jeudi 26 mai 2022

Un nev hors de l'eau - chapitre 19 -

 

19

Samedi 28 mai 2022

C’est chouette

 


 


« Chacun trouve que sa chouette est un faucon »




Les protagonistes de ce dossier se font tous les truchements de propos qui s'insèrent dans une forme de mythologie locale, liée à la Loire. Il doit bien se cacher derrière ce fatras symbolique un énigmatique montreur de marionnettes qui tire les ficelles de cette farce morbide. L’affaire doit être résolue avant la minuit pour que le commissaire retrouve les flots tumultueux de la belle jouteuse. Sa dame de nage s’apparente à la Loire tant ses débordements sont redoutables, aimables et désirables. Oui vraiment, voilà une récompense qui devrait être de nature à lui ouvrir les yeux ! Ce sera aujourd’hui ou jamais.


Sa dernière journée commence de bonne heure. Tout en faisant défiler mentalement tous les acteurs de cette farce, il va en bord de Loire, au soleil levant, à la recherche d’un miracle. Il se souvient du passage d’un conte qui l’a beaucoup ému hier au soir :


Celui qui vit en symbiose avec la nature accorde plus que tout autre une grande importance aux signes ou aux présages. Robinson avait cette sagesse de croire et vit dans ce rayon étincelant, le signe d'un espoir fou. Il creusa comme le désespéré qu'il n'allait pas tarder à devenir, il y mit l'énergie de son désespoir. Bientôt, ses ongles ripèrent sur une surface dure, le septième rocher était à portée de main. Son énergie décupla, il fit tant et si bien qu'au petit matin, la pierre était entièrement libérée de sa gaine de sable, posée au fond d'un immense trou.


Pourquoi ce passage a-t-il retenu ainsi son attention au point de l’avoir pris par le cœur ? Il le tourne en boucle dans un cerveau en ébullition depuis son réveil. C’est ce qui l’a conduit sur les bords de Loire ce matin, se hâtant de fuir le centre-ville pour marcher vers l’est. Il va à la recherche d’un signe du destin, là précisément où le drame s’est accompli. Une chouette effraie s’en retourne vers les tours de la cathédrale. Elle passe au-dessus de lui en cette heure matinale. L’oiseau de nuit rentre chez lui tandis que le policier marche vers sa destinée.


En bon berrichon, Ignace voit dans ce rapace majestueux la marque de la providence qu’il espérait, ce fameux message subliminal du conteur. Pour une fois, l’effraie des cloches sera-t-elle  l’oiseau du bonheur ? Il ne peut s’empêcher de croire en sa bonne étoile. La dame blanche n’est-elle pas aussi l’élue de son cœur ? Il avance, rasséréné, persuadé que la Loire lui fera un cadeau en ce septième jour de la semaine, jour du shabbat où son âme trouvera enfin le repos.


Il vient de doubler le Cabinet Vert, prend le chemin qui monte, refusant de longer le canal pour mieux observer le lever du soleil sur la rivière. Il est émerveillé par le spectacle qui s’offre à lui. Il atteint le sommet de ce que les anciens nommaient de manière excessive La Falaise. Il débouche sur la fameuse Venelle à quatre sous quand il aperçoit un homme, debout tout comme lui, à la recherche de la lumière. C’est un photographe qui braque son objectif vers la Loire, précisément là où il y a maintenant 20 jours, un homme a perdu la vie. Une idée lui titille l’esprit :

  • Bonjour, monsieur le photographe ! Je suis curieux, mais prenez-vous souvent des clichés de cet endroit ?

  • Tous les jours ou peu s’en faut, monsieur le commissaire.

  • Vous me connaissez ?

  • Qui ne connaît pas le célèbre Grillepain, ancien rugbyman et enquêteur émérite ?

  • À qui ai-je l’honneur ?

  • Ludovic Loiseau, Pirate de Loire pour les amoureux de la rivière.

  • Décidément !

  • Plaît-il ?

  • Toute cette histoire tourne précisément autour de la gent ailée.

  • Les oiseaux ont élu domicile sur nos rives. Ils y nichent, y pêchent, s’y cachent sur les îles. C’est un formidable spectacle pour moi qui habite dans le lotissement qui se trouve juste derrière nous. Je nomme ce fragment de la Loire Mon Jardin.


Le policier a des fourmillements dans tout le corps. Quelque chose lui dit que ce charmant bonhomme va lui tendre la clef de l’énigme. À lui de savoir ouvrir la bonne porte ! Il lance au hasard :

  • Avez-vous pris des photographies le 8 mai dans l’après-midi ?

  • Ce jour-là, je suis aux fêtes johanniques. J’ai une accréditation de la ville pour accéder au-delà des barrières. Un geste de notre échevin, qui m’honore.

  • Quel dommage ! Encore un espoir déçu !

  • Mais non ! Je suis revenu vers 16 heures pour écupérer une nouvelle carte mémoire. Je l’avais sottement oubliée.

  • Et vous avez pris des clichés par habitude.

  • En effet, c’est plus fort que moi.

  • Les avez-vous regardés ?

  • Non, j’ai travaillé tous les clichés du défilé pour effectuer un reportage de qualité. J’y ai passé beaucoup de temps.

  • Accepteriez-vous de me les montrer ? On ne sait jamais…

  • Avec grand plaisir !


Ludovic Loiseau propose au policier de le suivre chez lui. L’homme s’empresse d’accepter. Ils pénètrent dans une belle résidence avec vue sur Loire. Le photographe lui offre un café tandis qu’il cherche sa carte mémoire. Il la trouve et prie son invité de venir regarder. Le photographe dispose d’un très grand écran d’ordinateur. C’est un outil indispensable pour retravailler ses clichés. Les prises de vue défilent sur l’écran.


Le policer voit une tache plus claire au loin, sur l’autre vive. En réalité, c’est un reflet sur le côté droit de l’écran. Il ressent un choc, persuadé que le jet-ski est dans le champ. Il en fait part à son hôte. Monsieur Loiseau use alors de l’agrandissement. Il peut se le permettre, il dispose d’une grande marge de manœuvre avec les sensibilités qu’il exploite. Rapidement, l’évidence leur apparaît : c’est Gontran seul sur son engin. Il est 16h35, c’est une indication fournie par l’appareil photographique.


  • Voilà quatre personnes entièrement disculpées !

  • Pardon ?

  • Excusez-moi, je raisonnais à haute-voix. Regardons les suivantes, je vous prie.

  • Avec plaisir.


Les trois photographies suivantes ne donnent rien de mieux. L’homme et son véhicule aquatique sont dans le secteur, sans que rien ne se passe. Pas de présence humaine visible dans le champ de vision ! Pour le cliché qui arrive, il y a du nouveau.

  • On dirait que le pilote fonce sur un oiseau.

  • C’est aussi mon avis.

  • Pouvez-vous agrandir encore plus ?

  • La définition ne sera pas bonne, mais c’est encore possible. Voilà !


Un héron apparaît clairement. Nulle trace de criminel ou de tueur d’oiseau ! Le policier, de plus en plus nerveux, réclame le cliché suivant, de manière quelque peu véhémente. Il s’en rend compte :

  • Veuillez pardonner mon empressement ! C’est tellement important pour moi. Il y va aussi de ma réputation, tout autant que de mon avenir immédiat.

  • Je comprends. Je suis si heureux de pouvoir vous aider. J’ai même le sentiment d’avoir commis une grande négligence en laissant de côté ces prises de vues.

  • Allons, avançons !

  • Le plan suivant arrive.


Cette fois, il n’y a pas de doute, une bataille aérienne oppose l’animal et son agresseur. L’oiseau fonce résolument sur le pilote, c’est du moins ainsi que les deux hommes interprètent le cliché. Ils sont impatients de savoir. L’image suivante ne donne rien. L’opérateur a cadré plus à l’est, rien n’apparait sur le côté droit. La prochaine est en revanche plus exploitable. Elle constitue même la clef du mystère.


  • L’oiseau est couché sur le sable, me semble-t-il.

  • C’est aussi mon avis. Le jet-ski est hors champ.

  • L’homme est dans l’eau.

  • C’est ce qu’on peut en conclure, même si ce n’est pas très net.

  • Personne autour ! Vous êtes d’accord ?

  • Oui commissaire, c’est ce qu’on peut observer.


Le commissaire demande à Ludovic Loiseau de confier sa carte mémoire à la justice. Le photographe lui propose de tirer lui-même les clichés au format A3. C’est un honneur pour lui d’apporter sa contribution et son expertise à l'énigme qui intrigue tout Orléans.

 



De retour au commissariat, Ignace envoie immédiatement un SMS à celle qui viendra récompenser sa découverte. « L’énigme est résolue. Je réclame un bec et plus si affinité. RDV 18 h chez moi ! » Puis, dans l’attente d’une réponse qu’il espère enthousiaste, il se lance dans la rédaction d’un premier rapport.

Son premier souci est de libérer au plus vite le brave Archimède. Il prend même son téléphone pour joindre directement le juge d’instruction. Il lui avoue le stratagème convenu avec l’accord du SDF.

Le magistrat comprend immédiatement la raison de cette démarche qui n'est absolument pas conforme aux règles de la procédure. Il entend même recevoir ce curieux collaborateur de la justice pour le féliciter personnellement avant son élargissement. Grillepain lui confie sa promesse de lui offrir une nouvelle existence. Tous les deux conviennent de lui assurer une assistance conseil pour sa nouvelle vie de gardien de propriété en Sologne. C’est cette proposition qui va venir récompenser son sacrifice.


Du côté du divisionnaire, ce n’est pas la même musique. Le supérieur respecte la tradition de sa charge en lui passant un savon magistral. Il est vrai qu'il l’a mauvaise. L’idée d’un accident, qui plus est entièrement la faute de celui qu’il fréquentait dans les cercles distingués de la bourgeoisie orléanaise, va servir de chambre d’écho à la médisance. Une statue va être déboulonnée, les langues de vipère vont lui tailler un costard à la mesure de ses mérites. Ses amis politiques risquent fort d’en être ébranlés et même quelque peu éclaboussés par les vagues de l'opprobre.

Ignace laisse passer l’orage. Il vient de lire discrètement sur son petit écran : « À ce soir, mon canard des îles ! Je te biche partout. »


Avant la récompense du vainqueur, il convient d’apporter une explication en conférence de presse. Le récit détaillé, à franchement parler n’est pas à sa portée. Il a soudain une idée qui l’amuse, une manière de boucler la boucle avant de défaire celle de sa ceinture. Il convoque Gustave et Gaston au commissariat ; la connaissance de la rivière pour l’un, l’imagination de l’autre vont ficeler un scénario plus crédible que les éléments épars tirés des photographies. Le héron a puni l’outrecuidant qui l’a payé de sa vie. Gloire au bel animal, symbole de sagesse !


Les deux compères se font un devoir de narrer la chose pour l’édification du peuple et le courroux de la coterie :



Un drôle d’oiseau




Il était une fois un homme important qui se sentait pousser des ailes. Pour démontrer à tous sa supériorité, il voulut marcher sur l’eau. La chose n’est pas aisée pour le commun des mortels fût-il béni de ceux qui gouvernent. Il choisit un subterfuge pour démontrer à tous les badauds ébahis qu’il disposait de tous les privilèges qui siéent à sa caste.

Ainsi, le mythe du Cachalot de Loire naquit à grand coups de gerbes d’eau et d’une vague destructrice. La colère submergeait ceux qui se retrouvaient arrosés par l’impudent navigateur. Il y eut algarades et plaisantes rixes sans que les autorités ne viennent se soucier de mettre à quai le terrible engin.

Devinant l’impuissance de leurs frères et sœurs humains, la gent ailée se mit à montrer de l’aile ce méchant qui se faisait malin plaisir à venir les perturber dans leurs parades amoureuses. La querelle prit de la hauteur, les oiseaux à tour de rôle firent de ce triste pilote écervelé, une cible. La fiente de la blanche colombe ne suffit pas à interrompre la course folle de celui qui avait perdu la raison. Il chargeait cygnes, oies, hérons et aigrettes tandis qu’il avait toujours un balbuzard sur le dos.

Sa chevauchée fantastique s’acheva par une prise de bec. Un héron se sacrifia pour mettre à bas l’odieux furieux des flots. Il planta son bec dans la jugulaire de celui dont il convenait d'interrompre les méfaits. Le bec se brisa mais le sacrifice du héron héros ne fut pas vain. Déséquilibré, le fou du guidon chut dans cette rivière qu’il martyrisait tant. La sentence de la Dame Liger fut redoutable : un gros caillou reçut sa chute et la loi de la gravité acheva ce que l’animal symbolisant la patience et la sagesse n’avait pu totalement accomplir.

Le nez dans les flots, le bec homicide hors de l’eau, ce drôle d’oiseau acheva) ainsi sa course là où il avait fauté.




* * *



Dire que tous les orléanais aient saisi le sens exact de ce communiqué serait exagéré. L’essentiel est qu’il fait beaucoup causer et que chacun peut se faire une petite idée du drame qui a mis en ébulition la cité. Le dénouement a naturellement de quoi frustrer ceux qui sont avides de drames et de scandales. Mais comme l’affaire est intimement liée à la Loire, que le nœud se défasse aisément c’est une gage de sécurité. Le nœud marin le plus malin est le nœud de chaise car il se défait aisément en cas de danger. Les mécontents pourront aussi s’assoir dessus !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À la foire aux oies

  À la foire aux oies À la foire aux oies Je n'ai pu ma foi Me prendre de bec Avec un bon mec • À la foire aux â...