lundi 19 août 2019

À mes passeurs



Deux Maîtres d'exception




Il est des jours où la vie semble moins brillante, où, au hasard d'une nouvelle, le ciel intérieur se brouille. C'est ce qui m'est arrivé aujourd'hui quand j'ai appris la mort de deux messieurs qui comptèrent sans doute le plus pour moi. Oh, il n'y a pas à se lamenter sur une nouvelle qui, compte tenu de leur âge, n'est que dans l'ordre inéluctable des choses ! Ils sont simplement partis et je n'ai jamais eu l'occasion de leur dire tout ce que je leur dois. Et maintenant, je m'aperçois que c'est trop tard, comme souvent, hélas ...

Tous deux s'appelaient Michel et Maurice. Ils étaient instituteurs dans mon village des bords de Loire. Ils étaient sportifs également et n'ont jamais compté leur temps pour nous encadrer et nous accompagner sur tous les terrains de la région ou dans les classes qui étaient aussi nos terrains de jeu. Ils étaient de ces maîtres à l'ancienne qui se donnaient totalement à ce métier vers lequel ils m'ont poussé.

Le premier était un adepte d'Augustin Freinet. Au fond de la classe, trônait en majesté l'imprimerie. Nous en avons passé des heures à manier les petites lettres de plomb, à rédiger ce journal dont je n'ai, hélas, aucun exemplaire. Nous y avons passé nos jeudis, il me semble à l'époque et avons souvent débordé les heures de classe pour boucler le précieux document.

La classe était un bonheur. Je ne peux faire surgir de mes souvenirs un mauvais moment, un épisode douloureux ou le récit d'un débordement. C'était une merveille que de travailler avec lui comme c'était un honneur de jouer au ballon dans la cour avec cet homme aux cheveux blonds qui flottaient au vent. Malgré cette particularité capillaire assez inhabituelle en cette année révolutionnaire, il était apprécié de tous les parents.
Je me souviens encore de ces après-midi passées à faire du sport dans le cadre de l'ASSU (si ma mémoire ne confond pas les sigles et les époques). Il y avait toujours des familles pour nous conduire sur les terrains visités. Nous étions entre garçons et le football était notre mode d'expression, bien loin de la folie du moment.

Michel m'a fait aimer l'école comme jamais aucun autre ne le fit ensuite. Il m'a transmis ce métier, donné un but alors que je n'avais que 10 ans. Je voulais être maître d'école et rien d'autre, pour être à son image, pour que les enfants dont j'aurais la responsabilité partagent la même passion dans mes classes, le même enthousiasme qui fut le nôtre sous sa responsabilité. Je pense que ce fut assez souvent le cas. (Alors, quand cette année, je me retrouve face à une classe où la haine de l'école est la norme, j'ai pour la première fois, envie de tout laisser tomber !)

Puis, j'ai grandi, j'ai connu le collège et sa mixité. J'ai croisé alors l'autre Michel, enseignant spécialisé pour les élèves en retard, qui est devenu mon entraîneur de football. Lui, il m'a transmis deux virus. Celui du sport comme un objet sérieux d'apprentissage et de travail. Oui, je devine que ces mots feront rire ceux qui méprisent l'activité physique et encore plus ce ballon rond dont on voit aujourd'hui le pire. Je vous assure qu'avec lui, il n'y avait jamais de cris ni de comportements irrespectueux. Le sport était le prolongement direct de l'éducation.

Quand je suis passé au rugby, je crois qu'il a guidé ma manière d'agir. J'espère avoir, pendant toute ma carrière d'éducateur sportif, transmis cette volonté de faire grandir les jeunes dont j'ai eu la charge. C'est lui qui m'avait fait découvrir que l'humanisme pouvait aussi s'exprimer dans le sport. Je pense que l'évolution du football qu'il aimait tant, a dû lui causer un immense chagrin …

L'autre virus fut, vous l'avez deviné, celui de l'enseignement spécialisé. Cet adulte que nous vénérions tous, nous ne l'avions pas eu comme maître d'école. Lui, il déployait son énergie pour prendre en charge des gamins en difficultés, des jeunes que nous ne croisions guère, nous qui avions la chance d'apprendre un peu mieux. Il m'expliqua souvent comment il travaillait, sa passion pour la pédagogie alors que je ne savais pas encore ce que c'était vraiment. Il m'invita dans sa classe, à l'écart des autres et dans laquelle je n'étais jamais allé pendant mes années primaires.

Puis, j'ai grandi encore, je suis parti au lycée avant de quitter mon village. Je les ai croisés de -ci de -là jusqu'à ce que, il y a une vingtaine d'année, ils prennent leur retraite vers d'autres cieux. Je ne les ai plus jamais revus. Je ne leur ai jamais avoué le rôle qu'ils avaient eu dans mon parcours professionnel et sportif. J'en suis aujourd'hui désolé, chagriné même, tant j'aurais aimé pouvoir les remercier du cadeau qu'ils me firent

J'ai eu les larmes aux yeux en apprenant simultanément ces deux disparitions. Je ne peux croire que ce soit un hasard. Ces hommes remarquables me sont revenus en pleine mémoire à l'heure où je me désespère d'un métier où je ne retrouve plus rien de ce qui me fit vibrer alors. Ils sont partis et j'ai le sentiment que l'école que j'ai aimée, que l'engagement et la passion pour ce métier merveilleux quand il était compris ainsi, ne sont plus qu'un lointain souvenir. Aujourd'hui, je suis en deuil de mes deux passeurs et de ce rêve qu'il m'avait donné.

Éternellement leur.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...