En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
De
plus en plus de lieux, initialement destinés à tout autre chose,
proposent en catimini des spectacles l’information circulant le
plus souvent de bouche à oreille ou par la magie des courriels afin
d’échapper à l’hydre Sacem. La musique se meurt de ce monstre
avide qui réclame sa part pour servir les plus grands et ignorer les
petits artisans locaux de la chanson. Beaucoup s’efforcent de
contourner ce Racket en agissant ainsi et tendent ensuite un chapeau
pour dédommager les artistes.
Nous
n’ignorons pas que pour le fisc, cela s’apparente à du travail
au noir. C’est un affreux crime contre le Trésor Public, une
odieuse dissimulation de revenus, colossaux à n’en point douter.
Il est préférable d’en rire avant que de plonger la main dans
ledit chapeau pour en compter les pièces. Certains n’ont pas
oublié le temps lointain où ils se rendaient à la messe et leur
reconnaissance se mesure à l’aulne de quelques piécettes …
Il
se joue là, non pas la farce de la pingrerie, je ne me permettrais
pas de pointer du doigt cet affreux travers, mais bien la
considération que ces gens peuvent avoir pour ceux qui viennent les
distraire. Ils ne se rendent nullement compte de la somme de travail
et d’investissement humain et financier qui se cache derrière un
spectacle, fut-il modeste. Des heures de création, de réflexion,
répétition, de mise au point ainsi que l’achat d’un matériel
toujours plus onéreux et sophistiqué.
C’est
certes pour nombre de ces amateurs éclairés, un plaisir tout autant
qu’un loisir. Ils ne désirent ni fortune ni d’en faire un
métier, ils souhaitent simplement qu’on reconnaisse à sa juste
valeur ce qu’ils font du mieux de leur possible. Il est certain que
souvent ils souffrent de la comparaison avec les vedettes exposées
sur les écrans, mais de là à penser que ce qu’ils proposent ne
vaut que des roupies de sansonnet, il y a un monde.
J’ai
eu le déplaisir de découvrir dans un chapeau une somme si
considérablement ridicule que j’en tirai deux conclusions
diamétralement opposées. Ma prestation était d’une insignifiance
et d’une médiocrité rares, ce qui m’interroge alors sur la
résistance de ces gens qui sont restés jusqu’à son terme,
supportant plus de 90 minutes d’inepties abracadabrantes sans même
songer à partir alors qu’il n’avait rien déboursé pour être
là ou bien ces braves gens n’avaient strictement aucune idée de
la somme à débourser pour un spectacle.
Je
penche, sans doute par orgueil et vanité pour la seconde hypothèse.
Mettre ainsi dans le chapeau en moyenne un tout petit peu plus de
deux euros par personne, cela relève du denier de l’inculte. La
somme récoltée ne couvrant même pas les frais de déplacement, la
mesure était bien plus pleine que la bourse.
Vous
pouvez penser à juste raison que ces spectateurs se sont en agissant
ainsi honorés d’une obligation avant que de s’enfuir à toutes
jambes. Ce serait légitime tant leur geste semble exprimer un
mécontentement profond. Mais il n’en est rien, ils sont restés
pour discuter, dire leur satisfaction et le bon moment qu’ils
avaient passé en ma compagnie. C’est donc qu’il n’avait aucune
conscience de la signification exacte de ce chapeau qui circula dans
la salle…
C’était
pour l’essentiel un public qui n’avait sans doute pas l’habitude
de se rendre dans une salle de spectacle. Dans un petit bistrot très
rural, ils étaient venus passer un bon moment, se divertir et
prendre une ou deux consommations. Leur geste atteste simplement du
peu de crédit qu’ils accordent au spectacle vivant, de l’absence
totale de repères qu’ils ont en ce domaine et non d’un mépris
ou d’une indifférence désolante. Ironie du sort, le soir-même,
j’étais à mon tour spectateur d’un spectacle au chapeau. Il fut
formidable et je glissai dans ce réceptacle à obole autant que ce
que j’avais laissé à mon partenaire quelques heures auparavant ce
qui fit sourire un ami averti de mes déboires et qui m’en fit la
remarque.
Qu’en
conclure ? J’avoue ne pas trop savoir même si j’ai la ferme
intention de ne pas renoncer à me rendre à de tels rendez-vous,
fusse au prix de quelques désagréments pécuniaires. Je suis
convaincu de la nécessité de me produire là où le conte
habituellement ne vient jamais, loin d’un public averti et habitué.
Si le risque est de recevoir de tels chapeaux, j’en accepte le prix
à payer. À votre bon cœur messieurs dames.
Phénomène de
société, mal-être civilisationnel, besoin d'exister au travers de
ce qui se fait de plus futile, recherche effrénée à moins
qu'elle ne soit désespérée d'avoir
son petit quart d'heure de célébrité à moins tout simplement que
ce ne soit une excroissance démesurée du nombril, les réseaux
sociaux bruissent indéfiniment du quotidien le plus insipide et sans
intérêt des naufragés de la toile.
C'est ainsi que
nous apprenons, médusés et forcément admiratifs, le menu de ce que
mange celui-ci tandis que cet autre nous fait part
de l'apparition inopinée et traitresse
d'un furoncle mal placée. Mettre en place des trésors de
technologie pour que parviennent jusqu'à nous de telles informations
relève de la plus parfaite farce.
Le déballage
est incessant. Nous pouvons tout savoir pour peu que l'on prenne un
peu garde à ces bouteilles à la mer qui sont déversées par
convois entiers sur ce lien ténu qui n'avait certes pas été
imaginé pour atteindre de tels bas-fonds. Faut-il que nos semblables
aillent mal pour éprouver le besoin de se mettre ainsi à nu,
prenant le risque d'être lus par de parfaits inconnus ?
Mais qu'ont-ils
besoin de raconter de telles inepties si ce n'est de tenter de se
faire une infime place dans un monde qui broie l'individu, ne laisse
plus la place au dialogue et à la conversation de visu ? Le
dernier rhum du petit dernier prend place à côté des pirouettes et
des facéties de l'animal domestique, tandis que chacun prend la
peine d'informer la planète entière de la mort d'une vedette,
information du reste largement relayée par les autres médias ?
Le plus
surprenant encore sont les bulletins météorologiques en direct,
annonçant à tout un chacun
que la pluie, la neige ou la grêle tombent chez eux, leur évitant
ainsi de mettre le nez à la fenêtre et surtout, leur épargnant de
quitter des yeux leur merveilleux écran. C'est ainsi que ce qui
était autrefois la spécialité de la boulangère, pour agrémenter
la vente, devient aujourd'hui un contenu essentiel et filmé sur la
toile. Des big datas, des satellites, des ordinateurs et une folle
débauche d'énergie pour un tel truisme. C'est à pleurer de rage.
Le phénomène
est si puissamment ancré que rien désormais ne permettra un retour
en arrière d'autant que la comptabilisation des pouces en l'air
permet à ses naïfs de croire qu'ils existent dans le cœur de ceux
qui leur font offrande d'un intérêt virtuel. Le désespoir se
mesure ainsi et ne laisse que peu de place à la formulation sincère
que chacun aimerait écrire sous ces messages ridicules.
Mais comment
dire sans être méchant ? Mais pourquoi s'immiscer dans cette
confession publique sans la moindre valeur ? Il faut laisser
dire ces êtres au cœur de leur naufrage qui s'agrippent
à ces messages misérables. Ils n'ont
même pas conscience de la vacuité de leur démarche pas plus qu'ils
ne prennent en compte le coût carbone de leur SOS pathétique.
Peut-on encore
qualifier de social ce qui relève désormais de l'exhibition
intime ? Notre époque s'empare de ces formidables instruments
de la technologie pour en faire ce qui se faisait de plus dérisoire
dans nos sociétés archaïques. Le café du commerce amplifié à
l'infini, le propos de comptoir transmis au monde entier, la
confession publique servie à
des inconnus qui n'en ont cure et tout ça avec la complicité
d’algorithmes qui doivent se creuser les circuits imprimés pour
donner du sens à cette bouillie infâme.
Pouvons-nous
espérer un sursaut d'intelligence ? Le risque tout au contraire
est de voir ceci devenir la norme pour toujours plus abaisser les
humains au rang de pions robotisés sans le moindre jugement ni la
plus petite distance intellectuelle.
Comme c'est le but recherché par les instigateurs de cette machine
infernale,
il y a peu de chance que s'inverse cette diabolique mécanique du
vide.
Il
était un temps si lointain que nul ne peut en témoigner de nos
jours. Le monde n'était pas soumis aux mêmes forces que celles qui
animent notre planète aujourd'hui. Les lois de la physique ne
répondaient pas aux mêmes règles. Ainsi, les eaux ne coulaient pas
sous les ponts qui d'ailleurs n'existaient pas. Seuls les mages, les
fées, les sorcières et les elfes vivaient alors au bord de notre
rivière nourricière.
Nous
sommes en un lieu que l'on nommera par la suite le Val d''Or. Les
hommes pour y commémorer ce que je vais vous conter y bâtirent
ensuite la Basilique de Fleury. Des forces mystérieuses y célèbrent
le mariage de la lumière et des eaux de la Loire.
Mais
alors, en cette époque reculée, bien au-delà des hommes, nul
mouvement dans les eaux comme dans le ciel. Un paysage figé, une
immobilité parfaite de carte postale. Merlin ne pouvait plus
supporter ce qu'il prenait pour une absence de vie, une image
factice. D'autres prétendaient vivre au paradis, c'est sans doute
parce qu'on n'y manquait de rien. Mais la vie suppose des envies et
des frustrations, des désirs et des refus. Il fallait mettre un peu
de mouvement dans ce décor figé.
Merlin
eut alors géniale intuition. Rien ne bougeait en cet Éden
magnifique car les choses n'étaient pas nommées. Il prit alors sa
baguette magique et d'un geste solennel entreprit de donner un nom à
tout ce qu'il voyait. Chaque partie du décor ainsi désigné se
mettait à se mouvoir au gré du vent et des eaux. Car, en bon
ligérien qu'il était, c'est la Loire que Merlin baptisa en premier.
De
ce jour mémorable d'entre tous, des noms désignent toutes les
plantes, les animaux et les idées qui venaient à notre mage en
regardant son œuvre. Arbres, fleurs, insectes, poissons, nuages,
paysage, chacun avait son appellation et tout semblait prendre de la
vie.
Pourtant
bien vite, Merlin comprit qu'il manquait encore quelque chose. Que
s'il y avait mouvements et variétés dans ce décor en évolution,
il semblait lui manquer un peu de fantaisie, un souffle de volupté.
Rien de nouveau n'apparaissait. Après quelque temps, quand il eut
finit de constituer son lexique initial, il ne se passait plus rien
de neuf et de surprenant.
Merlin
réfléchit longuement. Il fallait apporter un petit brin de folie,
un désir qui venait du plus profond de chaque chose. C'est une
petite fée friponne qui lui souffla dans le cou ce petit frisson qui
le mit dans le droit chemin. Il créa alors des petits mots qui,
placés devant les noms, leur donna un genre et un nombre. Voilà une
idée fort singulière et si déterminante. Il y avait des garçons
et des filles, du désir et des attirances. La vie pouvait prendre un
tout autre essor.
Une
fois encore, après une longue période d'euphorie et de volupté,
Merlin comprit que sa création manquait encore de vérité. Si les
mouvements et les amours étaient désormais partie intégrante du
décor, il lui semblait que rien ne changeait, que tout restait en
l'état. Il manquait des différences, des variations, des débuts et
une fin. Mais comment s'y prendre ?
C'est
en observant la Loire qui n'est jamais tout à fait pareille, tout à
fait la même qu'il se dit qu'un mot devait se parer de mille et une
facettes. Son monde avait besoin de nuances, de couleurs et de
caractère. Il créa, pour notre plus grand bonheur l'immense troupe
des adjectifs. Il y avait des plus jeunes, des plus vieux, des moins
gros, des plus grands, des lestes et des balourds, des gentils et des
méchants …. La vie était désormais pleine de surprises comme de
déceptions.
Encore
une fois Merlin n'était pas encore tout à fait satisfait de son
œuvre. Si de ses yeux, il assistait à un merveilleux spectacle, il
ne parvenait pas trouver tous ses mots. Il lui fallait une autre
catégorie de termes pour décrire le mouvement. Contrairement à ce
que prétend la bible, c'est Merlin qui inventa le verbe bien après
avoir donné un nom à chaque chose de la création.
Il
pouvait désormais jouir du spectacle qu'il avait créé tout en
ayant le bonheur de pouvoir le traduire en mots pour en faire part
aux autres mages. Les eaux roulaient, grondaient, s'endormaient, se
réveillaient, brillaient. Le vent soufflait, tombait, tempêtait. Le
soleil pouvait enfin se lever ou se coucher et le ciel s'empourprait.
La vie était devenue cette merveille pour laquelle la Loire
constituait un écrin.
Merlin
était fier de ce qu'il avait accompli. Il prit grand plaisir à se
raconter des histoires, à s'inventer des aventures merveilleuses qui
se passaient en bord de Loire. Il s'arrêta pourtant au milieu du
gué. Il n'avait pas inventé les adverbes et les prépositions, les
pronoms et les conjonctions. Mais c'était là besoins bien trop
complexes pour nos mages. Il lui semblait en avoir assez fait ! Tout
le monde n'écrit pas des bonimenteries ...
Depuis plusieurs
années, je ne cesse à chaque instant d'avoir quelqu'un dans le nez,
un locataire insupportable, un être détestable qui a élu domicile
dans mon tarin. Une véritable obsession car pas un jour ne passe
sans que je n'essaie de l'en déloger et ceci sans le moindre succès.
Je pensais jusqu'alors être le seul dans ce cas, le seul à vivre ce
calvaire de souffrir d'un locataire nasal que personne ne peut
contraindre à expulser.
Les lois sont
mal faites et ne protègent pas les propriétaires d'un nez ordinaire
qui ne peuvent jouir à loisir de leur cher appendice. C'est vraiment
la crotte comme le diraient mes
enfants qui voient le loup partout. J'en viens parfois à penser
qu'ils sont de mèche avec cet indésirable, ce parasite qui
m'irrite, me tourmente, m'exaspère, me rend la vie impossible.
Qui plus est, ce
squatteur est un petit morveux. C'est sans doute la raison qui lui
fit porter son choix sur mon nez plutôt que sur son palais. Il est
vrai que dès que je le vis se pointer dans le paysage, je le
gratifiai d'un
pied de nez irrespectueux. Attitude enfantine que je ne cesse de
regretter. L'autre profita de ce geste pour me couper l'herbe sous le
pied afin de pouvoir aisément s’incruster dans mes narines.
Curieusement,
cet indésirable, ce parasite nasal, ne manque pas d'air si bien
qu'il ne cesse de me gonfler à longueur de temps. J'aimerais tant
qu'il prenne la poudre d'escampette au lieu de quoi, c'est une toute
autre poudre qu'il m'introduit de force dans mes naseaux. J'étouffe,
je perds contenance devant ses comportements douteux, ses marques de
mépris.
Je voudrais me
moucher du nez mais voilà qu'il m'est revenu aux oreilles que je
n'avais nulle légitimité à expulser l'immonde personnage. Il
serait dans mon nez par la volonté d'un suffrage auquel je n'ai pas
apporté ma voix. Je suis donc condamné à le supporter encore de
longues années, un calvaire tant mon nez me pique, me gratte,
m'insupporte.
J'ai parfois des
mouvements d'humeur vite réprimés par mon locataire qui frappe là
où ça fait mal. Je saigne alors du nez sans raison apparente,
frappé que je suis par son comportement détestable. Je perds mon
sang, je me retrouve en situation de faiblesse tandis que la tension
monte autour de moi. Je découvre alors, ébahi et circonspect, que
nombre de mes semblables se plaignent du même phénomène.
Le même
parasite a investi leurs propres nez. Je ne suis donc pas le seul à
l'avoir dans le nez. L'indésirable aurait donc don d'ubiquité y
compris à travers la planète. Voilà qui me fait une belle jambe.
Je ne peux me satisfaire de ce constat sans réagir. L'idée m'est
venue de proposer une union sacrée de toutes les victimes de ce
ruissellement nasal. Évacuons l'intrus, mouchons-nous du nez et
cessons le de le faire du coude comme nous l'ont imposé ses
complices.
Je n'avais
jusqu'alors pas saisi le but précis de cette absurdité. Se moucher
du pli caudal et non du coude (car il s'agit toujours de nous prendre
pour des imbéciles) n'avait d'autre intérêt que de laisser en
place le petit morveux. Il est grand temps de prendre le taureau par
les cornes, de laisser tomber qui plus est le mouchoir en papier à
usage unique, incapable d'extirper l'immonde morve. Emparons-nous
d'un tire-jus, d'un grand mouchoir à carreaux et évacuons du nez ce
pitoyable personnage.
Le laisser sur
le carreau, voilà bien la seule perspective réjouissante, pourvu
qu'il soit de Cholet, le mouchoir servira de réceptacle à ce triste
épisode d'une Raie Publique pestilentielle qui fait son chou gras
dans nos appendices. À vue de nez, le temps est venu de se moucher
très fort.