La grande avenue du sucre
En
bord de Loire, il est possible de retrouver trace du passé glorieux
de la marine de Loire en découvrant le nom des rues pour peu que les
élus n’aient pas fait table rase de l’héritage toponymique au
profit de quelques grands hommes, souvent n’ayant jamais vécu ni
eu le plus petit rapport avec la ville.
Il
existe encore fort heureusement des noms de rues d’Orléans qui ne
sont pas amnésiques, ne s’étant pas encore pliées à la vaine
vanité de la gloire posthume des célébrités de pacotille. Nous
préférons mille fois la Rue de l’Écu d’Or à la celle d’un
général d’Empire, la Rue des Tanneurs à un Président du
Conseil, la Rue de la Chèvre qui Danse ou celle de la Main qui File
à des mauvaises canailles déjà tombées dans l’oubli.
Les
abords des quais sont ainsi riches de plaques qui renvoient aux
activités portuaires et ligériennes : Rue des Pêcheurs, du Pont de
Cé, de la Bascule, de la Motte Sanguin, de l’Âne qui veille, de
Chasse-Coquin, des Aydes, des Turcies, du Fil de Soie… La Liste
serait trop longue et c’est tant mieux.
Plongeons
tout particulièrement dans l’une d’entre-elles, plus évocatrice
encore que les autres : la Rue Notre Dame de Recouvrance. Le nom de
la rue est intimement lié à l’activité marinière dont le port
principal était à ce niveau. Le pierré est d’ailleurs enfoui
sous l’herbe, il n’est pas de même forme que celui du quai du
Châtelet. La pente douce conduit jusqu’à la Loire sans qu’il y
ait de quai plat. Des pontons permettaient alors de s'amarrer,
trouver une « planche » était alors le souci des
mariniers. Les marchandises qui arrivaient ici étaient directement
liées à deux choses :
1
) Le commerce vers Paris en allant transiter sur la Place du Martroi,
la rue Notre Dame de Recouvrance était alors l’artère principale
pour se rendre là avant le percement de la rue Royale. Le vin, les
fruits, les ardoises, longue serait la liste des produits transitant
ici.
2
) L’approvisionnement des nombreuses raffineries de la rue. Les
grandes façades bourgeoises de la rue attestent encore de cette
activité essentielle à partir des années 1650. La mélasse
arrivant des Antilles et devenant du sucre blanc ici.
L'église
Notre dame de Recouvrance confirme à la fois de la culture maritime
de l’endroit tout comme de l’inquiétude des femmes de mariniers
qui venaient prier en ce lieu pour le retour de leurs époux. Une
chapelle dite de Bon Secours avait été érigée par ces dames dans
l’église.
Les
Dames de Bon Secours relèvent d’une toute autre activité sur
laquelle il convient de fermer les yeux. Une maison close réputée
donnait en effet sur la rue. À deux pas de là, la rue de la Chèvre
qui Danse peut signifier la présence d’un Cabaret. On trouve de
nombreuses évocations de la vie bourgeoise du quartier dans le livre
« Mémoires d’un Guêpin » durant la période
révolutionnaire.
Plus
loin dans le temps, la rue correspond, à partir du restaurant, aux
fossés extérieurs de la muraille enserrant la ville au XIV°
siècle. On trouve des vestiges de cette muraille derrière la Tour
Saint Paul et plus bas au niveau du remarquable hôtel particulier de
la rue Croix de Bois. Le nom des rues démontre l’ancienneté de
cette zone qui fut même investie durant la période Gauloise. Dans
le secteur on trouve un peu plus haut des sépultures celtes avec des
parures de Pygargues, cet aigle pêcheur qui ornait également les
pièces de monnaie.
La
Rue Notre Dame de Recouvrance fut un temps prévue pour constituer
l’artère principale de la cité permettant la traversée de la
Loire. Les premiers projets prévoyaient la construction du Pont
Royal dans son prolongement. Le projet fut abandonné et la rue
perdit un peu de son aura. La fin des distilleries avec le blocus
anglais et la généralisation de la betterave sucrière transforma
sa nature, elle devint une rue résidentielle après avoir été
diablement active.
Nous
ne conservons trace que des façades bourgeoises des distilleries.
Les usines étaient dans l’arrière cour et eurent bien vite
d’autres destinations. Autre caractéristique de l’endroit, un
peu plus bas que le restaurant, nombre de maisons disposent de trois
niveaux de caves voûtées, héritage de l’activité mais aussi de
la présence de la Loire un peu plus de 80 mètres plus haut que son
lit actuel à l’époque Gallo Romaine.
Tout
ceci ne fait pas de la Rue Notre Dame de Recouvrance le cœur de la
cité historique puisqu’à l’époque de Ceno « Nom Celte de
la future Orléans » celle-ci était une campagne peuplée
d’habitats isolés, mais bien une extension considérable de la
ville à partir du XV° siècle. Son emplacement en aval de la ville
et des ponts successifs (Pont des Tourelles puis Pont Royal) lui
octroyant un avantage considérable sur les Ports faisant face au
Châtelet.
La
Orléans Industrieuse est née ici. Elle se prolongea encore au-delà
des raffineries avec des petits établissements industriels (Pompes
hydrauliques, Automobiles, Filatures, …) jusqu’à péricliter
quand Orléans devint une immense garnison. La rue de Recouvrance est
donc la tête de pont d’un pan entier de l’histoire locale. La
Loire permettant alors l’acheminement de marchandises et de
produits alimentaires venant du Sud, il y a une continuité qui ne
trahit pas ce glorieux passé.
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