Le
dernier Loup du bas de la rivière …
Il était une fois un pays
qui avait pris en détestation un pauvre animal qui ne faisait de mal
à personne. Quand dans la contrée, il n'y a plus ni dragon ni
monstre, les hommes aiment à se trouver une nouvelle frayeur, une
peur commune contre laquelle unir leurs forces à bon compte. C'est
ainsi que fut lancée en 813 par le célèbre capitulaire de Villis,
édicté par Charlemagne, l'impitoyable chasse aux loups …
Les conteurs se firent eux
aussi les bras armés de la tuerie. Le loup héritait toujours du
mauvais rôle dans les histoires, s'attaquait aux gentilles
chevrettes, aux petites filles égarées ou aux grand-mères
pâtissières. Son appétit était réputé redoutable et il n'y
avait désormais pire bête dans la contrée. Bientôt, tout le pays
se mit en chasse pour traquer l'animal. Pas de quartier ni de pitié :
il fallait éliminer l'espèce …
La bataille fut rude mais
le loup résista courageusement. Pendant plus de mille longues
années, il tint tête à cette horde de lâches, de tueurs honteux,
de traqueurs sans pitié. Les lieutenants de louveterie ou
louvetiers, gens d'épées et de noblesse ne se privèrent pas
d'assouvir leur soif de sang et d'argent, allant jusqu'à lever
l'impôt dans les villages quand ils y avaient tué un loup. On a
bien du mal à trouver le rapport, mais c'est une manie bien
française que de tondre les moutons en prétendant vouloir abattre
le loup.
Les bords de Loire où les
troupeaux de moutons étaient innombrables à l'époque,
n'échappèrent pas non plus à cette terrible aventure. Les bergers
avaient sans doute parfois à se plaindre de la disparition d'un
animal, c'est alors que le louvetier arrivait pour faire son office
et ses bénéfices. Dans la razzia de la chasse à courre subie par
les paysans, quelques demoiselles se voyaient, elles aussi, traquées
par ces gentilshommes si mal élevés au bénéfice parfois de
certains loups chanceux échappés de cet odieux carnage.
Ce n'est hélas pas ce qui
en arriva en cet automne 1788 dans ce beau pays angevin. On y avait
aperçu un loup qui parcourait, solitaire, les rives de la Loire.
L'animal, méfiant, recherchait les bosquets et les forêts
profondes, prenant bien garde de ne jamais se risquer en terrain
découvert. Bien rares étaient ceux et celles qui pouvaient crier au
loup tant il était difficile d'en voir, ne serait-ce que la queue !
Il suffit pourtant d'une
paire d'yeux braquée sur lui pour ameuter toute la canaille à
l'épée. Il y avait réputation à se faire et belle aventure pour
quelques jours. Bientôt la campagne fut battue par des cadets en mal
de conquête, des nobliaux en manque de crédit, des aventuriers à
la petite semaine et la province vécut ce temps sous la coupe réglée
de pique-assiettes insatiables.
Le loup courait toujours
car ses pisteurs étaient plus souvent à table qu'à sa poursuite.
Il faut avouer que chasser le fauve vous donne une faim digne de la
proie et en la matière, cette bande s'entendait fort bien à se
montrer à la hauteur d'une réputation bien usurpée pour le bel
animal. La chasse traînait en longueur et c'est ainsi qu'il fallut,
de guerre lasse, faire appel au lieutenant de la louveterie en
personne.
Cette fois, l'affaire était
mal engagée pour ces pauvres Ligériens qui n'avaient rien demandé
à personne. Ils savaient ce qu'il allait leur en coûter. Une lourde
taxe pour financer une aimable plaisanterie, des gens d'armes à
loger et à nourrir et bien des soucis pour les pères ayant de
jeunes et jolies filles à marier. Certains, excédés par cette
perspective intolérable, affirmaient à qui voulait bien les écouter
que bientôt le vent de la révolte soufflerait dans le pays. Est-ce
cette traque au loup qui en fut la cause ? Nul ne saura le dire avec
certitude.
Toujours est-il que l'hiver
ayant été plus rude qu'aucun autre de mémoire humaine, les
nouveaux sacrifices firent monter l'exaspération et le
mécontentement dans tout le pays. Ce n'est certes pas la fin de
l'histoire qui calma les ardeurs révolutionnaires des pauvres gueux
qui bientôt prendraient leur destin en main.
Quand le lieutenant de la
louveterie arriva, on devina que l'homme allait s'installer pour
longtemps. Venu avec force bagages, il réclama une demeure
confortable afin d'y loger sa grande suite. Pour chasser le loup, il
faut s'entourer de belles dames et de valets de pied, chacun
conviendra de ces nécessités. Mais rester à table ne semble pas
très utile à la mission qui était la sienne, pas besoin d'être
instruit pour comprendre cette évidence.
Le loup pouvait dormir sur
ses deux oreilles, il ne risquait pas grand chose de ce noble
prétentieux et dispendieux. Cependant la colère montait en Anjou et
les paysans du coin, dans l'espoir de se débarrasser de ce triste
personnage en ayant la peau de l'animal, se mirent à le traquer.
Mais la chose vint aux oreilles de l'officier royal qui piqué au
vif, monta immédiatement en selle.
Le louvetier à grand
tapage, organisa une battue pour circonscrire la bête en une
clairière à ses yeux parfaite pour l'abattre sans risque de fuite.
Il avait réquisitionné tous ceux qui portaient sabots, leur
faisant perdre une journée de travail alors que nous étions au cœur
de la période des vendanges.
Vous pouvez imaginer la
colère de ceux qu'on sortait de leurs vignes pour aller tirer les
oreilles d'un loup qui n'avait jamais mangé la plus petite grappe de
raisin. Mais bon, il y avait là moyen de finir le travail et de
voir partir cet indigne personnage. Contre mauvaise fortune, bon
cœur, les vignerons œuvrèrent si bien que l'animal fut bientôt
aux abois.
Pourchassé par la meute du
louvetier, pris au piège, encerclé et mené là où des mousquets
étaient pointés sur lui, il n'avait plus de possibilité de se
sauver. Nous étions en pays Berlot, derrière la clairière, la
falaise plongeait vers la Loire en contrebas. Nul n'avait songé que
notre loup , en désespoir de cause, aurait eu la folie de se lancer
dans le vide.
C'est pourtant ce que fit
le fier animal. Il s'y jeta et après une chute qui parut
interminable, disparut dans les eaux sombres de la rivière. Chacun
crut alors que sa dernière heure avait sonné. Le lieutenant était
fort contrarié d'avoir ainsi laissé filer une dépouille qui lui
aurait rapporté une belle bourse pleine quand soudain un des soldats
du roi hurla que la loup nageait au milieu des flots.
Il y a parfois de la chance
pour la canaille. Mon histoire ne se terminera pas de manière
heureuse. Sur la Loire à ce moment- là, passait la Patache, le
bateau des affreux gabelous. Le lieutenant envoya un cavalier pour
intercepter ses collègues en grivèlerie. Quelques minutes plus
tard, il embarquait sur le bateau pour filer à la poursuite du
pauvre loup.
Contre le courant et ses
poursuivants, le fier animal n'avait plus aucune chance. Il tomba
sous les coups de bourde de l'équipage et sa dépouille se trouva
embarquée sur ce bateau si détesté. Qu'en la circonstance, le fait
que deux des institutions honnies du peuple se fussent donné la
main pour commettre cette tuerie facile, avait indigné tous ceux qui
assistèrent à cet évènement.
Il se dit que quelques
témoins furent si marqués par cette journée que certains d'entre
eux prirent une part importante lors des années chaudes qui
suivirent notre histoire. Quelques têtes tombèrent parmi les nobles
angevins. Ceux qui se comportèrent comme des loups en ces sombres
journées avaient une bonne raison de le faire aussi . Ainsi
lançaient-ils une poignée de sel et quelques jurons obscènes
lorsqu'ils jetaient leurs victimes dans la Loire.
Si la violence n'est en
rien justifiable, il se peut parfois que des comportement anciens
soient payés au prix fort quand le désespoir et la honte, la colère
et la vengeance finissent par ne plus être contenus. Que chacun
retienne cet avertissement : on ne peut indifféremment crier au
loup. Un jour au l'autre, la morsure finit toujours par advenir.
Louvement sien.
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