Quand
les anges gardiens veillent…
Il
était une fois, Anthony, un intrépide troubadour navigateur, poète
et chanteur, magicien des mots tout autant que doux rêveur qui avait
fait le vœu de remonter la Loire à la seule force du vent. Si
celui-ci venait à manquer, il userait de ses bras prolongés par une
bourde. Il savait que l’entreprise lui prendrait du temps, il avait
choisi l’hiver pour espérer assez d’eau et un zéphyr porteur.
C’est ainsi qu’il partit du port d’Ancenis, ayant le projet de
gagner le Bec d'Allier et le petit village de Cuffy pour honorer un
grand de la marine de Loire.
Il
avait équipé un petit rafiot de six mètres vingt de long de tout
le nécessaire sans s’encombrer du superflu, aménageant une cabane
rudimentaire avec un poêle et le strict minimum pour survivre sur la
rivière en hiver. Armé de son courage, fort de sa détermination et
espérant le soutien des ligériens, il partait ainsi dans une folle
épopée qu’il entendait bien agrémenter de rencontres, de
chansons et de belles images
Les
réseaux sociaux bruissèrent de cette belle folie. L’homme osait
ce que les anciens faisaient tout naturellement au temps glorieux de
la Marine de Loire. En cela, il devait être reçu avec tous les
égards qui reviennent aux gens d’exception. Ce qui ne manqua
jamais de se produire sur ce long périple.
Mais
il se trouve forcément dans une telle aventure, des étapes que les
contraintes de la navigation placent trop loin d’un port ou d’une
zone accessible. C’était alors pour notre valeureux navigateur
l’occasion de se retrouver seul avec lui-même, d’admirer le
paysage, de méditer et aussi de communiquer avec la nature. C’est
au cours de ces moments uniques et si rares pour nos contemporains
qu’il se trama de bien mystérieuses rencontres que les esprits
cartésiens réfuteront sans nul doute.
Anthony
à la tombée de la nuit, avec son chien pour seul compagnon dans son
étroite cabine avait parfois du vague à l’âme. C’est ainsi
qu’il prit l’habitude, malgré le froid et la nuit de chanter
pour la nature. Alors, son voyage bascula soudainement dans
l’onirisme… cela faisait tout juste une semaine qu’il était
parti quand se déroula son premier rendez-vous avec l’insondable
mystère.
Ce
soir-là, un crapaud vint lui faire la conversation comme savent le
faire ces animaux si injustement dépréciés. Bien vite, entre le
chanteur et l’animal, un duo s’établit, l’un répondant à
l’autre, en un échange aussi subtil que mélodique. Ému, troublé
certainement, Anthony au terme de ce long récital, octroya au
crapaud une délicate caresse. Dans l’instant, l’animal se
métamorphosa en un agréable lutin qui s’évanouit dans la nuit.
Cette
nuit-là, le navigateur solitaire fit d’étranges rêves peuplés
d’un petit être lui affirmant que désormais, il accompagnerait
son voyage à distance, lui offrant sa protection à chaque fois
qu’il en aurait besoin. L’homme ne chercha pas à percer le
mystère de ces curieux songes et reprit au petit matin son très
lent périple à contre-courant.
L’aventure
se reproduisit plusieurs fois, à intervalles irréguliers. C’était
toujours lorsqu’il se trouvait isolé du reste de l’humanité
qu’il entrait en contact avec l’irrationnel. Ce furent tout à
tour une chouette, un putois, une genette, un anodonte, une anguille,
un orvet et une araignée qui vinrent à la rencontre du solitaire. À
chaque fois se produisit la même scène, une relation se nouait,
Anthony au terme de ce qui aurait pu s’apparenter à une parade de
séduction, portait délicatement la main sur l’animal qui prenait
miraculeusement une nouvelle forme…
Au
fil des transformations, Anthony s’offrit un équipage discret,
visible de lui seul et toujours présent lors des moments délicats.
Il se vit accompagné d’un elfe, d’une sirène, d’un mage,
d’une fée, d’un korrigan, d’un farfadet, de la Vouivre en
personne et d’un feu follet. Jamais plus belle compagnie ne fut
donnée à quiconque sur la rivière. C’est à travers elle qu’il
trouva la force de continuer ce voyage bien plus difficile qu’il ne
l’avait imaginé.
Il
garda secret cette dimension si particulière de son aventure,
jugeant que ses frères les humains avaient perdu leur âme d’enfant.
Il craignait les moqueries, pire encore les quolibets et sans doute
l’accusation de folie qui n’aurait pas manqué de surgir de la
bouche de personnages trop soucieux de données tangibles et
vérifiables. Qu’importe, désormais il se savait béni des anges.
Pourtant
un soir, bien après la fin de son aventure, un incident, une
rencontre détestable, un déplorable épisode de l’indigne
médiocrité de certains humains, fit éclater la vérité aux yeux
de quelques privilégiés dont j’ai eu le bonheur d’appartenir.
Dans un lieu que je garderai secret par un souci légitime de
discrétion, l’éclectique et féerique troupe de ses protecteurs
surgit pour donner une bonne leçon à des gougnafiers de la pire
espèce.
Tandis
que l’artiste accompagné par son merveilleux accordéoniste
proposait à ceux qui étaient venus l'accueillir en bord de Loire,
son tour de chant, récit à la fois de son expérience mais aussi de
ses nombreuses méditations, un groupe bruyant, vint troubler la
quiétude de l’instant. Attablés au cœur de la scène, ils
tenaient à faire plus de bruit que les deux artistes, pour le plus
grand désespoir des spectateurs sous le charme de la représentation.
Les
huit larrons et larronnes, incapables de modérer leurs propos,
faisaient si grand vacarme que les anges gardiens du navigateur
durent intervenir. Il faut avouer que jamais nous n’avions entendu
en bord de Loire pareil brouhaha indécent et discourtois. Il y avait
là un bel assortiment de ce qui se fait de plus détestable dans
l’insupportable caste de ceux qui se pensent tout permis.
Nous
nous pensions dans une basse-cour, à moins que ce ne fut une ferme.
L’une croule, l’autre blatère, celle-ci cacabe, celui-là braie
quand sa voisine caquette et qu’un autre coquerique. Une dernière
jacasse tandis que le plus puissant beugle à qui mieux mieux. Pire
encore, les importuns ne daignèrent pas participer au chapeau, pour
honorer les artistes qu’ils n’avaient du reste jamais écouté.
Nous n’en pouvions plus quand médusés, nous vîmes surgir à tour
de rôle un lutin, une sirène, un mage, une fée, un korrigan, un
farfadet, la Vouivre et un feu follet.
Chacun
vint se placer sur les noceurs qui dans l’instant héritèrent de
l’apparence du bruit qu’il faisait. Interloqués tout autant
qu’incrédules, nous les vîmes disparaître pour voir en leur
place surgir une bécasse, un bélier, une pintade, un âne, une
poule, un coq, une pie et un taureau qui se dispersèrent dans la
nature. Ainsi la soirée put s’achever dans la quiétude qui sied à
un tel concert.
Nous
étions si contents de cet épilogue que nul ne songea à
s’interroger plus avant sur les explications qu’il convenait de
donner à ce que nous avions vu. Nous nous contentions d’écouter
enfin dans le calme Anthony dans son merveilleux tour de chant tandis
que ses anges gardiens s’étaient envolés aussi mystérieusement
qu’ils étaient apparus. Les mystères en bord de Loire sont plus
insondables que la rivière elle-même.
Oniriquement
sien
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