L'impudique réseau.
Phénomène de société, mal-être civilisationnel, besoin d'exister au travers de ce qui se fait de plus futile, recherche effrénée à moins qu'elle ne soit désespérée d'avoir son petit quart d'heure de célébrité à moins tout simplement que ce ne soit une excroissance démesurée du nombril, les réseaux sociaux bruissent indéfiniment du quotidien le plus insipide et sans intérêt des naufragés de la toile.
C'est ainsi que nous apprenons, médusés et forcément admiratifs, le menu de ce que mange celui-ci tandis que cet autre nous fait part de l'apparition inopinée et traitresse d'un furoncle mal placée. Mettre en place des trésors de technologie pour que parviennent jusqu'à nous de telles informations relève de la plus parfaite farce.
Le déballage est incessant. Nous pouvons tout savoir pour peu que l'on prenne un peu garde à ces bouteilles à la mer qui sont déversées par convois entiers sur ce lien ténu qui n'avait certes pas été imaginé pour atteindre de tels bas-fonds. Faut-il que nos semblables aillent mal pour éprouver le besoin de se mettre ainsi à nu, prenant le risque d'être lus par de parfaits inconnus ?
Mais qu'ont-ils besoin de raconter de telles inepties si ce n'est de tenter de se faire une infime place dans un monde qui broie l'individu, ne laisse plus la place au dialogue et à la conversation de visu ? Le dernier rhum du petit dernier prend place à côté des pirouettes et des facéties de l'animal domestique, tandis que chacun prend la peine d'informer la planète entière de la mort d'une vedette, information du reste largement relayée par les autres médias ?
Le plus surprenant encore sont les bulletins météorologiques en direct, annonçant à tout un chacun que la pluie, la neige ou la grêle tombent chez eux, leur évitant ainsi de mettre le nez à la fenêtre et surtout, leur épargnant de quitter des yeux leur merveilleux écran. C'est ainsi que ce qui était autrefois la spécialité de la boulangère, pour agrémenter la vente, devient aujourd'hui un contenu essentiel et filmé sur la toile. Des big datas, des satellites, des ordinateurs et une folle débauche d'énergie pour un tel truisme. C'est à pleurer de rage.
Le phénomène est si puissamment ancré que rien désormais ne permettra un retour en arrière d'autant que la comptabilisation des pouces en l'air permet à ses naïfs de croire qu'ils existent dans le cœur de ceux qui leur font offrande d'un intérêt virtuel. Le désespoir se mesure ainsi et ne laisse que peu de place à la formulation sincère que chacun aimerait écrire sous ces messages ridicules.
Mais comment dire sans être méchant ? Mais pourquoi s'immiscer dans cette confession publique sans la moindre valeur ? Il faut laisser dire ces êtres au cœur de leur naufrage qui s'agrippent à ces messages misérables. Ils n'ont même pas conscience de la vacuité de leur démarche pas plus qu'ils ne prennent en compte le coût carbone de leur SOS pathétique.
Peut-on encore qualifier de social ce qui relève désormais de l'exhibition intime ? Notre époque s'empare de ces formidables instruments de la technologie pour en faire ce qui se faisait de plus dérisoire dans nos sociétés archaïques. Le café du commerce amplifié à l'infini, le propos de comptoir transmis au monde entier, la confession publique servie à des inconnus qui n'en ont cure et tout ça avec la complicité d’algorithmes qui doivent se creuser les circuits imprimés pour donner du sens à cette bouillie infâme.
Pouvons-nous espérer un sursaut d'intelligence ? Le risque tout au contraire est de voir ceci devenir la norme pour toujours plus abaisser les humains au rang de pions robotisés sans le moindre jugement ni la plus petite distance intellectuelle. Comme c'est le but recherché par les instigateurs de cette machine infernale, il y a peu de chance que s'inverse cette diabolique mécanique du vide.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire