La tête dans les étoiles ...
Le barde de poursuivre : « Dans la multitude indifférente, il y a toujours quelques belles rencontres qui offrent des moments de grâce. C’est à celles-là qu’il convient de s’attacher, sans chercher à toucher une foule qui depuis trop longtemps s’est habituée à suivre, les yeux fermés, les prescripteurs de la culture formatée. » Il est vrai qu’il y avait dans sa voix tant de conviction que je ne pouvais que le croire.
Seul mon orgueil démesuré m'avait poussé à me persuader qu'il était possible de toucher la multitude par quelques belles histoires de Loire. Mégalomanie délirante qui persuade celui qui en est victime, que les mots ont encore une importance dans ce monde de l’image et des apparences. Le diseur est un être à part, un décalé de la modernité, un égaré des temps anciens, un échantillon d’une espèce en voie de disparition.
Rohan alors de poursuivre sa leçon. En parfait saltimbanque, il avait tant à m’enseigner : « Le Souffleur de vent doit suivre son propre chemin sans se soucier du succès ou de la sécurité du lendemain. Il va, en homme libre, là où le vent le pousse. Il s’impose dans la foule indifférente pour y trouver quelques auditeurs attentifs. Les autres passeront leur chemin, haussant les épaules, devant l’artiste, cette fonction devenue totalement déplacée dans un monde de marchands. Les consommateurs ne savent plus entendre, comment veux-tu qu’ils écoutent ! » Le diable avait un drôle de sourire aux lèvres. Je ne pouvais que me laisser envoûter par ses propos.
Il était intarissable sur le sujet. Il reprit la parole non sans avoir ameuté les foules avec son compère Vincent à grand fracas musical : « Tu ne dois pas perdre de vue un point sensible mais déterminant dans l'acte du souffle des vents contraires à la marche de la nef des fous. Tu mènes un acte subversif qui est une des caractéristiques de l'artiste qui joue et jongle avec les mots. Tu es exactement dans ton rôle et n'a point à en rougir. Le conteur n'arrange pas, il dérange, il déroge et s'arroge un droit élémentaire et premier : celui de la parole, celle qui vole, s'envole et survole les contingences du temps, des modes et des usages conventionnels. » J’étais émerveillé par ce qu’il venait de me dire. Le Barde se faisait Merlin et me montrait le chemin.
Après avoir réagi à la remarque d’un quidam par une réplique philosophique au milieu de la foule : « Descartes et Leibniz ont prouvé l'existence de l'intelligence préexistante et succédant à la matière ainsi que l'infini de l'univers, donc la réalité d'une force causale. Il n'y a pas d'effet sans cause et la grandeur de l'effet renvoie à la grandeur de la cause. La vie, l'univers et tout ce qui y est contenu ainsi comme lois et comme principes n'est pas l'œuvre de l'homme, c'est donc celle d'une puissance créatrice qui lui est infiniment supérieure », ce sage se retourna vers moi pour me convaincre encore d’oser suivre la voie qu’il m’a toujours indiquée : « Rien ne t'empêche d'être libre de te trouver sur la voie publique et faire ce que tu dois. A toi de conjurer le sort que t'a réservé le "programme", d'ailleurs je ne pense pas que l'on puisse programmer totalement un électron libre. » C’est ainsi qu’un impromptu naquit au milieu de la foule, les agités du Bouzin sonnèrent le rassemblement pour que le conteur dispose d’un auditoire. La ruse avait fonctionné.
Il était temps pour nous de séparer nos chemins. Le Barde et le sonneur allaient sur scène, le Conteur partait en quête d’oreilles attentives. Rohan me glissa encore une recommandation ou plus exactement un encouragement : « Seule la quête des perles rares qui se présentent en chemin, doit préoccuper le souffleur de vent, cet orpailleur des lisières et des marges. Une seule rencontre, à la marge du flot, suffit à éclairer la journée. Un passant qui prend la peine de retenir une tirade, de comprendre une histoire, d’apprécier une chute sera ta plus belle récompense ! »
Pour parfaire cette merveilleuse leçon de vie, une main gigantesque se posa sur mon épaule. Vincent qui jusque-là, avait écouté son ami, voulut me regonfler le moral. Rien de mieux qu’un joueur de cornemuse pour remplir une outre, fut-elle vide. Avec sa malice habituelle il me dit : « Quand le vent souffle, rien ne l’arrête, pas même les décibels artificiels dont se parent les tenants de l’uniformité. Personne n’entrave la liberté d’une parole qui vagabonde sans se soucier des règles et des convenances, des obstacles ou des interdictions. Le zéphyr est indomptable, fut-il réduit parfois à un simple courant d’air allant à l’envers de la mode ! Le vent n’a ni tribu, ni clan, ni attaché de communication ni impresario. Il souffle jusqu’à décoiffer ceux qui se dressent sur son passage, bousculer les forteresses de la suffisance, abattre les idées reçues : paravent de l’absence de curiosité. »
Les deux lascars reprirent leur rôle. Invités d’honneur de l’endroit, ils faisaient grand bruit dans la foule. La grosse caisse et la cornemuse sont de nature à regrouper le troupeau. Pourtant, ces deux bergers de la fête, avaient laissé sur la rive un curieux mouton noir. Ce n’était pas un oubli, ils savaient désormais que les conseils qu’ils lui avaient distillés lui redonnerait force et courage.
Éoliennement leur.
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