Une
bien triste histoire.
Il
était une fois Saturnin, un canard en plastique, fort content de sa
belle teinte jaune et assez satisfait de ne pas être muni d’un
vibreur qui l’eut destiné à un tout autre usage. Lui, il se
contentait de faire « coin-coin » quand on le pressait
pour réjouir un enfant dans son bain. Mais, la destinée prend
parfois de bien curieuses voies, notre charmant animal se retrouva en
eau trouble, certes savonneuse à souhait, parfumée comme il se doit
de produits aussi inutiles que néfastes à la planète, mais hélas
diablement tourmentée.
L’enfant
qui l’avait adopté était particulièrement malheureux. Le canard
s’en rendit vite compte. L’enfant portait sur tout le corps des
traces non équivoques. Seul le bain était pour lui, un havre de
paix, un moment de quiétude loin des coups et désamour. Saturnin
s’employait de son mieux à offrir un peu de bonheur à celui qui
en manquait cruellement dans le monde des humains.
Un
canard en plastique ne dispose hélas que de bien peu de ressources
pour panser les plaies d'un enfant. Il était désolé face à son
impuissance et espérait de toutes ses forces, parvenir un jour à
voler de ses propres ailes pour combattre ce qu’il vivait comme une
effroyable injustice. C’est une rencontre peu ordinaire qui lui
permit d’espérer infléchir le sort de l’enfant comme celui de
milliers d’autres dans son cas.
Saturnin
vit un jour débouler dans la baignoire une Otarie en caoutchouc,
animal élégant, munie d’un sifflet aigu. Elle aussi ne demandait
qu’à être pressée pour exprimer son affection à celui qui en
manquait tant. Durant leurs longues périodes d’inaction, quand les
deux amis avaient les pieds au sec, ils conversaient de ce qu’ils
pouvaient entreprendre pour éloigner le malheur de l’enfant.
L’otarie
avait eu des cousins faisant tourner des ballons sur leur nez,
vedettes incontestées des cirques et autres parcs d’attraction.
Elle avait, comme ses congénères, le sens du spectacle et de la
communication, des idées qui peuvent mobiliser les humains surtout
quand celles-ci sont grotesques et dérisoires. C’est là désormais
le secret des entreprises humaines ; plus c’est ridicule, plus les
foules s’y pressent comme à confesse !
Ainsi
donc, l’animal qui n’était pas manchot pensa qu’il était
possible de briser la glace de l’indifférence en organisant un
grand événement caritatif pour réunir des fonds au profit de
l’enfance en détresse. L’otarie fit le tour des bonnes idées
avec son collègue Saturnin. Ils organisèrent tous deux une tempête
dans deux crânes, terme qui ne peut rien évoquer à ceux qui ne
parlent que franglais.
Saturnin,
élevé à la vieille école des kermesses d’antan proposa une
loterie avec des canards en plastique dans une bassine et des enfants
munis de cannes à pêche. L’otarie se gaussa de cette suggestion
si ringarde. Otarie lui conseilla de changer d’époque, de voir le
problème à plus grande échelle. Saturnin se gratta le bec et
proposa de mettre ses congénères dans une piscine tout en équipant
les enfants de rayons laser. Otarie le félicita pour ce saut dans la
modernité tout en émettant des réserves sur la manière de
distinguer le lauréat dans pareil contexte.
Les
deux amis continuèrent ainsi leur jeu de ping-pong cérébral. Plus
les idées fusaient, plus la méthode devenait spectaculaire. Bientôt
ils en vinrent à imaginer de lâcher des milliers de canards en
plastique dans le plus grand fleuve français. Ils se réjouissaient
de l’absurdité d’une telle idée, un gage de réussite selon les
critères d’une société délirante, en route vers la décadence.
Mais
Otarie avait le souci de la préservation de la planète. Les
nouvelles qui lui venaient de l'Arctique lui chauffaient les
oreilles. Il convenait de ne point plaisanter avec l’écologie. Le
développement durable doit être notre ligne de conduite, décréta
le sage mammifère marin. Saturnin, étourdi de nature, pensa alors
qu’il fallait changer son fusil d’épaule, des lapins en
plastique justifieraient le développement du râble !
Otarie
éclata de rire. Le pauvre canard voulait réaliser le mariage de la
carpe et du lapin dans un contexte des plus néfastes. Il convenait
de lui expliquer que le lapin a fort mauvaise réputation chez les
marins d’eau douce. Quand on veut conjurer le sort des enfants, il
convient de ne pas se jouer des mauvais présages. Le lapin tomba à
l’eau et le canard refit surface.
Les
modalités de la chose méritaient des études approfondies. Faire
venir des moutons de manière à les tondre de quelques deniers n’est
certes pas chose bien compliquée. Il suffit d’y mettre les moyens,
de soigner la publicité et d’utiliser tous les médias
disponibles, si prompts du reste à remplir pareil service. Le plus
délicat est de transformer alors les moutons en dindons de la farce.
La question exigeait du doigté.
C’est
Saturnin qui eut l’idée de la carotte. Il avait côtoyé un âne
en peluche sur les rayons de son supermarché et savait que les
hommes aiment à se faire rouler dans la farine. Ils peuvent mettre
la main à la bourse s’ils sont persuadés qu’ils ont à y gagner
quelque chose. Il fallait les attirer par quelques lots somptueux.
Faire la charité sans espérer en tirer profit, même les grands
mécènes y ont renoncé. La défiscalisation d’une partie des dons
est là pour en attester la chose.
Saturnin
et Otarie se dirent qu’offrir une voiture au premier canard
franchissant la ligne d’arrivée serait le moteur d’une hystérie
collective parmi le bon peuple. Le seul problème étant ensuite de
récupérer les canards afin qu’ils n’aillent pas rejoindre le
sixième continent. C’est ainsi qu’il fut imaginé par nos deux
compères des filets et des hommes grenouilles, autant de dépenses
supplémentaires de nature à manger la grenouille. Il faut savoir
prendre des risques quand on veut faire une bonne action.
La
suite serait délectable si tout cela n’était dérisoire car c’est
sur la Loire en Orléans que se produisit cette farce, lors du grand
Festival ligérien. Les canards se précipitèrent par milliers dans
les flots, les dindons s’accumulèrent sur la rive, celle-là même
qu’ils avaient boudée tout au long de la fête. Spectacle
contradictoire avec ses bateaux de bois naviguant sur l’autre
partie de la rivière, le plastique ici, faisant authentiquement
mal-façon.
Otarie
fonda un club pour perpétrer son idée, qu’elle labellisa afin de
la vendre fort chère aux gogos désirant la prendre. Ici, seuls les
gros et juteux comptes font recette, le canard fut laqué sur un
bateau chinois qui accueillit les jouets que les humains avaient
abandonnés à la loterie des flots. Le vainqueur repartit avec son
automobile, pensant à tort qu’en pareille circonstance, elle ne
pouvait qu’être amphibie, noya le moteur et tout ce qui allait
avec n’ayant que ses yeux pour pleurer son canard et sa coccinelle.
Le
canard revint dans sa baignoire, jugeant qu’il était mieux dans ce
bassin fermé à l’abri des yeux cupides. L’enfant finit par
trouver un peu d’amour auprès des siens. L’histoire est si
absurde que nul ne songerait à la mettre en application. Ce n’était
que rêve de jouet, tout comme les enfants, ils ne sont pas assez
sots pour imiter les adultes dans leur déraison.
Caritativement
leur.
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