La
tambouille du gribouille.
Quand on se
targue de conduire les autres par le petit bout de l'imaginaire,
faire la cuisine suppose parfois de se mettre au diapason de ses
délires les plus fous. Il faut alors faire appel à toutes les
ressources de la mythologie fantasmagorique pour créer un univers
alimentaire en harmonie avec les reflets du miroir.
« Miroir,
miroir, dis-moi si je suis le meilleur maître queux de la troupe ? »
Il n'y a pas que l'ego qui se taille la part du lion, les convives
veulent leur content de sensations et de surprises. Au royaume des
songes, la table doit se parer des mille et une fantaisies du
seigneur du piano. Que les feux de l'enfer soient cléments à leurs
pauvres estomacs !
Le queux se
met à l'ouvrage, lui qui se pense infaillible dans sa supposée
science des harmonies gustatives, des mariages de textures et des
clins d'yeux légendaires. Il délire bien plus qu'il compose, se
laissant aller au redoutable « J'y fous tout pourvu que ce soit
incongru ! ». Il lui suffit alors de croiser ses doigts crochus
pour que nulle catastrophe n'intervienne dans cette alchimie qui fera
de l'après-repas une soirée de plomb.
Le queux et
ses sept mains se mettent donc à l'ouvrage pour façonner un repas
sorti des vieux grimoires. Il a fait appel à quelques bonnes
volontés pour jouer les grouillots de service, manier l'économe,
touiller ou bien découper, ciseler et emballer, garnir et surtout
laver à grande eau les monceaux de vaisselles qui ne manquent jamais
de sortir de ses inventions oniriques.
La cuisine
devient alors une ruche laborieuse, une taverne aux senteurs
improbables, un gouffre de perplexité devant les combinaisons
douteuses du délirant maître de cérémonie. Le repas tiendra
davantage de la messe noire que de la belle table de banquet. Il faut
en accepter l'augure ou bien se précipiter dans un lieu bien plus
hospitalier.
Le coupe-gorge
ici ne relève pas de la facture finale mais bien de la composition
douteuse des assemblages impossibles. Le queux se fait sorcier et
joue des images du conte pour en tirer la quintessence. La
citrouille, en reine incontestée de la fable va jouer la belle
Cendrillon d'avant la minuit. Elle sera la chaussure de verre de
l'alimentaire de l'enfer.
Elle a été
choisie grande et tourmentée. Décalottée délicatement puis
creusée avec patience par des mains expertes, elle sera la marmite
et le réceptacle des potions et philtres magiques. Elle prendra la
meilleure place sur la table, ouvrant alors ses entrailles pour
délivrer tous les fumets de la terre. Elle sera tour à tour
soupière et marmite, accueillant le cortège des mets diaboliques.
Il lui faut
adjoindre les animaux de la création qui ont maille à partir avec
la bonne pensée de la foi officielle. L'escargot sortira de sa
coquille pour s'offrir en sacrifice, tout comme la grenouille dont
nulle princesse ne sortira, hélas. La coquille Saint-Jacques
abandonnera le chemin miséricordieux pour aller se perdre dans des
caves qui ne sont pas du Vatican mais de Roquefort. Bonne pâte, elle
se fera chausson fourré.
Le chat noir
de la maison eût été sans conteste le meilleur ingrédient mais
des âmes trop sensibles ont crié à la barbarie. Il y a donc une
échelle de valeurs dans la création et le chat est en droit
d'échapper au trépas quand d'autres y succombent sans état d'âme
!
Les légumes
ne posent guère de problèmes de conscience. Ils sont épluchés
sans le moindre sentiment à leur égard. Dans la cuisine à Vulcain,
pour avoir droit de fournée, ils doivent être tortueux, biscornus
et anciens. Le tubercule et la racine sont les morceaux de choix de
cette sélection de la forme. Que la chair soit bonne pourvu qu'elle
soit vilaine !
Le fruit doit
se faire une place pour rompre les harmonies habituelles, les
conventions tacites des saveurs. L'avocat ira plaider la cause de la
citrouille, la pomme paiera le péché originel en se fondant dans le
magma primal d'une purée parsemée d'étoiles et de grains de folie.
Il faut que le convive s'interroge avant que de porter à sa bouche
le poison qui l'endormira jusqu'au retour du prince charmant.
La biche
sortira du bois pour s'offrir en sacrifice ultime. Elle se satisfera
des baies sauvages, du genièvre et du poivre rose, s'amusera de
quelques câpres et de cornichons aigrelets pour égarer le gourmet
et déstabiliser les prudents. Elle s'habillera d'une sauce d'où
s'exhaleront des alcools anciens, des vieilles bouteilles oubliées
dans des caves profondes, des liqueurs sorties d'alambics aussi
clandestins qu'aventureux.
La fête
pourra commencer et, à la minuit, après avoir ingurgité cet
étrange repas dont je garde volontairement le secret exact, au lieu
de se livrer aux embrassades obligées de l'année qui commence,
chaque convive deviendra un petit rat ou une gentille souris pour
s'enfuir dans le carrosse qui aura pris la place de la citrouille. Le
monde aura enfin retrouvé sa marche folle et les fous et les
déraisonnables auront une année à attendre avant que de retrouver
leur forme humaine.
Ainsi va la
vie en ce pays de légende. La sorcière s'envolera sur son balai de
genêt en se disant, une fois encore, qu'il n'est rien à espérer de
ces curieux humains. Le maître queux se réveillera, la tête lourde
des breuvages de la veille, inquiet de ne plus savoir ce qui tient du
mensonge ou de la réalité.
À table du
Bonimenteur, seuls les farfadets et les lutins,les elfes et les
korrigans, les princesses et les sorcières ont leur rond de
serviette. Si vous êtes du nombre, rendez-vous l'année prochaine,
même endroit même heure. À bientôt les amis !
Gastronomiquement
vôtre
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