mardi 18 juin 2019

Le brouet de l'imaginaire.


La tambouille du gribouille.




Quand on se targue de conduire les autres par le petit bout de l'imaginaire, faire la cuisine suppose parfois de se mettre au diapason de ses délires les plus fous. Il faut alors faire appel à toutes les ressources de la mythologie fantasmagorique pour créer un univers alimentaire en harmonie avec les reflets du miroir.

« Miroir, miroir, dis-moi si je suis le meilleur maître queux de la troupe ? » Il n'y a pas que l'ego qui se taille la part du lion, les convives veulent leur content de sensations et de surprises. Au royaume des songes, la table doit se parer des mille et une fantaisies du seigneur du piano. Que les feux de l'enfer soient cléments à leurs pauvres estomacs !

Le queux se met à l'ouvrage, lui qui se pense infaillible dans sa supposée science des harmonies gustatives, des mariages de textures et des clins d'yeux légendaires. Il délire bien plus qu'il compose, se laissant aller au redoutable « J'y fous tout pourvu que ce soit incongru ! ». Il lui suffit alors de croiser ses doigts crochus pour que nulle catastrophe n'intervienne dans cette alchimie qui fera de l'après-repas une soirée de plomb.

Le queux et ses sept mains se mettent donc à l'ouvrage pour façonner un repas sorti des vieux grimoires. Il a fait appel à quelques bonnes volontés pour jouer les grouillots de service, manier l'économe, touiller ou bien découper, ciseler et emballer, garnir et surtout laver à grande eau les monceaux de vaisselles qui ne manquent jamais de sortir de ses inventions oniriques.

La cuisine devient alors une ruche laborieuse, une taverne aux senteurs improbables, un gouffre de perplexité devant les combinaisons douteuses du délirant maître de cérémonie. Le repas tiendra davantage de la messe noire que de la belle table de banquet. Il faut en accepter l'augure ou bien se précipiter dans un lieu bien plus hospitalier.

Le coupe-gorge ici ne relève pas de la facture finale mais bien de la composition douteuse des assemblages impossibles. Le queux se fait sorcier et joue des images du conte pour en tirer la quintessence. La citrouille, en reine incontestée de la fable va jouer la belle Cendrillon d'avant la minuit. Elle sera la chaussure de verre de l'alimentaire de l'enfer.

Elle a été choisie grande et tourmentée. Décalottée délicatement puis creusée avec patience par des mains expertes, elle sera la marmite et le réceptacle des potions et philtres magiques. Elle prendra la meilleure place sur la table, ouvrant alors ses entrailles pour délivrer tous les fumets de la terre. Elle sera tour à tour soupière et marmite, accueillant le cortège des mets diaboliques.

Il lui faut adjoindre les animaux de la création qui ont maille à partir avec la bonne pensée de la foi officielle. L'escargot sortira de sa coquille pour s'offrir en sacrifice, tout comme la grenouille dont nulle princesse ne sortira, hélas. La coquille Saint-Jacques abandonnera le chemin miséricordieux pour aller se perdre dans des caves qui ne sont pas du Vatican mais de Roquefort. Bonne pâte, elle se fera chausson fourré.

Le chat noir de la maison eût été sans conteste le meilleur ingrédient mais des âmes trop sensibles ont crié à la barbarie. Il y a donc une échelle de valeurs dans la création et le chat est en droit d'échapper au trépas quand d'autres y succombent sans état d'âme !

Les légumes ne posent guère de problèmes de conscience. Ils sont épluchés sans le moindre sentiment à leur égard. Dans la cuisine à Vulcain, pour avoir droit de fournée, ils doivent être tortueux, biscornus et anciens. Le tubercule et la racine sont les morceaux de choix de cette sélection de la forme. Que la chair soit bonne pourvu qu'elle soit vilaine !

Le fruit doit se faire une place pour rompre les harmonies habituelles, les conventions tacites des saveurs. L'avocat ira plaider la cause de la citrouille, la pomme paiera le péché originel en se fondant dans le magma primal d'une purée parsemée d'étoiles et de grains de folie. Il faut que le convive s'interroge avant que de porter à sa bouche le poison qui l'endormira jusqu'au retour du prince charmant.

La biche sortira du bois pour s'offrir en sacrifice ultime. Elle se satisfera des baies sauvages, du genièvre et du poivre rose, s'amusera de quelques câpres et de cornichons aigrelets pour égarer le gourmet et déstabiliser les prudents. Elle s'habillera d'une sauce d'où s'exhaleront des alcools anciens, des vieilles bouteilles oubliées dans des caves profondes, des liqueurs sorties d'alambics aussi clandestins qu'aventureux.

La fête pourra commencer et, à la minuit, après avoir ingurgité cet étrange repas dont je garde volontairement le secret exact, au lieu de se livrer aux embrassades obligées de l'année qui commence, chaque convive deviendra un petit rat ou une gentille souris pour s'enfuir dans le carrosse qui aura pris la place de la citrouille. Le monde aura enfin retrouvé sa marche folle et les fous et les déraisonnables auront une année à attendre avant que de retrouver leur forme humaine.

Ainsi va la vie en ce pays de légende. La sorcière s'envolera sur son balai de genêt en se disant, une fois encore, qu'il n'est rien à espérer de ces curieux humains. Le maître queux se réveillera, la tête lourde des breuvages de la veille, inquiet de ne plus savoir ce qui tient du mensonge ou de la réalité.

À table du Bonimenteur, seuls les farfadets et les lutins,les elfes et les korrigans, les princesses et les sorcières ont leur rond de serviette. Si vous êtes du nombre, rendez-vous l'année prochaine, même endroit même heure. À bientôt les amis !

Gastronomiquement vôtre


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