mercredi 11 mai 2022

Un bec hors de l'eau - chapitre 4 -

 

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14 mai 2022

Bavarde comme une pie


« À la pie, ne dis que ce que tu diras en public »





Une spécialiste des oiseaux est justement de passage pour une conférence à la médiathèque d’Orléans. Fille d’un ornithologue mondialement connu pour ses enregistrements afin d’identifier les oiseaux à leur chant, Marie-France Loiseau porte un nom qui ne laisse aucune équivoque quant à son domaine de compétences. En fait, la dame a jeté son dévolu sur un certain Patrice Loiseau uniquement pour s’emparer de son patronyme. Le mariage consommé, la belle s’est envolée loin du nid conjugal pour se consacrer exclusivement à sa passion.


Elle se fait remarquer du grand public par sa défense de ses protégés contre l’odieuse menace que nos amis les chats imposent à la gent ailée. Il y a un zoocide silencieux qui chaque année, rien qu’en France provoque la disparition de cinquante millions d’individus dans l’indifférence générale. Pour ce premier combat, elle a écrit un petit conte qui lui a permis de se faire un prénom. C’est justement ce que lit, le sourire aux lèvres, le commissaire en attendant que la conférencière en termine de sa séance de dédicaces. Nombreux sont les spectateurs qui désirent s’en retourner avec un ouvrage paraphé de sa main. La dame est particulièrement bavarde, comme une pie, pense en aparté notre poulet, ravi de faire plus ample connaissance avec celle qui a accepté de le rencontrer. En attendant il découvre sa modeste prose …


L’impossible mariage.



Il était une petite fille, Léa qui avait deux passions dans la vie : son chat et les oiseaux de son jardin. Pour elle, rien n’était plus agréable que les câlins que lui faisait le félin ; rien n’était plus mélodieux que les joyeux trilles des habitants de la charmille. Elle passait ses journées avec le matou sur ses genoux à scruter les allées et venues des bergeronnettes, rouges-gorges et autres mésanges qui avaient élu domicile chez elle.


Elle n’avait de cesse de leur déposer des graines, des boules de graisse et de l’eau durant l’hiver. Elle les observait avec ses jumelles, cherchait à identifier les nouveaux venus. Pour leur confort et surtout pour son plaisir, elle avait fait construire par son cher père, des cabanes qui leur servaient d’habitacles. Son jardin eût pu être un palais merveilleux s’il n’y avait eu les sorties nocturnes de son adorable matou.


La nuit, le gentil chat Félix se transformait en un terrible prédateur, faisant razzia sur razzia dans les nids et les cabanes. Pâques était pour lui la grande saison de la chasse aux œufs ; ce qui contrariait grandement les parents qui se retrouvaient le bec dans l’eau. Léa comprenait que cela ne pouvait plus durer, qu’elle devait apprendre à son Félix à ne pas avoir la dent dure. Mais comment s’y prendre pour transformer la nature même d’un chasseur ?


Léa voulut lui expliquer que ce qu’il faisait n’était pas bien. La persuasion échoua : l’animal ne prêtait pas l’oreille aux leçons de morale de sa petite maîtresse. Elle voulait le mettre au régime végétarien, suivant en cela la nouvelle tendance chez les humains. Le chat, en la matière, n’était guère convaincu par les arguments pour sauver la planète. Il faut bien admettre que ceux de son espèce ne sont en rien responsables de l’anthropocène actuelle, la sixième disparition des espèces.


Voyant que ses cours étaient inefficaces et contrairement à ce qu’elle constatait dans sa scolarité, Léa changea de méthode, refusant de s’obstiner sur une voie improductive. Elle avait été influencée par son éducation ; on ne peut le lui reprocher. Le petit de l’homme imite en cela ses pédagogues et ses géniteurs. Elle opta pour le chantage, méthode qui, quoique contestable, a souvent donné des résultats appréciables.


Le chat fut réfractaire aux menaces. Elle voulait lui interdire les croquettes, les câlins et les sorties. Plus elle le privait, plus il se montrait opposant à sa présence et indifférent à ses rétorsions. Il trouvait toujours prétexte pour se sauver et aller gagner ailleurs ce dont on le frustrait ici. C’est Léa qui en était la première punie ; elle s’en rendit vite compte.


La petite s’enquit du problème de manière plus scientifique. Elle apprit ainsi que la gent féline était la cause d’une véritable hécatombe parmi les volatiles, que le sujet était désormais à prendre au sérieux dans un pays civilisé comme la France où l’expression même de la civilisation passait par un accroissement considérable du nombre de chats et subséquemment par une baisse de celui des oiseaux. Soixante millions d’entre eux, en effet, tombent chaque année sous les crocs des voraces.


Elle découvrit que des recherches avaient été menées et que l’industrie proposait des parades à ce terrible phénomène de société. Un détecteur de chaleur, installé dans l’arbre, repérait l’arrivée du carnivore et déclenchait un signal en ultra-sons qui devait repousser le gourmand. Hélas, ventre affamé n’a pas d'oreilles et souvent Félix demeurait sourd à ce bruit parasite.


Elle essaya également un tapis à trous pour enserrer le tronc de l’arbre. Le greffier était, d’après le fabriquant, réfractaire à l’irrégularité d’une surface tapissière. Félix fit rapidement pattes de velours et se moqua du stratagème. Le chat, quoiqu’il ne fût pas persan, ne s’arrêta pas sur ce tapis volant ayant des trous d’air. Il fallait trouver autre chose pour la tranquillité de ses amis ailés.


Petit à petit, les oiseaux désertaient son jardin ou finissaient dans le ventre de Félix. Le résultat était le même : plus de chants ni de beaux moments passés à les observer. Elle pensait elle pensait qu'elle allait devoir enfermer le diable de minet et le condamner à devenir chat d’appartement. Cette idée ne la réjouissait guère car elle savait son animal attaché à sa liberté bien plus qu’à une laisse.


Alors, la petite fille prit le problème autrement, renonçant à poser des herses, des dents acérées ou bien à savonner le tronc de ses arbres, des idées aussi saugrenues que stupides. Elle voulut que Félix découvre la beauté des oiseaux. Elle lui montra des images. Félix y jeta un regard négligent. Elle changea son fusil d’épaule !


Léa s’interrogea alors sur la possibilité d’enseigner à son chat le chant des oiseaux. Félix avait toujours réagi à la musique. La petite commanda un CD qui enseigne les chants des oiseaux. Félix tendit l’oreille. À force de persévérance, il se mit à les imiter. Léa était aux anges ; son chat avait un talent dont aucun autre ne disposait. Dès cet instant, il cessa de chasser les locataires des arbres. Les oiseaux revinrent en grand nombre dans ce jardin extraordinaire.

Si vous voyez un jour dans un jardin, un chat en grande conversation avec des hirondelles ou bien des chardonnerets, ne soyez pas surpris : c’est Félix, le chat de la gentille Léa.


* * *



Le commissaire s’amuse devant tant de candeur mêlée d'ingénuité. Le dernier admirateur parti, son interlocutrice se rendant compte d'un sourire aussi matois que narquois de son visiteur, engage la conversation en lui volant dans les plumes : « Je devine que vous vous moquez de ma petite histoire, trop candide à vos yeux de vieux matou. Je vois bien la réaction d’un policier, homme plus soucieux de la vérité que des voies qu’il convient d’emprunter pour défendre une idée ».

Le policier perçoit qu’il a mal agi. La dame a vu son sourire lors de la lecture. Il se rattrape aux branches :

  • Bien au contraire, je suis retombé en enfance le temps de cette plaisante lecture.

  • Je préfère ça. Le conte est un merveilleux moyen de prendre son envol, d’abandonner les contingences de notre société afin de tenter de saper les fondements de ce qui explique ou justifie les comportements absurdes des humains. Les enfants seuls, sont en mesure de convaincre les adultes de renoncer à leurs folies ! Ma petite histoire n’a d’autre but que de pointer ce massacre qui se produit sous nos fenêtres. Les chats que j’adore au demeurant, ne peuvent continuer ainsi sinon nous allons bientôt vivre dans un monde sans oiseaux. Je suis venue porter cette parole au pays des chiens (nom affublé aux orléanais), ce qui je vous l’avoue, m’amuse grandement.

  • C’est ce que j’avais compris. Vous parvenez tout à fait à vos fins et puis j’aimerais éviter une prise de bec avec vous.

  • Encore une moquerie. Vous êtes un drôle d’oiseau, commissaire !»


Décidément, il n’a encore rien dit de ce qui l’avait amené ici et il a déjà droit à une vraie volée de bois vert. Sa réputation de langue bien pendue, perchée même, n’est pas usurpée. Elle ne serait certainement pas avare de détails pour éclairer sa lanterne. Il lui fait alors part des motifs de sa visite :

  • Madame, je ne vais pas me lancer dans un débat sur la meilleure manière de convaincre l’opinion publique. Tel n’est pas mon souci de l’heure.

  • Que me voulez-vous ? C’est bien la première fois qu’un inspecteur sollicite mes lumières.

  • Commissaire, madame Loiseau.

  • Appelez-moi Marie-France, ce nom n’est qu’une carte de visite.

  • Très bien Marie-France, je suis chargé d'enquêter sur un crime perpétré avec une arme hors du commun et je pense que vous êtes à même de m’apporter votre expertise.

  • Je doute fort que je puisse être d’une quelconque utilité en la matière. Mon domaine est le monde des oiseaux, pas celui des engins de mort. Même si leur univers n’est pas exempt de férocité, seule la loi de la nature prévaut à leurs comportements.


Le commissaire affiche alors un rictus qui chez lui est la marque de l’impatience. Si la dame se défend bec et griffes, il convient d’en venir à l’objet de sa visite. Il cesse de jouer au chat et à la souris tout en tournant autour du pot à glu. Le policier sort enfin l’objet en question, bien rangé dans un sac en plastique : « Voilà ce qui a tué la victime. Pouvez-vous me dire de quoi il s’agit ? »

La femme a un mouvement de recul avant que l'ornithologue en elle se reprenne et examine attentivement le bec brisé à sa base. Elle le regarde sous tous les angles. Elle est manifestement bouleversée.

  • Qu’avez-vous ma chère ? Vous semblez profondément troublée.

  • J’avoue que découvrir qu’un oiseau ait pu être torturé pour lui briser son bec et le transformer en arme dépasse mon entendement et provoque un immense dégoût.

  • Vous savez Madame, les criminels n’ont jamais d’état d’âme. J’ai besoin de savoir de quel oiseau provient ce qui a été utilisé comme un poignard. »


La femme retrouve son calme, cesse toute sensiblerie pour faire preuve d’expertise. Elle a compris qu’il en va sans doute de la manifestation future de la vérité. Elle examine plus attentivement ce phanère, une production cornée d’une extrême solidité.

    • Si les hommes préhistoriques ont transformé des os d’oiseaux pour servir d’outils, nous avons des traces d'utilisation de becs sans en connaître la destination exacte. Ce bec jaune orange, allongé et conique a indubitablement la forme d’un poignard. C’est le bec d’un héron et qu’il ait pu servir à tuer un humain me glace d’effroi. Comment ont-ils pu ?

    • Pourquoi utilisez-vous le pluriel ?

    • Je n’imagine pas qu’un homme seul puisse briser à la base le bec d’un héron. Pardon, c’est une simple remarque de ma part sans aucun fondement. Une stupide intuition féminine, me direz-vous sans doute.

    • Nullement ma chère, je ne sais pourquoi, mais c’est là aussi ma conviction »


Leur conversation dérive alors sur les oiseaux de Loire, leur situation, l’état des populations. Marie-France rassure le commissaire, ils se portent bien. Des espèces sont revenues comme le balbuzard et même le pygargue. D’autres, perturbées par le dérèglement climatique s’installent afin de vivre par chez nous. L’ibis, la cigogne, les cormorans ... Les amateurs d’oiseaux de rivière peuvent les admirer tout à loisir. Ce sont les oiseaux de nos jardins qui sont menacés par les chats, comme le commissaire a pu le découvrir dans le conte de la dame.

L’entretien terminé, avant de se saluer, Grillepain reçoit de la dame un petit livre de vulgarisation sur les oiseaux des rives de Loire. Vraiment une visite passionnante pour ce policier peu habitué à recevoir un cadeau dans l’exercice de sa profession !


En quittant la médiathèque, le commissaire a envie de passer sur les quais devant la héronnière du quai fort Alleaume, où des dizaines de nids sont perchés sur la cime des peupliers qui résistent aux assauts de la rivière, l’hiver. Il observe avec l’émerveillement d’un enfant, le bal des parents qui viennent nourrir les petits et comprend soudain les propos de la spécialiste en voyant les corneilles tourner autour des nids, se montrant agressives, prêtes à surgir pour se saisir d’un œuf ou d’un oisillon. À bien y réfléchir, les humains ne sont pas plus féroces que les animaux. Il y a une parenté certaine dans les comportements. S’il n’était pas dans le dossier qu’il a à traiter question de survie, il y avait néanmoins des rivalités, des luttes d’ego ou une bataille d'hégémonie sur la Loire.


Le commissaire connait son travail. Ce n’est pas à lui de faire du sentiment ou de prendre parti pour les uns ou les autres. Il recueille le maximum d’informations, s'imprègne du contexte, pour chercher à comprendre les motifs. Il ne reste pas le nez en l’air. Il retourne vite à son bureau et plonge dans le dossier. Cette affaire sent le soufre, comporte certainement des imbrications politiques, des chausse-trappes, peut-être même des secrets qu’il convient de ne pas mettre au jour. L’intervention de l’échevin n’est à ce titre absolument pas innocente. Il convient d’agir le plus discrètement possible tout en faisant preuve de tact et en se montrant extrêmement prudent. Il ne veut surtout pas y laisser des plumes ! Le numéro neuf qu’il a été au rugby doit marcher sur des œufs. Cette pensée l’amuse beaucoup.

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