Il
était une fois
Combleux fut
longtemps un charmant village vigneron lové en bord de Loire jusqu’à
ce que le canal, inauguré en 1692, ne transforme radicalement
l’existence de ses habitants. Deux siècles et demi durant, la vie
à Combleux sera ponctuée par la confrontation culturelle entre
culs-terreux et chie-dans-l’eau. Suivons Rosalie, une enfant du
pays, le temps de ce petit voyage dans le passé du village des
mariniers à travers quelques épisodes significatifs de la vie
ligérienne.
Elle
s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de
paysans. L'homme travaille la vigne, la femme élève des chèvres.
Rosalie a de la chance : son père accepte de l'envoyer à
l'école paroissiale. Elle va y apprendre à lire : un privilège
à l'époque pour les filles, que les familles préfèrent
habituellement garder à la maison.
Rosalie
est vive, indépendante ; elle aime par-dessus tout la Loire et
le canal. Elle voue une amitié secrète au père Léon, un batelier
du canal qui vit dans une petite cabane quand il n'est pas sur sa
flûte berrichonne.
Léon
a enseigné à la gamine le secret des plantes ; on le dit un
peu sorcier. Il lui a surtout transmis le virus de la navigation. Un
jour où le bonhomme devait livrer des fûts à Orléans, il l'a
prise sur sa péniche pour franchir l'écluse et plonger dans la
rivière. La gamine n'oubliera jamais ce grand moment. Elle se jure
de naviguer à son tour ….
Quand
Rosalie atteint ses douze ans, le temps est venu de la mettre au
travail. Elle a de la chance : la mère Victoire, qui tient
l'Auberge de la Marine, cherche une jeune servante ; elle
apprécie la gamine qu'elle connaît un peu. Après bien des
hésitations, dues à la réputation des mariniers qui fréquentent
l'auberge, les parents de Rosalie acceptent.
La
Petiote, comme l'appellent les mariniers, fait des merveilles. Elle
court partout, sert des chopines, débarrasse les tables. Elle est
appréciée de tous et gare à celui qui s'aventurerait à lui
manquer de respect, la mère Victoire veille et ne s'en laisserait
pas compter.
Rosalie
grandit, elle devient une belle jeune femme qui a beaucoup de succès
parmi les gars qui vont sur l'eau. Quant à elle, elle n'a d'yeux que
pour les mariniers, son rêve étant de faire un grand voyage un jour
…
C'est
François, un bel Angevin qui eut sa préférence. Ils se plurent,
ils se marièrent. François était secret : il ne lui disait
pas tout. Il vivait surtout de faux-saunage : le trafic du sel.
La gabelle avait disparu mais le sel était toujours autant taxé. Il
allait le chercher en Bretagne pour le livrer en Anjou.
Un
jour, il fut surprit par des gabelous à bord de leur patache. Il
plongea pour leur échapper, ne revint jamais à la surface. Son
corps fut repêché quinze jours plus tard, enterré dans une fosse
commune. Rosalie apprit le malheur de la bouche d'un compagnon de son
homme qui avait assisté à distance au drame. Elle était veuve
avant d'avoir été vraiment épouse.
Rosalie
avait vécu auparavant bien des misères. Elle avait connu le
terrible embâcle de 1789. La Loire et le canal pris par les glaces
durant cinq semaines. Une horreur ! Puis était survenu le
redoux et pire que tout, la débâcle ou la resserre comme disent les
mariniers. Une vague gigantesque avait tout noyé, tout détruit ;
bateaux, hangars, maisons.
Rosalie
pensait avoir connu le pire. Il lui fallait refaire sa vie. C'est
vers un autre marinier qu'elle jeta son dévolu ; encore un gars
de la Loire d'en bas, un natif de Montjean : Élie. Il était
avisé, marinier courageux et travailleur. À force d'économie, Elie
était devenu voiturier, il naviguait pour son propre compte.
Il
acheta un champ de pommiers sur pied . La récolte fut excellente. Il
chargea son chaland et remonta jusqu'à Combleux en train de bateaux.
Là, le train se disloqua et chacun remonta le canal à son rythme.
Élie demanda à Rosalie de l'accompagner, enfin, elle allait
naviguer !
Ce
furent les seuls moments de joie et de bonheur pour elle. Rosalie
était libre, elle allait sur l'eau comme elle l'avait toujours
espéré, enfant. Elle repensait à son vieil ami Léon, elle saluait
les femmes qui étaient à l'ouvrage dans les lavoirs. Elle montait à
la capitale. Durant quelques jours elle vendit des pommes avant que
de pouvoir, l'espace d'une seule journée, flâner dans les rues de
cette grande ville.
Puis
ce fut le retour de son unique navigation. Elie avait négocié un
fret pour le retour : des fûts vides pour faire vieillir le
vinaigre chez Dessaux. Rosalie se voyait faire ainsi chaque année ce
merveilleux voyage ; il lui fallut déchanter. La roue avait
tourné : les vapeurs prirent la place des chalands avant que le
chemin de fer ne mette tout le monde sur la terre ferme.
Elle
ne ferait jamais ce grand et long trajet sur la Loire dont elle avait
toujours rêvé , elle resta à jamais attachée à son quai de
Combleux qui bientôt se dépeupla. Elle connut des inondations
terribles, des drames, des malheurs mais jamais, ô grand jamais,
elle ne cessa d'aimer la Loire, de l'admirer et de lui vouer une
vénération sans faille.
Rosalie
était enfin de la rivière et du canal. Elle avait grandi dans cet
écrin merveilleux : son village de Combleux, la perle de
l'Orléanais. Elle continua à travailler à l'Auberge de la Marine,
là où l'esprit du vent de Galerne souffle à tout jamais. Poussez
la porte de l'établissement et humez cet atmosphère unique. Ici, la
Loire renoue avec son glorieux passé et si vous fermez les yeux,
vous pouvez retrouver Rosalie, Victoire et tous les mariniers
d'alors !
Mémoriellement
leur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire