mardi 13 août 2019

Le bois des Comtesses du Château de Chenailles à Latingy

Pour couper court …


S’il est un terrain qui repousse à jamais les outrages de la déforestation et établit un véritable pont entre le passé et le présent, c’est bien celui des contes et des légendes. Quand les humains deviennent fous, le conteur prend son bateau pour rebâtir ce que les dégâts irréversibles des écervelés ont jeté à terre. Qu’importe alors si ceux-là s’en offusquent, l'essentiel est ailleurs car le récit ne s’adresse qu’aux rêveurs, aux oiseaux et aux générations futures si cette société délirante leur accorde encore l’espoir de survivre…
Il était une fois un territoire au nord de la Loire en amont d’Orléans riche et fertile. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Geoffroy Vallée, gros bourgeois de l’endroit, celui-là même qui venait d’acquérir une fort belle métairie, s’octroya en toute modestie le titre de Seigneur de Chenailles terme qui désigne les greniers, forcément chargés de bons grains.
Geoffroy meurt en 1537 et son fils qui porte le même nom que lui pour faciliter la vie du raconteur d’histoire, hérite du domaine. Mais pour son malheur, l’héritier a embrassé l’hérésie huguenote. Il ne fait pas bon afficher une religion qui déplaît à ceux qui détiennent le pouvoir. Le malheureux allait payer de sa vie cette folie.
Geoffroy le deuxième est supplicié en place de Grève à Paris. S’il échappe au bûcher, il achève son existence sous une potence. Il est alors de coutume de récupérer la corde, curieux porte bonheur pour ceux qui survivent à ce crime odieux. Héritage macabre s’il en est, le nœud du pendu revient à Marie Vallée la sœur du malheureux.
Celle-ci a fait un fort beau mariage avec Robert Miron, l’intendant général des finances du roi Henri III, le dernier de la dynastie des Valois. Celui qui fut aussi Roi de Pologne ne goûte guère les Protestants, il a d’ailleurs emporté sur eux la fameuse bataille de Jarnac. Pour Marie, il convient d’effacer totalement le passé huguenot de son frère.
Rien de plus facile pour un intendant des finances que de trouver des fonds pour construire un Château sur son domaine de Chenailles. Il convient cependant à ces deux manants de s’octroyer un titre de noblesse. Marie se rêve avec une particule tandis que son Robert n’est pas hostile à troquer son titre de comptable pour celui plus glorieux de Comte. La modestie n’est jamais la qualité première dans le petit monde des grands argentiers du royaume.
Il faut laver la tache qui pèse cependant sur la famille d’autant plus que de l’autre côté de la Loire, à deux pas du nouveau domaine, se dresse le magnifique Château de L’Isle, repère des Protestants de l’Orléanais et propriété du Bailly Gros Lot. La promesse aurait été faite alors de ne jamais lancer de pont en cet endroit, mais de cela, je ne peux vous garantir l’authenticité.
D’autres affirment que cet engagement vient de l’amour que portait Marie pour la Darse de Sandillon, cet endroit miraculeux qui est un véritable écrin naturel, une enclave de la Loire, refuge de la diversité tout autant que tendre cachette pour les émois amoureux. Il se murmure d’ailleurs que Marie, tout auréolée de son titre de Comtesse, ne se privait pas, quand son comptable était loin, de traverser à gué la Loire pour aller courir le guilledou avec quelques pêcheurs de l’endroit.

C’est ainsi qu’un jour, la terrible rumeur arriva aux oreilles du cornard. Furieux, un jour, Robert feint de partir à ces calculs royaux pour revenir en catimini dans son domaine. Dissimulé sur la rive, il ne tarde pas à voir son épouse retroussant ses robes pour traverser la Loire. C’était donc vrai. Il ronge son frein, lui laisse assez d’avance pour la prendre en flagrant délit de pêché et de trahison suprême avant que d’aller la surprendre dans sa merveilleuse Darse.
Ce qui se passe alors reste encore assez flou. Marie, n’avait rien à se reprocher sinon que son amitié pour la femme du Bailly. Les deux épouses aimaient à se retrouver, loin des regards suspicieux de leurs domestiques, pour deviser tranquillement. Elles étaient assises, dos à la Loire, quand le mari jaloux, voyant deux têtes, proches l’une de l’autre, s’empare d’une poignée de cheveux de part et d’autre.


Surprises, les femmes se levent tout aussi violemment que précipitamment. Le Robert se retrouvant avec deux belles touffes de cheveux, l’une blonde, l’autre châtain dans les mains et l’air penaud à la vue de ces deux femmes qui conversent en toute innocence. Reconnaissant la femme du Bailly, il comprend les raisons de ce stratagème qui ne dissimule rien de répréhensible.
Il s’excuse, ne sachant comment se faire pardonner. C’est Marie, qui sous le coup de la colère et de l’humiliation, a une idée. Elle se concerte avec son amie et toutes deux tombent d’accord sur la réparation qu’elles exigent. Marie s’adresse alors à son époux : « Mon cher époux sottement jaloux, vous devez pour pardonner cet outrage, nous offrir à toutes deux, un espace où nous puissions nous retrouver sans nous cacher ! Je vous invite à installer devant notre château, un bois touffu à la place de nos terres à grains. Il vous suffira d’y planter autant d’arbres que vous nous avez dérobé de cheveux... »
Ainsi fut fait. Le bois tout naturellement, né de cette sordide histoire de jalousie, devint le Bois des Comtesses. Il a survécu au temps et aux soubresauts de ce charmant domaine de Latingy. Marie et Marcel s’en allèrent sans avoir eu d’enfants, le domaine devint la propriété de leur neveu : François Vallée, maître d’hôtel de Louis XIII. Puis c’est Claude Vallée qui en hérite. L’homme est embastillé en 1693. Libéré, le domaine de Chenailles va être cédé, échappant ainsi la famille Vallée.
C’est Jacques Fête qui en devient propriétaire avant que de le donner à Louis Fête de Noisy, grand maître des eaux et forêts. Celui-ci doit être bien marri de découvrir que tous les arbres du domaine ont été sauvagement coupés pour lancer tout près de là un pont sur la Loire. Marie et son amie, nos deux Comtesses sortiront certainement du bois, elles aussi, afin de tourmenter ceux qui s’en sont pris à leur arbres tout en détruisant par la même occasion leur magnifique Darse.
Il n’est guère prudent de troubler les légendes tout autant que la nature. Malheur à qui ne respecte pas l’héritage de notre patrimoine. Bien des désagréments leur pendent au nez quand le pont entre le passé et le présent est aussi brutalement coupé. Vous aurez été avertis tout comme vous le fûtes par un rapport accablant du BRGM.

Forestièrement vôtre

Mercredi 14 août à 16 heures
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