mon village d’en-France, les maîtres et les maîtresses avaient le droit de vivre dans un endroit formidable, avec vue sur le Château et ses douves. C’était toujours avec la crainte de croiser l’un deux que je passais devant la belle bâtisse qui les regroupait tous.

Puis nous nous enfoncions dans l’allée, celle qui allait finir par bifurquer au niveau de la zone plus mystérieuse, envahie par les roseaux. C’était là le moment que je redoutais le plus, je pensais toujours qu’allaient surgir des monstres de cet endroit touffu. Puis c’était la bonde et les vannes qui donnaient sur la rivière Sange afin d’alimenter les douves. J’avais une fascination pour cet espace fermé par une grille d’où sortait l’eau. Là encore, je devais imaginer quelques monstres marins, histoire de nourrir mon imagination.



Un portail était ouvert, il annonçait l’entrée officielle dans le parc du château. Il offrait après lui, deux itinéraires possibles, celui qui allait longer les douves ou bien l’autre, que nous prenions systématiquement pour aller jusqu’à la grotte de la Vierge. Reproduction de celle de Lourdes, elle cachait à pareille époque les perce-neiges. Nous revenions avec un petit bouquet. Mon père devait sans doute se recueillir, lui qui, très croyant, avait fait à plusieurs reprises le pèlerinage en compagnie de son ami le curé des Bordes.

C’était alors la remontée vers la demeure de Maximilien de Béthune. Nous étions impressionnés et fiers de notre Château, forcément le plus beau qui soit. Je ne doute pas que tous les sullylois fussent dans ce même état d’esprit, j’en veux pour preuve le nombre de ceux qui se promenaient là tout comme ma famille. Il y avait bien sûr des rencontres, des discussions tandis que les enfants couraient autour des adultes devenus soudainement immobiles.

Puis c’était la sortie du Parc par l’entrée des touristes. Nous longions la Loire, passions devant le pont suspendu avant que de plonger vers le centre ville. Les cafés, nombreux, recevaient une grande clientèle, c’était là l’heure de l’apéritif avant que de rentrer chez soi. Beaucoup venaient là pour regarder la télévision qu’ils ne possédaient pas. C’était l’heure du sport, il y avait foule pour s’informer des résultats du week-end et voir quelques images.

Ma mère et ma petite sœur rentraient tandis que les hommes s’accordaient cette pause en compagnie du pâtissier. Mon père commandait une Suze cassis, monsieur Guison un perroquet tandis que moi j’avais droit à une grenadine. C’était réglé comme du papier à musique pendant que Robert Chapatte nous égrainait les scores. Nous rentrions en bouclant le circuit par le Boulevard du Champ de Foire, mon royaume de l’époque ! Le lendemain, le marché allait l’investir pour la journée. Une fois par mois, la foire aux cochons donnait de la couleur et des senteurs à la ville.

Il n’était plus qu’à reprendre le cycle, une semaine à l’école à l’exception du jeudi avant que de recommencer le dimanche suivant, le tour du Parc dans le même sens. J’avais envie de vous livrer ce moment d’une enfance qui était heureuse sans qu’elle ait besoin de choses extraordinaires. Nous étions satisfaits de notre sort, ignorants que cela ne pouvait durer ainsi.

Dominicalement vôtre

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