Quand le Bonimenteur fait l'âne
C’est
not’Brave bredin qui s’en va à la foire des cours à Gien. Le
malheureux n’a personne qui veut l’y conduire, faut ben
reconnaître que le gredin refoule un peu de tous les bouts. Mais
pour l’occasion, espérant trouver enfin une drôlesse, lui qu’est
encor à cet’heure vieux gars, s’est soigneusement lavé les
pieds. On ne sait jamais !
Il
se met en chemin, la route est longue. À Lion-en-Sullias, il trouve
sur route le gars La Malice qui marche d’habitude d'aussi bon pas
que lui. Mais anhuit, c’est Berlaudiot qui traîne la patte. Son
compère est obligé de l’attendre un peu et s’en inquiète :
« Qu’as-tu
donc aujourd’hui pour lambiner pareillement ! »
Berlaudiot
tout penaud de lui répondre : « A chaque fois que je me lave
les arpions, j’ai beau bien les essuyer, je flotte toujours dans
mes godillots ! »
Le
gars La Malice, un brave gars certes mais grandement pingre et peu
compatissant pour ses collègues, s’en va au marché de Sully
emportant des cochons à la foire. Il a chargé la troupe des gorets
sur un tombereau qui lui sert de calèche rudimentaire. Il s’approche
de la côte de Logneau quand il double Berlaudiot chargé comme une
mule qui s’en va à pied au marché vendre quelques lapins. Le
tombereau double le marcheur quand celui-ci gueule de toutes ses
forces :
« Hé
La Malice ! T’as perdu quelqu’chose en chemin ! »
L’autre
d’arrêter son cheval et se retourner vers lui :
« Hé
quoi donc j’ai ti perdu mon gars ? »
Berlaudiot
tout sourire, prenant l’air le plus niais qui soit de lui répondre
:
«
Ben tu l’vois pas par toi-même grand nigaud ? T’as perdu
l’occasion d’me rendre service en t’arrêtant pour me monter à
bord ! »
La
Malice furieux donna un grand coup de fouet au cheval, sans ren dire
au quémandeur qui il faut ben l’avouer, est trop gaillard pour lui
chercher querelle.
Une
autre fois, encore un lundi, jour de marché, Berlaudiot devait se
rendre à Vérote pour y livrer des dames Jeanne. Il y a grande
chasse au domaine, c’est pour alimenter des gosiers en pente de
bourgeoisiaux qu’il se rend à l’office. Là il tombe sur le
garde chasse, flanqué de quelques rabatteurs, tous en train de
licher une bonne bouteille. Berlaudiot livre son vin et essuie son
front pour bien marquer l’effort qu’il vient de consentir.
Le
garde lui fait alors remarquer qu’il a un peu de retard sur
l’horaire prévu. Notre homme de lui répondre du tac au tac :
« Mille
excuses monsieur le garde de chasse, mais ma vache vient de vêler et
elle a mis au monde cinq viaux. Ça pas été une mince affaire pour
les faire têter ! »
Le
garde, tout assermenté qu’il est, n’a pas vu venir le traquenard
que lui tend le gredin.
« Mais
une vache, ça n’a que quatre mamelles. Comment fait le cinquième
veau ? »
Berlaudiot
tout sourire de répliquer, piquant :
« Ben
il est emberlaudé. Il doit faire comme moi. Il regarde les autres
boire ! »
Le
village est en émoi. Le Sénateur rend visite à la cité. Il y a
tout un cérémonial organisé pour l’occasion et le grand
personnage est perché sur une estrade et trône sur un superbe
fauteuil en velours rouge. Un tapis de la même couleur est installé
au pied de l’estrade et chacun a reçu la consigne de n’y mettre
point les arpions.
Berlaudiot
autant par dérision que pour faire briller les autres notables de la
cité fait partie de la liste de ceux qui vont être présentés au
parlementaire. Naturellement, il passe en dernier, un peu pour la
bonne bouche diront les esprits moqueurs.
Un
conseiller souffle à l’oreille du Sénateur le compliment qu’il
doit adresser à son visiteur. Quand arrive notre lascar, l’important
lui glisse à l’oreille que le village a voulu honorer son
imbécile. Le grand élu s’en amuse et regarde un bon moment le
pauvre garçon qui chiffonne son béret dans ses mains.
Voulant
faire le malin comme tout notable qui se respecte, le Sénateur pose
une question alambiquée à Berlaudiot : « Dites moi mon brave,
vous qu’on présente ici comme un homme sage, j’aimerais savoir
ce qui sépare un homme important d’un pauvre imbécile ? »
Berlaudiot
sans se démonter et puisqu’on l’avait piqué au vif de répondre
:
« C’est
tout simple votre Grandeur, simplement un tapis rouge même si les
rôles qu’on prétend attribuer à l’un et à l’autre sont dans
le cas présent inversés »
Berlaudiot
se rend à la grande ville. Il est tout émerveillé par ce qu’il
voit d’autant que c’est la grande foire exposition à la
préfecture. Il y a même des curiosités venues d’un lointain
continent. En effet l’Amérique est à l’honneur cette année-là.
Il
déambule parmi les stands quand il s’arrête devant une drôle de
cabane en tissu avec des piquets qui dépassent sur le haut. Personne
ne lui dit que c’est un Tipi, il semble sans doute trop bête pour
retenir le mot. Notre homme se rend compte de la chose tout en
feignant de ne rien voir .
Il
insiste donc quand une hôtesse, se moquant ouvertement de lui, lui
donne enfin réponse à sa question : « Mon brave, ceci est la
grotte de la squaw ! »
Berlaudiot
se gratte le crâne le sommet du crâne cherchant une réplique à la
hauteur. Puis, décochant un sourire parfaitement stupide il répond
: « C’est donc pourquoi il y a des peintures rupestres sur la
toile ! »
Berlaudiot
est un bon voisin à la condition de n’avoir pas besoin de lui
demander un service. Pourtant ce jour-là, Archimède, le plus pauvre
du village vint vers lui. Le malheureux avait absolument besoin d’un
âne pour porter du blé au moulin. Il avança humblement vers
Berlaudiot et le plus poliment du monde lui demanda si par bonheur il
pouvait lui prêter son âne.
Berlaudiot
de se désoler, levant les bras au ciel et de répondre : «
Mon Brave Archimède, me voilà bien ennuyé mais mon épouse est
partie ce matin avec notre bourrique pour se rendre au marché. Ça
aurait été avec grand plaisir que je vous aurais rendu ce petit
service »
Archimède
s’en retourna chez lui. Il n’avait pas parcouru deux cents mètres
qu’il entendit braire un âne, qui à n’en point douter était
celui de Berlaudiot. L’homme fâché revint chez son voisin afin
de lui signifier son mécontentement. Berlaudiot de lever les bras au
ciel, de s’indigner,de montrer du doigt l’importum : « Quelle
déception mon voisin. Vous me traitez de menteur car vous croyez
davantage mon âne que moi ! »
L’âne
de Berlaudiot s’était encore perdu. Cette fois, il était
introuvable. Les jours passaient, tous ses élèves en riaient. Pour
se moquer du pauvre maître, un garnement lui dit : « N’êtes-vous
pas au courant ? Votre âne est parti faire le maître d’école
dans le village voisin ! »
Sans
s’émouvoir, Berlaudiot répondit au chenapan : « Voilà qui
me réjouit grandement. Quand je vous faisais classe, j’ai bien
remarqué que c’était lui le plus attentif. Il avait toujours ses
oreilles dressées alors qu’aucun de vous n’écoutait vraiment.
C'est bien le seul à avoir profité de mes lumières. »
Le
châtelain du pays part à la chasse. Il pleut tellement ce jour-là
que l’homme rentre complétement trempé dans son domaine.
Berlaudiot arrive tranquillement sur son âne, les vêtements
totalement secs. Le châtelain s’interroge : « Comment se
fait-il que ne tu sois absolument pas mouillé après une telle
secouée ? »
Le
gentil niais de répondre : «Mon maître, c’est que ma mule
est plus vive que l’éclair » Sans plus d’explication, le
puissant achète à prix d’or cet âne qui passe entre les gouttes.
Une
semaine plus tard, une nouvelle averse surprend le châtelain à la
chasse. Quoique monté sur l’âne miraculeux, il rentre totalement
trempé. Furieux, il convoque Berlaudiot pour le sermonner : « Gredin
tu m’as trompé ! Ton âne n’évite pas la pluie ... »
Berlaudiot
de répliquer : « Si vous aviez retiré vos vêtements pour les
ranger dans le bas de l’âne durant la pluie, vous seriez rentré
aussi sec que moi l’autre jour ! »
Berlaudiot,
tout grand imbécile qu’il est, se plait à gruger les plus naïfs
que lui. C’est ainsi qu’un jour, il alla emprunter à son voisin
La Malice une hache pour faire du bois. Le soir, il revint rendre la
hache en lui donnant une petite serpette. La Malice de s’étonner :
« Comment se fait-il mon ami que vous me donniez votre serpette
? » Berlaudiot de répondre : « Elle est nullement
mienne. Tandis que je coupais du bois, votre hache mit au monde cette
serpette. Elle vous revient de droit ! » Sans chercher à
comprendre, La Malice pris sa hache et sa serpette.
Une
semaine plus tard, Berlaudiot retourna emprunter la belle hache du
voisin. Trois jours plus tard, ne voyant pas revenir son outil,
l’homme alla chez son emprunteur. Berlaudiot alors d’expliquer,
des larmes aux yeux, que la hache avait rendu l’âme durant son
ouvrage. Elle était morte et enterrée comme il se doit »
La
Malice de s’indigner : « Tu me prends pour un imbécile. Une
hache ne meurt pas. Rends la moi ! » Berlaudiot de répondre le
plus calmement possible : « C’est curieux que tu aies pu
penser qu’elle pouvait mettre au monde une serpette et aujourd’hui
tu refuses de croire à sa mort ? Qui donc est le plus sot des deux
? » Et Berlaudiot ferma la porte au nez du pauvre voisin qui
venait de perdre un bel outil pour le prix d’une bonne leçon.
Sagement
sien.
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