L’immuable
rituel
C’était
un temps où chacun avait ses habitudes, un rituel immuable qui
ponctuait le dimanche après-midi d’une nécessaire promenade
digestive. Il y avait là comme le prolongement de la messe
dominicale et des agapes qui suivaient un repas plus frugal fait de
pain enzyme. J’avoue que le mécréant que je suis devenu par la
suite, s’est nourri de ce passage d’un ennui mortel dans l’église
Saint Ythiers.
Le
repas en famille prenait des allures de grand cérémonial. C’était
la seule demi-journée où la boutique était fermée. Même le
dimanche matin, il y a avait permanence pour l’accueil des clients,
ma mère manquant l’office pour tenir sa maison et servir quelques
clients. Il traînait en langueur tout autant qu’en longueur. Nous
attendions la visite en fin de repas de la famille Meyer pour les
inévitables cerises à l’eau de vie. J’avoue une aversion toute
particulière pour ce qui à l’époque me semblait déjà une
sacrée incongruité.
L’enfant
que j’étais alors avait néanmoins avalé sa petite dose d’alcool
et si l’humeur était à l’abus, j’y ajoutais le droit de
tremper un biscuit à la cuillère dans le crémant ouvert pour
parachever le repas. Bien lesté de ces compléments, nous pouvions
alors nous diriger vers la Sange pour effectuer le tour du parc du
château. Notre sens de rotation ne variait jamais d’un pouce,
d’autres familles marquaient leur différence en allant à contre
sens de nous.
Nous
ne nous posions pas alors la question s’il y avait mieux à faire
ou même si nous pouvions nous exonérer de la promenade des adultes,
c’était ainsi, il fallait suivre et je pense que nous en étions
ravis. Nous arrivions par l’allée qui longe la résidence des
instituteurs. En cette époque révolue, les mairies logeaient ceux
qui étaient alors respectés de tous. Dans mon village d’en-France,
les maîtres et les maîtresses avaient le droit de vivre dans un
endroit formidable, avec vue sur le Château et ses douves. C’était
toujours avec la crainte de croiser l’un deux que je passais devant
la belle bâtisse qui les regroupait tous.
Puis
nous nous enfoncions dans l’allée, celle qui allait finir par
bifurquer au niveau de la zone plus mystérieuse, envahie par les
roseaux. C’était là le moment que je redoutais le plus, je
pensais toujours qu’allaient surgir des monstres de cet endroit
touffu. Puis c’était la bonde et les vannes qui donnaient sur la
rivière Sange afin d’alimenter les douves. J’avais une
fascination pour cet espace fermé par une grille d’où sortait
l’eau. Là encore, je devais imaginer quelques monstres marins,
histoire de nourrir mon imagination.
Un
portail était ouvert, il annonçait l’entrée officielle dans le
parc du château. Il offrait après lui, deux itinéraires possibles,
celui qui allait longer les douves ou bien l’autre, que nous
prenions systématiquement pour aller jusqu’à la grotte de la
Vierge. Reproduction de celle de Lourdes, elle cachait à pareille
époque les perce-neiges. Nous revenions avec un petit bouquet. Mon
père devait sans doute se recueillir, lui qui, très croyant, avait
fait à plusieurs reprises le pèlerinage en compagnie de son ami le
curé des Bordes.
C’était
alors la remontée vers la demeure de Maximilien de Béthune. Nous
étions impressionnés et fiers de notre Château, forcément le plus
beau qui soit. Je ne doute pas que tous les sullylois fussent dans ce
même état d’esprit, j’en veux pour preuve le nombre de ceux qui
se promenaient là tout comme ma famille. Il y avait bien sûr des
rencontres, des discussions tandis que les enfants couraient autour
des adultes devenus soudainement immobiles.
Puis
c’était la sortie du Parc par l’entrée des touristes. Nous
longions la Loire, passions devant le pont suspendu avant que de
plonger vers le centre ville. Les cafés, nombreux, recevaient une
grande clientèle, c’était là l’heure de l’apéritif avant
que de rentrer chez soi. Beaucoup venaient là pour regarder la
télévision qu’ils ne possédaient pas. C’était l’heure du
sport, il y avait foule pour s’informer des résultats du week-end
et voir quelques images.
Ma
mère et ma petite sœur rentraient tandis que les hommes
s’accordaient cette pause en compagnie du pâtissier. Mon père
commandait une Suze cassis, monsieur Guison un perroquet tandis que
moi j’avais droit à une grenadine. C’était réglé comme du
papier à musique pendant que Robert Chapatte nous égrainait les
scores. Nous rentrions en bouclant le circuit par le Boulevard du
Champ de Foire, mon royaume de l’époque ! Le lendemain, le marché
allait l’investir pour la journée. Une fois par mois, la foire aux
cochons donnait de la couleur et des senteurs à la ville.
Il
n’était plus qu’à reprendre le cycle, une semaine à l’école
à l’exception du jeudi avant que de recommencer le dimanche
suivant, le tour du Parc dans le même sens. J’avais envie de vous
livrer ce moment d’une enfance qui était heureuse sans qu’elle
ait besoin de choses extraordinaires. Nous étions satisfaits de
notre sort, ignorants que cela ne pouvait durer ainsi.
Dominicalement
vôtre
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