Jardinière
de légumes.
Il
était une fois une gousse qui élevait amoureusement ses petites
graines. La belle plante que voilà, qui rêvait d’un destin royal
pour les siens. Il est vrai que, cultivée dans le jardin de
Villandry, elle ne pouvait rêver plus bel écrin pour atteindre ses
fins. Elle était entourée des plus belles plantes du jardin de
France : cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.
Notre
gousse avait voyagé dans sa vie de graine. Elle avait eu le
privilège de naviguer sur la grande mer océane par un curieux
hasard que le destin aime à offrir à ceux qui ont des rêves plein
la tête. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance d’une
huître. Cette dernière lui avait glissé à l’oreille un bien
étrange secret qui germa en son esprit de fort belle manière.
La
graine plantée en terre, elle avait acquis la certitude qu’elle
parviendrait, elle aussi, a métamorphoser le plomb en or. Il faut
dire que les alchimistes étaient légion dans nos châteaux,
cloîtres et monastères tout du long de cette rivière sublime. Il
n’y avait pas de raison que le petit pois ne se fît pas,
également, Grand Invité à la table des Roys.
L’huître
avait transmis une formule magique que la gousse exécuta à la
perfection. En son sein, elle nourrissait onze petits pois élégants,
parfaitement ronds et brillants à souhait. Elle fit des merveilles,
puisant dans le sol tous les éléments propres à faire grandir les
siens dans un parfait équilibre. Jamais on ne vit par ici plus belle
cosse, réceptacle plus charnu, plus gonflé, plus large que celle
qui avait un grand dessein en tête.
Quand
son tour vint d’être récoltée, la gousse se fit langoureuse.
Elle voulait absolument que Camille, la petite-fille du jardinier,
fût celle qui viendrait recueillir les fruits de ses entrailles.
Elle captait le soleil, elle se frottait contre la tige et les
feuilles pour produire une douce mélodie. Camille n’était pas si
sotte : elle avait repéré son manège ; elle avait
compris qu’il y avait dans cette plante un curieux message qui lui
était destiné.
La
jeune fille , toujours pieds nus, en haillons, car il n’était pas
moyen de l’habiller convenablement, cette sauvageonne qui traînait
en tous temps dans cet immense jardin, sentit qu’il était temps de
récolter cette cosse et nulle autre. Pourquoi avait-elle conscience
de cette étrangeté ? Les mystères sont insondables ou bien ils
perdent tout intérêt.
Camille
la détacha avec précaution, avec douceur, avec une gratitude dans
le cœur qui aurait fait rire des adultes s’ils l’avaient entendu
remercier la plante en lui parlant aimablement. Mais qu’importe ce
que peuvent penser les autres ! Camille avait dans ses mains le
plus beau des trésors. Elle se réfugia dans les bois voisins, chez
une vieille femme , Irène, que les gens de la région tenaient pour
sorcière. Depuis sa plus tendre enfance, Camille avait pris
l'habitude de lui rendre visite et d'échanger des confidences quand
elle s'offrait une escapade.
La
jouvencelle attendit d’être avec sa vieille amie pour ouvrir le
réceptacle végétal. Ce que les deux femmes virent les fit
s’exclamer d’émerveillement. Les onze petits pois étaient
nacrés, scintillants, translucides. D’une rondeur parfaite, ils
ressemblaient à des émeraudes plus qu'à des perles avec leur
délicate teinte verte. La vieille Irène sourit de son grand sourire
édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la chance de
ta vie ! »
Toutes
les deux passèrent la journée en d’étranges préparatifs. Quand
vint le soir, c’est une Camille transfigurée qui sortit de la
masure d’Irène. Elle portait belle robe, parure délicate,
bottines fines et gracieuses, coiffe discrète et élégante. Mais
par-dessus tout, on percevait le scintillement de son collier de
petits pois.
Elle
se rendit directement au château où ce soir-là, justement, il y
avait bal avec tous les muscadins du coin. Son apparition fit
sensation ; elle fut reçue bien que personne ne sût qui elle
était. Sa mine et sa grâce avaient ouvert des portes qui, jusqu’à
ce jour, étaient toujours restées hermétiquement closes pour elle.
Les cavaliers ne regardaient qu’elle, n’avaient d’yeux que pour
son cou élancé et fin, orné de cette merveille de pureté. Elle
eut, ce soir-là, tous les hommes à ses pieds.
Quand
les douze coups de minuit sonnèrent, Camille prit congé de
l’assistance médusée. Beaucoup de jeunes gens voulurent la
suivre, lui firent des avances, des propositions, curieusement toutes
plus honnêtes les unes que les autres. À tous ceux-là, elle déposa
un tendre baiser sur le front en murmurant : « Je choisirai
celui qui saura cultiver sa différence ! »
Elle
disparut, laissant les jeunes gens désemparés et intrigués. Mais
rapidement la surprise devint pour beaucoup de la stupéfaction, de
la colère et même de la consternation . En effet ,voulant tous la
suivre , ils se précipitèrent vers leurs carrosses. Hélas, à
la place de leurs fiers véhicules, il n’y avait plus que des tas
grossiers de légumes sur chacun desquels trônait une magnifique
citrouille.
Tous
les muscadins, à l’exception d’un seul, partirent dans une rage
folle, insultant le diable et la terre entière. Ils piétinèrent
les légumes et rentrèrent, outrés et piétons, dans leurs demeures
respectives. Seul, le jeune Brillat- Savarin comprit le message
énigmatique de la beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris
ceux qu’avaient massacrés ses collègues. Le lendemain , il alluma
un grand feu et confectionna une soupe succulente, un brouet comme
jamais plus on n’en goûterait !
Il
porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse
distribution. Brillat venait de se découvrir une passion dévorante
pour la cuisine. Il en ferait son métier en dépit de l’interdiction
qui était faite aux gens de son état de travailler. Il n’en avait
cure. Il avait pris tant de plaisir à confectionner ce mets qu’il
voulait explorer tous les mystères de la gastronomie.
Il
en était là de ses réflexions quand la dernière villageoise à
quérir un bol de soupe l’intrigua par son sourire en coin. Il lui
servit ce qu’elle était venue réclamer mais la jeune fille en
haillons ne le remercia pas. Au lieu de ça, elle découvrit sa gorge
et Brillat vit, en évidence, le collier qui lui avait fait tourner
la tête. Camille s’adressa alors au jeune homme : « Grande
et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras mon
mari et un formidable cuisinier. Je serai ta femme et cultiverai pour
toi les légumes ! »
Ainsi
fut fait. Le collier resta au cou de Camille la jardinière. Brillat
devint ce grand cuisinier que chacun connaît. Son consommé de
petits pois resta dans les mémoires comme le plus délicieux qui
soit. Pour tous les deux , ce n’était pas dans la vie oisive des
nobles et des puissants qu'ils espéraient trouver la plénitude et
le bonheur. Ils se marièrent, travaillèrent et ainsi furent-ils les
plus heureux du monde. Ni les titres ni les positions acquises ne
font le bonheur. L’épanouissement se trouve dans l’amour et le
travail ; menteurs sont ceux qui affirment le contraire.
Macédoinement
leur.
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