La
bergère et ses moutons.
Il
était une fois une belle isolée sur une Île dans le marais de
Saillé. Qu’elle fut Princesse ou bien bergère n’a d’ailleurs
aucune importance, son domaine était immense certes mais dépourvu
de la moindre âme qui vive. Elle gardait de curieux moutons, ceux
qui paissent dans le ciel et plus encore ceux qui affleurent à la
surface des eaux. Elle commandait aux uns comme aux autres
puisqu’elle était souveraine en son royaume.
Elle
avait là une humble chaumière, couverte de roseaux comme cela se
fait dans ce pays magnifique. Elle vivait là porteuse d’une
redoutable responsabilité. Chaque matin, elle devait se lever à
l’aube, se tourner vers le levant et d’une voix cristalline
chanter pour inciter le soleil à se lever. Une fois son œuvre
accomplie, elle devait veiller à ce que les moutons du ciel ne
viennent pas s'immiscer entre l’astre et la terre.
Le
soir venu, se tournant alors vers le ponant, elle chantait une autre
fois, cette fois une berceuse pour inciter le soleil à prendre ses
quartiers nocturnes. Si elle avait bien œuvré, elle se régalait
alors d’un spectacle incomparable, un ciel illuminé, sans nuage,
flamboyant de mille et une couleurs chaudes.
Il
lui arrivait parfois d’être étourdie, de ne pas surveiller comme
il convient la marche des moutons du ciel. Alors le ciel
s’assombrissait, le vent se levait, le froid s’installait sur ses
terres, les eaux se couvraient d’une myriade de moutons d’écume
qui menaçaient sa modeste chaumière. Elle se jurait d’être plus
attentive la fois prochaine, la belle était rêveuse et avait
tendance à ne pas tenir correctement sa surveillance céleste.
C'était
un jour de grande tempête, les vagues se faisaient si menaçantes
que cette fois, elle allait connaître grand péril, submergée sans
doute, quand elle aperçut au loin sur les flots en colère, un
chevalier venir à elle, la perche à la main afin d’avancer sur
son chaland. Il volait littéralement à son secours, elle en avait
la certitude, espérant de tout son cœur qu’il arrive à temps
avec qu’elle ne soit engloutie !
Il
arriva à elle juste à temps pour la prendre à son bord. Les eaux
gagnaient sa demeure, il n’était d’autre issue pour la Princesse
que celle de la fuite avec le galant homme. Une fois sur
l’embarcation, elle se souvint qu’il était temps de remplir sa
mission. Elle chanta une mélodie douce et nostalgique afin que le
soleil disparaisse à l’horizon.
Ce
fut soudainement un silence complet. La tempête cessa dans
l’instant, le ciel était totalement noir. Elle en eut quelques
frissons. Elle n’avait jamais eu l’occasion d’assister à ce
spectacle. Chaque soir, sa chanson du couchant lancée dans le ciel,
elle rentrait alors sagement dans sa demeure. Mais cette nuit-là
était tout autre, elle était sur le bateau d’un chevalier nautier
et le regard tourné vers la nue, elle se rendit compte qu’il lui
manquait quelque chose.
Le
marinier qui jusqu’alors était resté silencieux s’adressa à
elle, ne l’appelant ni Princesse ni bergère, mais tout simple
noble dame. Il la pria de chanter pour lui, de l’aider à trouver
la force de revenir vers la terre ferme, lui qui avait tant peiné
pour venir la secourir. La dame le fit de bon cœur, ne sachant
comment se montrer aimable pour son sauveur.
C’est
alors que dans le marais si fit entendre un énorme vacarme. Du fond
des eaux profondes, un monstre surgit, dérangé qu’il avait été
par ce chant inhabituel au milieu de la nuit. C’était un dragon,
une bête terrifiante qui ouvrait grand une gueule hideuse et
menaçante. Le chevalier empoigna sa perche et l’engloutit dans la
bouche du monstre, le terrassant dans l’instant.
La
belle eut si peur qu’elle se blottit dans les bras de son deux fois
sauveur. Ne sachant faire autrement, elle lui offrit une nouvelle
chanson, une tendre ballade qui mit en émoi ce courageux garçon.
Des larmes, grosses comme des perles coulèrent de ses yeux,
tombèrent dans l’eau en une mystérieuse pluie d’étoiles.
Chaque
larme au lieu de s’enfoncer dans les profondeurs du marais, se
cristallisa et se transforma en un grain de sel. La princesse
continua à chanter, devinant tout ce qu’elle pouvait tirer de
cette découverte. C’est ainsi qu’elle chanta si longtemps que
des monticules de sel se formèrent. Le chevalier ayant pleuré
toutes les larmes de son corps, au bord de l’épuisement lui
demanda humblement de cesser. Il n’en pouvait plus.
Il
ramassa le sel, en fit don à la belle dame en lui glissant à
l’oreille qu’il venait d’imaginer grâce à elle, un autre
moyen de récolter ce merveilleux don de la nature. Il la conduisit
sur son île, les eaux s’étant retirées, lui demandant simplement
de reprendre son activité solaire. Il lui organisa des canaux pour
que l’eau qui entre dans le marais vienne de l’Océan.
C’est
ainsi que naquirent les marais salants parce que chaque jour la
Princesse chante pour réveiller le soleil qui permettra aux cristaux
de sel de se former. La technique fut longue à mettre en place mais
en souvenir des larmes du chevalier, les petits carrés du marais se
sont appelés des œillets.
Ainsi
se raconte l’histoire dans ce beau petit village de Saillé. Le
soleil se levait sur un nouveau matin, il m’avait semblé entendre
une voix magique dans le murmure de l’Océan lointain. Je crus
alors à la fable qu’on venait de me raconter.
Maraîchinement
sien.
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