mercredi 26 juin 2019

Un brave menuisier de Loire


La couronne soulage le mal à la racine !



Il était une fois, en des temps très lointains, un brave menuisier de Loire qui faisait sa besogne. Du matin au soir, quand son mal sournois et lancinant le laissait en paix, il fabriquait des scutes, les bateaux d'alors et des muids, foudres ou tonneaux. Les gens disaient de lui en se moquant un peu : « En voilà un qui met de l'eau dans son vin ! ». Remarque perfide, pour cet homme si tempérant.

Nous sommes en 1578, c'est du moins ce que l'on peut penser. Les dates ne sont pas certaines et les faits un peu moins. Jean, notre menuisier, vit en aval de Blois, entre Chailles et Candé sur Beuvron. C'est un homme de la terre, artisan sérieux et apprécié qui aimait le fleuve si proche. Il se plaisait à se réfugier en un endroit qui avait sa préférence, une petite source, résurgence du fleuve et qui y revenait bien vite.

Ce lieu avait toujours été paré de mystère et de dévotion ancienne. Une pierre levée signalait un culte qui n'avait plus sa place dans le très catholique royaume de France. Jean ignorait tout de ces histoires anciennes, il aimait l'endroit, s'y sentait mieux que partout ailleurs dans le pays sans qu'il n'y voit malice ni diablerie !

Jean depuis fort longtemps souffrait de maux de dents à en devenir fou. Les dentistes étaient inconnus, seuls les arracheurs de dents proposaient un service radical et expéditif auquel il ne fallait pas recourir trop souvent. En bon menuisier qu'il était, il savait la valeur d'une dent et ne voulait pas s'en défaire à la légère. Alors, il souffrait en silence en serrant la source de son mal !

Insidieusement, Jean découvrit que jamais son mal ne le tiraillait quand il allait dans son petit jardin secret. Mieux, même, il comprit que lorsqu'une rage l'empêchait de travailler, elle s'effaçait comme par magie quand il allait au bord du fleuve. N'ayant pas les deux pieds dans le même sabot, Jean profita de ses escapades thérapeutiques pour sculpter une vierge à l'enfant. C'était là un talent qu'il ne voulait divulguer pour ne pas être sollicité pour une autre tâche. Il avait déjà bien assez à faire …

La Vierge terminée, Jean la laissa sur place, sans rien dire à personne. L'endroit était à l'écart du passage, il n'y venait presque jamais personne. Il continua de rendre hommage à Notre Dame tout en recherchant un peu moins de tourment. C'était un mystère qu'il ne cherchait pas à comprendre ni même à dévoiler. Les esprits d'alors étaient si vite prompts à évoquer la sorcellerie !

Cependant, les fuites fréquentes du menuisier intriguèrent quelques paroissiens en mal de médisance. Certains prirent même la peine de le suivre et découvrirent le pot aux roses. Jean fut sommé d'avouer le pourquoi du comment. S'il avait sculpté un bon petit diable ou un animal de nos forêts, il eut fini sur le bûcher à n'en point douter.

Mais le visage sublime de sa Vierge à l'enfant lui sauva la vie et ses espoirs de vie éternelle. On s'enquit alors des raisons de sa dévotion et il dut avouer qu'il venait chercher auprès de la dame du répit dans ses douleurs dentaires. Personne ne s'en étonna. Bien au contraire, la nouvelle se répandit qu'il y avait une statue aux pouvoirs miraculeux pour tous les affligés des quenottes. Ils étaient nombreux en ces temps de carences multiples.

Le temps passa, Jean ne fut plus qu'un souvenir qui s'effaça quand tous ceux qui le connurent prirent la même destination fatale. Pourtant, sa statue ne cessait d'agir pour le bien du confort buccal. De grandes processions se firent pour venir poser une couronne au pied de la Dame. Si elle ne prenait pas le mal à la racine, elle le soulageait si souvent que les fidèles revenaient fréquemment lui faire hommage.

Il y avait en ces temps que l'on prétend obscurs de nombreux endroits qui apportaient du soulagement aux pauvres gens. Une fontaine, un puits, des herbes, une relique, une incantation, la posologie était simple et son coût économique. Personne ne réclamait l'exclusivité de la faveur mystérieuse et tout allait pour le mieux dans ce monde de misère !

Mais le curé de Chailles n'était pas homme de robe à se laisser marcher sur les pieds. Il avait dans sa paroisse une statue guérisseuse, quel besoin avait-elle de se trouver dans les bois, sur les bords de la Loire ? Charité bien ordonnée commence par soi-même, le saint homme se disait qu'en faisant venir à lui cette belle aubaine, il ferait le plein bien mieux que le curé d'à côté.

Il narra en sermon ces nouvelles intentions. Il voulait frapper les esprits, préparer ses ouailles à cette belle idée. Il pensait que la nouvelle demandait un peu de temps avant de faire son chemin. Il ne pensait pas se tromper de la sorte.

Si tôt évoqué ce pieux projet, un bûcheron aussi gaillard que peu enclin à la réflexion, se mit, au sortir de la messe à répondre immédiatement à la prière de son confesseur. Il fit bien vite, le chemin jusqu'à la source et rapporta sur son épaule la statue pourtant d'un poids respectable. Le curé se préparait pour les vêpres quand il vit arriver un étrange équipage …

C'est le bûcheron qui se fit sonner les cloches quand jamais on entendit le tocsin dans ce pays tranquille. Qu'on prenne son sermon pour parole d'évangile ne semblait pas réjouir cet homme de Dieu. Il fallait du décorum, de la belle procession pour déplacer une pièce aussi rare. L'homme des bois n'y connaissait rien dans le marketing religieux. Il retourna illico remettre la Dame dans sa clairière.

Ce ne fut que quelques mois plus tard, le temps de soigner l'organisation et de faire venir des huiles épiscopales que la Statue revint officiellement prendre place en l'église du village. Il est vrai que la fête fut fervente, que les prières ne manquèrent pas et que la belle sculpture était parfaitement mise en valeur en ce lieu.

Hélas, mille fois hélas, de vertus thérapeutiques, plus jamais elle n'eut. Il était trop tard et notre curé eut beau s'en mordre les doigts, la réputation de la Vierge à l'enfant tomba vite. Les croyants ont aussi besoin de quelques certitudes. La statue désormais les laissait sur leur faim de guérison.

Cette histoire tomba bien vite dans les brumes de la mémoire locale. Personne ne s'interrogea vraiment sur les raisons de ce désamour céleste. Les gens avaient d'autres chats à fouetter ! Il fallut qu'un expert en menterie passe dans la région pour recueillir l'histoire et trouver bien vite l'explication. C'était la source qui était tellurique ! Depuis, elle a disparu et personne ne viendra contredire ce bonimenteur plus menteur qu'un arracheur de dents !

Iconoclastement vôtre.

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