samedi 22 juin 2019

Petits pois deviendront grands.



Jardinière de légumes.



Il était une fois une gousse qui élevait amoureusement ses petites graines. La belle plante que voilà, qui rêvait d’un destin royal pour les siens. Il est vrai que, cultivée dans le jardin de Villandry, elle ne pouvait rêver plus bel écrin pour atteindre ses fins. Elle était entourée des plus belles plantes du jardin de France : cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.

Notre gousse avait voyagé dans sa vie de graine. Elle avait eu le privilège de naviguer sur la grande mer océane par un curieux hasard que le destin aime à offrir à ceux qui ont des rêves plein la tête. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance d’une huître. Cette dernière lui avait glissé à l’oreille un bien étrange secret qui germa en son esprit de fort belle manière.

La graine plantée en terre, elle avait acquis la certitude qu’elle parviendrait, elle aussi, a métamorphoser le plomb en or. Il faut dire que les alchimistes étaient légion dans nos châteaux, cloîtres et monastères tout du long de cette rivière sublime. Il n’y avait pas de raison que le petit pois ne se fît pas, également, Grand Invité à la table des Roys.

L’huître avait transmis une formule magique que la gousse exécuta à la perfection. En son sein, elle nourrissait onze petits pois élégants, parfaitement ronds et brillants à souhait. Elle fit des merveilles, puisant dans le sol tous les éléments propres à faire grandir les siens dans un parfait équilibre. Jamais on ne vit par ici plus belle cosse, réceptacle plus charnu, plus gonflé, plus large que celle qui avait un grand dessein en tête.

Quand son tour vint d’être récoltée, la gousse se fit langoureuse. Elle voulait absolument que Camille, la petite-fille du jardinier, fût celle qui viendrait recueillir les fruits de ses entrailles. Elle captait le soleil, elle se frottait contre la tige et les feuilles pour produire une douce mélodie. Camille n’était pas si sotte : elle avait repéré son manège ; elle avait compris qu’il y avait dans cette plante un curieux message qui lui était destiné.

La jeune fille , toujours pieds nus, en haillons, car il n’était pas moyen de l’habiller convenablement, cette sauvageonne qui traînait en tous temps dans cet immense jardin, sentit qu’il était temps de récolter cette cosse et nulle autre. Pourquoi avait-elle conscience de cette étrangeté ? Les mystères sont insondables ou bien ils perdent tout intérêt.

Camille la détacha avec précaution, avec douceur, avec une gratitude dans le cœur qui aurait fait rire des adultes s’ils l’avaient entendu remercier la plante en lui parlant aimablement. Mais qu’importe ce que peuvent penser les autres ! Camille avait dans ses mains le plus beau des trésors. Elle se réfugia dans les bois voisins, chez une vieille femme , Irène, que les gens de la région tenaient pour sorcière. Depuis sa plus tendre enfance, Camille avait pris l'habitude de lui rendre visite et d'échanger des confidences quand elle s'offrait une escapade.

La jouvencelle attendit d’être avec sa vieille amie pour ouvrir le réceptacle végétal. Ce que les deux femmes virent les fit s’exclamer d’émerveillement. Les onze petits pois étaient nacrés, scintillants, translucides. D’une rondeur parfaite, ils ressemblaient à des émeraudes plus qu'à des perles avec leur délicate teinte verte. La vieille Irène sourit de son grand sourire édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la chance de ta vie ! »

Toutes les deux passèrent la journée en d’étranges préparatifs. Quand vint le soir, c’est une Camille transfigurée qui sortit de la masure d’Irène. Elle portait belle robe, parure délicate, bottines fines et gracieuses, coiffe discrète et élégante. Mais par-dessus tout, on percevait le scintillement de son collier de petits pois.

Elle se rendit directement au château où ce soir-là, justement, il y avait bal avec tous les muscadins du coin. Son apparition fit sensation ; elle fut reçue bien que personne ne sût qui elle était. Sa mine et sa grâce avaient ouvert des portes qui, jusqu’à ce jour, étaient toujours restées hermétiquement closes pour elle. Les cavaliers ne regardaient qu’elle, n’avaient d’yeux que pour son cou élancé et fin, orné de cette merveille de pureté. Elle eut, ce soir-là, tous les hommes à ses pieds.

Quand les douze coups de minuit sonnèrent, Camille prit congé de l’assistance médusée. Beaucoup de jeunes gens voulurent la suivre, lui firent des avances, des propositions, curieusement toutes plus honnêtes les unes que les autres. À tous ceux-là, elle déposa un tendre baiser sur le front en murmurant : «  Je choisirai celui qui saura cultiver sa différence ! »

Elle disparut, laissant les jeunes gens désemparés et intrigués. Mais rapidement la surprise devint pour beaucoup de la stupéfaction, de la colère et même de la consternation . En effet ,voulant tous la suivre , ils se précipitèrent vers leurs carrosses. Hélas, à la place de leurs fiers véhicules, il n’y avait plus que des tas grossiers de légumes sur chacun desquels trônait une magnifique citrouille.

Tous les muscadins, à l’exception d’un seul, partirent dans une rage folle, insultant le diable et la terre entière. Ils piétinèrent les légumes et rentrèrent, outrés et piétons, dans leurs demeures respectives. Seul, le jeune Brillat- Savarin comprit le message énigmatique de la beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris ceux qu’avaient massacrés ses collègues. Le lendemain , il alluma un grand feu et confectionna une soupe succulente, un brouet comme jamais plus on n’en goûterait !

Il porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse distribution. Brillat venait de se découvrir une passion dévorante pour la cuisine. Il en ferait son métier en dépit de l’interdiction qui était faite aux gens de son état de travailler. Il n’en avait cure. Il avait pris tant de plaisir à confectionner ce mets qu’il voulait explorer tous les mystères de la gastronomie.

Il en était là de ses réflexions quand la dernière villageoise à quérir un bol de soupe l’intrigua par son sourire en coin. Il lui servit ce qu’elle était venue réclamer mais la jeune fille en haillons ne le remercia pas. Au lieu de ça, elle découvrit sa gorge et Brillat vit, en évidence, le collier qui lui avait fait tourner la tête. Camille s’adressa alors au jeune homme : « Grande et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras mon mari et un formidable cuisinier. Je serai ta femme et cultiverai pour toi les légumes ! »

Ainsi fut fait. Le collier resta au cou de Camille la jardinière. Brillat devint ce grand cuisinier que chacun connaît. Son consommé de petits pois resta dans les mémoires comme le plus délicieux qui soit. Pour tous les deux , ce n’était pas dans la vie oisive des nobles et des puissants qu'ils espéraient trouver la plénitude et le bonheur. Ils se marièrent, travaillèrent et ainsi furent-ils les plus heureux du monde. Ni les titres ni les positions acquises ne font le bonheur. L’épanouissement se trouve dans l’amour et le travail ; menteurs sont ceux qui affirment le contraire.

Macédoinement leur.

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