La
couronne soulage le mal à la racine !
Il
était une fois, en des temps très lointains, un brave menuisier de
Loire qui faisait sa besogne. Du matin au soir, quand son mal
sournois et lancinant le laissait en paix, il fabriquait des scutes,
les bateaux d'alors et des muids, foudres ou tonneaux. Les gens
disaient de lui en se moquant un peu : « En voilà un qui met
de l'eau dans son vin ! ». Remarque perfide, pour cet homme si
tempérant.
Nous
sommes en 1578, c'est du moins ce que l'on peut penser. Les dates ne
sont pas certaines et les faits un peu moins. Jean, notre menuisier,
vit en aval de Blois, entre Chailles et Candé sur Beuvron. C'est un
homme de la terre, artisan sérieux et apprécié qui aimait le
fleuve si proche. Il se plaisait à se réfugier en un endroit qui
avait sa préférence, une petite source, résurgence du fleuve et
qui y revenait bien vite.
Ce
lieu avait toujours été paré de mystère et de dévotion ancienne.
Une pierre levée signalait un culte qui n'avait plus sa place dans
le très catholique royaume de France. Jean ignorait tout de ces
histoires anciennes, il aimait l'endroit, s'y sentait mieux que
partout ailleurs dans le pays sans qu'il n'y voit malice ni diablerie
!
Jean
depuis fort longtemps souffrait de maux de dents à en devenir fou.
Les dentistes étaient inconnus, seuls les arracheurs de dents
proposaient un service radical et expéditif auquel il ne fallait pas
recourir trop souvent. En bon menuisier qu'il était, il savait la
valeur d'une dent et ne voulait pas s'en défaire à la légère.
Alors, il souffrait en silence en serrant la source de son mal !
Insidieusement,
Jean découvrit que jamais son mal ne le tiraillait quand il allait
dans son petit jardin secret. Mieux, même, il comprit que lorsqu'une
rage l'empêchait de travailler, elle s'effaçait comme par magie
quand il allait au bord du fleuve. N'ayant pas les deux pieds dans le
même sabot, Jean profita de ses escapades thérapeutiques pour
sculpter une vierge à l'enfant. C'était là un talent qu'il ne
voulait divulguer pour ne pas être sollicité pour une autre tâche.
Il avait déjà bien assez à faire …
La
Vierge terminée, Jean la laissa sur place, sans rien dire à
personne. L'endroit était à l'écart du passage, il n'y venait
presque jamais personne. Il continua de rendre hommage à Notre Dame
tout en recherchant un peu moins de tourment. C'était un mystère
qu'il ne cherchait pas à comprendre ni même à dévoiler. Les
esprits d'alors étaient si vite prompts à évoquer la sorcellerie !
Cependant,
les fuites fréquentes du menuisier intriguèrent quelques
paroissiens en mal de médisance. Certains prirent même la peine de
le suivre et découvrirent le pot aux roses. Jean fut sommé d'avouer
le pourquoi du comment. S'il avait sculpté un bon petit diable ou un
animal de nos forêts, il eut fini sur le bûcher à n'en point
douter.
Mais
le visage sublime de sa Vierge à l'enfant lui sauva la vie et ses
espoirs de vie éternelle. On s'enquit alors des raisons de sa
dévotion et il dut avouer qu'il venait chercher auprès de la dame
du répit dans ses douleurs dentaires. Personne ne s'en étonna. Bien
au contraire, la nouvelle se répandit qu'il y avait une statue aux
pouvoirs miraculeux pour tous les affligés des quenottes. Ils
étaient nombreux en ces temps de carences multiples.
Le
temps passa, Jean ne fut plus qu'un souvenir qui s'effaça quand tous
ceux qui le connurent prirent la même destination fatale. Pourtant,
sa statue ne cessait d'agir pour le bien du confort buccal. De
grandes processions se firent pour venir poser une couronne au pied
de la Dame. Si elle ne prenait pas le mal à la racine, elle le
soulageait si souvent que les fidèles revenaient fréquemment lui
faire hommage.
Il
y avait en ces temps que l'on prétend obscurs de nombreux endroits
qui apportaient du soulagement aux pauvres gens. Une fontaine, un
puits, des herbes, une relique, une incantation, la posologie était
simple et son coût économique. Personne ne réclamait l'exclusivité
de la faveur mystérieuse et tout allait pour le mieux dans ce monde
de misère !
Mais
le curé de Chailles n'était pas homme de robe à se laisser marcher
sur les pieds. Il avait dans sa paroisse une statue guérisseuse,
quel besoin avait-elle de se trouver dans les bois, sur les bords de
la Loire ? Charité bien ordonnée commence par soi-même, le saint
homme se disait qu'en faisant venir à lui cette belle aubaine, il
ferait le plein bien mieux que le curé d'à côté.
Il
narra en sermon ces nouvelles intentions. Il voulait frapper les
esprits, préparer ses ouailles à cette belle idée. Il pensait que
la nouvelle demandait un peu de temps avant de faire son chemin. Il
ne pensait pas se tromper de la sorte.
Si
tôt évoqué ce pieux projet, un bûcheron aussi gaillard que peu
enclin à la réflexion, se mit, au sortir de la messe à répondre
immédiatement à la prière de son confesseur. Il fit bien vite, le
chemin jusqu'à la source et rapporta sur son épaule la statue
pourtant d'un poids respectable. Le curé se préparait pour les
vêpres quand il vit arriver un étrange équipage …
C'est
le bûcheron qui se fit sonner les cloches quand jamais on entendit
le tocsin dans ce pays tranquille. Qu'on prenne son sermon pour
parole d'évangile ne semblait pas réjouir cet homme de Dieu. Il
fallait du décorum, de la belle procession pour déplacer une pièce
aussi rare. L'homme des bois n'y connaissait rien dans le marketing
religieux. Il retourna illico remettre la Dame dans sa clairière.
Ce
ne fut que quelques mois plus tard, le temps de soigner
l'organisation et de faire venir des huiles épiscopales que la
Statue revint officiellement prendre place en l'église du village.
Il est vrai que la fête fut fervente, que les prières ne manquèrent
pas et que la belle sculpture était parfaitement mise en valeur en
ce lieu.
Hélas,
mille fois hélas, de vertus thérapeutiques, plus jamais elle n'eut.
Il était trop tard et notre curé eut beau s'en mordre les doigts,
la réputation de la Vierge à l'enfant tomba vite. Les croyants ont
aussi besoin de quelques certitudes. La statue désormais les
laissait sur leur faim de guérison.
Cette
histoire tomba bien vite dans les brumes de la mémoire locale.
Personne ne s'interrogea vraiment sur les raisons de ce désamour
céleste. Les gens avaient d'autres chats à fouetter ! Il fallut
qu'un expert en menterie passe dans la région pour recueillir
l'histoire et trouver bien vite l'explication. C'était la source qui
était tellurique ! Depuis, elle a disparu et personne ne viendra
contredire ce bonimenteur plus menteur qu'un arracheur de dents !
Iconoclastement
vôtre.
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