Au
nom de la rose …
Il
était une fois, il y a quelque temps de cela, un marchand heureux,
entouré d'une femme aimante et de leurs trois filles : Aima, Léa
et Clara. Ses affaires allaient bon train au fil de l'eau, il faut
dire qu'il vivait en Orléans, ville fort prospère en cette époque.
Il venait d'emporter un très beau marché ; il devait porter par la
Loire une grosse cargaison de céréales de Beauce.
La
charge demande beaucoup de travail, le risque est grand de
l'échauffement et de la perte de la marchandise mais si tout se
passe bien, le voyage enrichit son homme. Dans le cas contraire, la
faillite est assurée. L'homme avait confiance en sa bonne étoile et
pour plus de sûreté, il avait décidé d'être du voyage pour
veiller à ce que ces marauds de mariniers fassent convenablement
leur travail.
Avant
de partir, certain de sa bonne fortune, il demanda à ses filles ce
qu'elles souhaitaient qu'il leur rapporte de Nantes, belle et grande
ville qui était en commerce avec les Amériques et l'Afrique , en
mesure de satisfaire aux exigences des filles les plus difficiles.
Aima, l'aînée qui était fort coquette , réclama un boubou venu
d'Afrique. Léa, plus classique demanda une chemise en coton, cette
nouvelle étoffe qui venait d'Amérique . Quant à Clara, la plus
jeune, elle prétendit ne rien vouloir d'autre que le retour de son
père. Qu'il lui apporte une fleur, suffirait à son bonheur ...
Le
voyage se passa sans encombre et la vente du grain fut des plus
profitable. Le marchand avait eu le nez creux d'arriver en pays
nantais alors qu'il y avait pénurie de blé. Les prix, sont dans ce
cas-là à la hauteur du besoin et l'homme d'affaire remplit sa
bourse bien plus sûrement que les voituriers d'eau, ses employés.
Satisfait des ses affaires, il négocia un chargement d'ardoises pour
le retour de ses chalands et laissa son équipage se charger de la
remonte, plus lente et plus pénible.
C'est
alors qu'il se soucia d'acheter ce que ses deux aînées lui avaient
mandé. Quant à la fleur , il en en trouverait bien une sur le
chemin. Il acheta un cheval pour rentrer au plus vite car le retour
par la Loire est souvent bien plus long , périlleux, incertain,
d'une durée imprévisible, à cause des aléas de la navigation et
des humeurs du vent . Sa présence sur le bateau n'était plus
nécessaire d'autant qu'un chargement d'ardoise ne nécessite guère
de surveillance.
Sur
la route du retour, ayant pris un chemin de traverse, à l'écart de
la piste habituelle, il tomba sur une gentilhommière qui semblait
inoccupée. La végétation avait envahi les allées, des animaux
couraient sur les pelouses. Le marchand était curieux et, harassé
par une longue chevauchée, il décida de pousser plus avant et se
permit d'entrer dans la demeure …
Dans
le salon, à sa grande surprise, une table était dressée. Elle
proposait des victuailles alléchantes auxquelles le gourmands
succomba d'autant plus aisément que personne ne donnait signe de
vie. Après s'être gavé, il explora la belle maison et s'enhardit
tant et si bien qu'il se coucha dans une chambre qui lui tendait les
bras. Il passa une excellente nuit et ne fut pas autrement surpris
de trouver, au petit matin, dans la salle à manger un petit déjeuner
qui paraissait avoir été servi en son honneur.
La
demeure restait étrangement vide malgré ce prodige d'une table qui
se dressait et se desservait mystérieusement. Mais un riche
marchand ne s'encombre pas de tels détails, habitué qu'il est,
d'être servi pour son bon plaisir. Il déjeuna de bon cœur et
décida de partir, Orléans n'étant pas si loin, il y serait avant
la nuit.
En
quittant les jardins, il se rappela la requête de sa plus jeune
fille. Il coupait donc une magnifique rose quand soudain, des
taillis, surgit un renard qui se mit à crier : « Voleur ! Tu
as été nourri comme il convient à un Prince et pour me remercier
de mon hospitalité, tu t'en vas en me volant une fleur ! » Et
tandis que la renard tempêtait en glapissant, une nuée de
corneilles s'en vint assaillir le pauvre marchand.
Quand
il s'agit d'échapper à une menace, même les plus fiers peuvent se
faire humbles et repentants. Le marchand, tout en se protégeant des
oiseaux, se pencha vers le renard et lui demanda pardon pour
l'offense faite. « Je n'ai pas voulu me montrer grossier.
C'est ma jeune fille qui m'avait mandé une fleur, je ne pensais pas
agir mal en prenant cette rose, d'autant que jusqu'alors, vous vous
étiez montré d'une rare générosité ! »
D'un
mot, le renard mit fin à l'attaque des oiseaux noirs et déclara
au marchand. « Soit, je te donne cette fleur mais en échange,
tu m'offriras l'une de tes filles. C'est le prix à payer ou bien
j'appelle à nouveau les corneilles qui te tailleront en pièce. »
Le marchand, pris au piège, accepta ce marché étrange et s'en
retourna fort penaud et l'esprit tourmenté en Orléans.
À
son retour, ses filles lui firent la fête. Aima adora son boubou,
Léa sa chemise tandis que Clara était ravie de trouver son cher
père. Mais le bonhomme avait une mine que les demoiselles ne lui
connaissaient pas. Il finit par avouer le marché conclu avec
l'étrange renard croisé en chemin.
Aima
s'emporta. « Ce n'est pas de ma faute, j'ai réclamé un
boubou, je n'ai rien à voir avec cette affreuse fleur ! » Léa
fit de même : « Je t'ai demandé une chemise, il n'y a aucune
raison que je paie pour cette maudite rose. » Clara, toujours
discrète et calme ne dit rien mais le soir même, à son père
elle fit part de son intention de respecter sa curieuse promesse.
C'est ainsi que Clara s'en fut ! Ses deux sœurs,étaient ravies
de la voir partir mais son père , inconsolable de perdre ainsi
celle qu'il préférait, était en proie au plus grand des désespoirs
. Elle trouva aisément la demeure mystérieuse où elle fut reçue
comme une princesse par le renard et tous les animaux du domaine.
Traitée comme une reine, elle avait tout ce qu'elle souhaitait.
Pourtant, la vie était bien triste avec pour seuls compagnons, des
animaux.
Le
renard était certes fort prévenant avec elle, mais comment se
faire à cette étrange compagnie quand on est une jeune fille , si
choyée qu'on puisse l'être ?. Chaque soir, elle devait
accepter la présence dans sa couche de l'animal qui se contentait de
se blottir à ses pieds. Elle semblait apparemment s'être résignée
assez vite à cette vie voluptueuse et fastueuse.
Le
temps passant , elle fut bientôt prise d'une nostalgie diffuse :
sa famille lui manquait. Elle se résolut à demander au renard
l'autorisation de s'en aller à Orléans passer quelques jours parmi
les siens. « Je reviendrai, mon cher renard avant les trois
jours. Je vous en donne ma parole ! »
Il
en fut fait ainsi mais avant son départ , le renard lui remit une
rose. « Si la rose se flétrit c'est que je suis malade, si
elle perd ses pétales, c'est que je serai mort et qu'il ne sera plus
nécessaire pour vous de revenir ici. Gardez-là bien auprès de
vous, ma tendre Clara et prenez ainsi de mes nouvelles. Je n'aime pas
vous savoir loin de moi. »
Clara
s'en retourna chez elle. Elle fut reçue froidement pas ses sœurs
qui s'étaient bien habituées à son départ. Heureusement ses
parents lui montrèrent, tout au contraire, une affection débordante.
Manifestement, elle leur avait beaucoup manqué. Elle passa auprès
deux jours merveilleux, se moquant des airs pincés de ses aînées
si jalouses !
Elle
regardait souvent sa rose qui ne semblait pas changer d'aspect. C'est
seulement au matin du troisième jour que la fleur se ternit, que
sa teinte se fit moins vive. Clara , alarmée , partit sur le champ
rejoindre sa prison dorée. Elle s'était prise d'affection pour ce
renard mystérieux. Elle voulait le savoir en bonne santé !
Quand
elle arriva dans la demeure, le renard était fort mal en point, le
poil terne et le museau brûlant. « Je me suis langui de vous
ma chère princesse. Je n'imaginais pas à quel point vous m'étiez
devenue indispensable. Je me meurs loin de vous ... » lui
murmura le pauvre animal d'une voix presque inaudible.
Clara
en fut émue aux larmes, se penchant sur son geôlier si aimable,
elle lui déposa un tendre baiser sur la truffe. C'est alors, comme
dans les contes de fées, qu'il se produisit un miracle. L'animal se
transforma immédiatement en un beau jeune homme, un Prince pris au
piège d'un maléfice. Une sorcière l'avait ainsi condamné à vivre
dans la peau d'un renard jusqu'à ce qu'une fille l'embrasse sur le
museau.
Depuis,
Clara vit effectivement comme une princesse auprès de son Prince
charmant. Elle a fait venir ses parents auprès d'elle. Les
corneilles se sont transformées en serviteurs discrets et efficaces.
Quant à ses deux sœurs, elles ont préféré un mariage incertain
au déplaisir de profiter de la fortune de cette sœur trop aimable.
Le
marchand, fort de cette aubaine miraculeuse décida d'abandonner le
commerce fluvial. Il céda son affaire et ses bateaux à ses hommes
d'équipage. C'est ainsi que naquit la première coopérative
batelière. De cette expérience, il ne reste pas grand chose dans
les livres d'histoire. Le miracle ne toucha que Clara et ses parents
et bien peu de mariniers en profitèrent ,
De
cette histoire, il faut retenir que la modestie des envies est
peut-être la meilleure manière de provoquer le destin. Mais je ne
suis pas certain que tous les marchands aient ainsi le respect de la
parole donnée. Si le bonhomme n'avait rien dit à sa fille, il ne se
serait sans doute jamais rien passé. Quant à ceux qui ne croient
pas aux sortilèges et aux fées, qu'ils restent dans ce monde
matérialiste et triste. Je préfère m'évader dans le pays des
fables ; il y fait si bon rêver ensemble !
Rêveusement leur.
Excellent !
RépondreSupprimerInconnu(e)
SupprimerMerci