mercredi 16 novembre 2022

Elle en a lourd sur la panse

 La vache Marguerite rumine ses griefs !







    Il advint qu'une brave vache, Marguerite, vivait paisiblement dans son pré, un endroit merveilleux entouré de haies, d'aubépine, de noisetiers, de cornouillers et de charmes. Un bonheur absolu pour elle dans un vert bocage. Elle régulait son alimentation suivant les saisons et ses besoins, sans vivre aux crochets ou plutôt à la fourche d'un paysan qui se contentait de tirer son lait à la main.

    Marguerite, elle devait se l'avouer, aimait assez qu'on lui tire son lait. Elle appréciait ce contact charnel, ce moment privilégié qu'elle passait avec la fermière, une femme charmante qui aimait à converser avec elle. Bien sûr, la gentille laitière préférait de très loin nourrir son petit, rien ne pouvait remplacer pour elle ces instants chaleureux qu'elle passait avec le fruit de ses entrailles.

    Marguerite au demeurant vouait une passion pour le géniteur, un puissant Taureau prénommé Pompon qu'elle devait partager avec quelques congénères. C'était là le point le plus désagréable dans son histoire, elle n'avait pas l'exclusivité des saillies du puissant mâle mais qu'importe, à chaque fois qu'il la couvrait, elle était en joie.

    Notre vache voyait la vie en bleu, aucun nuage ne venait ternir une existence champêtre. C'est du moins ce qu'elle pensait alors. Elle ne pouvait imaginer que les humains allaient bouleverser son mode de vie au point d'en faire un enfer. Tout a commencé sournoisement par l'arrivée d'engins mécaniques aux mâchoires d'acier venant dévorer sa clôture végétale. Les experts du remembrement abattaient les haies, obstacles au rendement et à la mécanisation.

    Marguerite dut se frotter à ce curieux fil de fer, hérissée de piquants à la manière d'un hérisson. Elle s'y piqua, s'y blessa avant de comprendre qu'il convenait de ne pas s'en approcher. Le plus détestable dans cette mutation, c'est qu'elle ne pouvait plus réguler son alimentation, devant se contenter d'une herbe qui pour des raisons mystérieuses, n'était pas aussi bonne qu'auparavant. Les experts en conclurent qu'il convenait de lui apporter des compléments alimentaires.

    Marguerite venait de mettre le museau dans un terrible engrenage, il y avait de quoi se faire du mauvais lait. Elle comprit que l'exploitant agricole qui jusqu'alors la chérissait, avait modifié radicalement son regard sur elle et ses pareilles. Tout d'abord ce fut Pompon qui fut mis à l'écart, relégué qu'il était désormais dans un espace entouré d'un fil qui émettait un curieux sifflement. Quand on le touchait, une désagréable secousse l'incitait à s'en écarter, c'était bien plus pénible encore que le fil hérissé.

    Pire, Pompon avait désormais un remplaçant, un personnage qui n'avait rien de sensuel. Habillé de blanc, allant debout sur ses jambes arrière, muni de gants et d'une détestable baguette qu'il insinue en elle. Marguerite se retrouva enceinte sans avoir croisé son cher taureau, il y avait sorcellerie là-dessous. Seules deux ou trois de ses copines eurent le privilège de retrouver le puissant mâle qui s'ennuyait ferme.

    Son veau, malheur de malheur, lui fut retiré si vite que la pauvre mère en éprouva un immense chagrin. Il fut remplacé par une machine qui s'en prenait directement à ses quatre mamelles. Elle n'en éprouva que du déplaisir, une forme de viol de son intimité à l'image de la visite de celui que son propriétaire appelait l’inséminateur.

    Pire encore, l'usage de cette effroyable machine imposant une rationalisation de ses déplacements. Marguerite et ses copines se retrouvèrent prisonnières d'une stabulation, un curieux mot pour cet univers concentrationnaire dans lequel elle tournait en rond du matin au soir. Pire encore, elle cessa de brouter de l'herbe pour se nourrir ou plus exactement se sustenter sans plaisir de fourrage et d’ensilage de maïs, une céréale venue du Mexique, particulièrement gourmande en eau.

    Marguerite sans le savoir, avait une part active dans la transformation d'un territoire qu'elle ne fréquenterait plus jamais. L'herbe jaunissait par manque d'eau, l'eau ruisselait quand il pleuvait depuis que les haies et les bosquets avaient été arasés, l'humidité ne pénétrait plus le sol car le béton envahissait tout y compris l'espace qu'elle foulait parfois de ses sabots.

    Marguerite avait mauvaise mine, elle était devenue une machine à faire de plus en plus de lait sans entrain et pour en améliorer la qualité, elle était gavée de médicaments qui lui donnaient la nausée. Marguerite en avait gros sur la panse et ruminait sa colère. Sa vie ne méritait plus d'être vécue.

    Elle apprit que la grande prairie qui fut son domaine jadis, un espace de liberté et de plaisirs simples allait être transformé en un immense réservoir d'eau, une bassine honteusement financée par l'État pour continuer d'irriguer en pleine sécheresse ce maudit maïs qui lui sort par les yeux. Elle se sent coupable contre son gré d'un crime environnemental dont elle est à la fois la cause et la victime, mais que faire ?

    Elle a bien envisagé de faire la grève de l'ensilage mais immédiatement elle fut qualifiée de « Fourrageo-terroriste » par le grand voyer de France qui selon certaines rumeurs serait un petit taureau furieux échangeant ses saillies contre des promesses de menus avantages. Marguerite aimerait bien le croiser celui-là pour lui envoyer un puissant jet d'urine à la face. Elle rêve désormais de participer au prochain salon de l'agriculture pour faire entendre la voix des bovins.

    Marguerite ne pourra mener à terme son projet. Repérée et cataloguée comme une meneuse, elle a rejoint les trois millions d'autres animaux qui chaque jour en France, sont abattus pour engraisser cette curieuse espèce responsable de tous les maux sur la terre. Elle n'aura même pas pour son sacrifice, la compensation d'être reconnue pour ce qu'elle a toujours été : une bonne et débonnaire vache laitière. Elle sera qualifiée de « bœuf » sur l'étal du boucher en compagnie du vieux Pompon dont on n'a même pas respecté la virilité outragée.






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