vendredi 16 août 2019

Renversement de rôles.


Quand les anges gardiens veillent…




Il était une fois, Anthony, un intrépide troubadour navigateur, poète et chanteur, magicien des mots tout autant que doux rêveur qui avait fait le vœu de remonter la Loire à la seule force du vent. Si celui-ci venait à manquer, il userait de ses bras prolongés par une bourde. Il savait que l’entreprise lui prendrait du temps, il avait choisi l’hiver pour espérer assez d’eau et un zéphyr porteur. C’est ainsi qu’il partit du port d’Ancenis, ayant le projet de gagner le Bec d'Allier et le petit village de Cuffy pour honorer un grand de la marine de Loire.

Il avait équipé un petit rafiot de six mètres vingt de long de tout le nécessaire sans s’encombrer du superflu, aménageant une cabane rudimentaire avec un poêle et le strict minimum pour survivre sur la rivière en hiver. Armé de son courage, fort de sa détermination et espérant le soutien des ligériens, il partait ainsi dans une folle épopée qu’il entendait bien agrémenter de rencontres, de chansons et de belles images


Les réseaux sociaux bruissèrent de cette belle folie. L’homme osait ce que les anciens faisaient tout naturellement au temps glorieux de la Marine de Loire. En cela, il devait être reçu avec tous les égards qui reviennent aux gens d’exception. Ce qui ne manqua jamais de se produire sur ce long périple.


Mais il se trouve forcément dans une telle aventure, des étapes que les contraintes de la navigation placent trop loin d’un port ou d’une zone accessible. C’était alors pour notre valeureux navigateur l’occasion de se retrouver seul avec lui-même, d’admirer le paysage, de méditer et aussi de communiquer avec la nature. C’est au cours de ces moments uniques et si rares pour nos contemporains qu’il se trama de bien mystérieuses rencontres que les esprits cartésiens réfuteront sans nul doute.

Anthony à la tombée de la nuit, avec son chien pour seul compagnon dans son étroite cabine avait parfois du vague à l’âme. C’est ainsi qu’il prit l’habitude, malgré le froid et la nuit de chanter pour la nature. Alors, son voyage bascula soudainement dans l’onirisme… cela faisait tout juste une semaine qu’il était parti quand se déroula son premier rendez-vous avec l’insondable mystère.

Ce soir-là, un crapaud vint lui faire la conversation comme savent le faire ces animaux si injustement dépréciés. Bien vite, entre le chanteur et l’animal, un duo s’établit, l’un répondant à l’autre, en un échange aussi subtil que mélodique. Ému, troublé certainement, Anthony au terme de ce long récital, octroya au crapaud une délicate caresse. Dans l’instant, l’animal se métamorphosa en un agréable lutin qui s’évanouit dans la nuit.



Cette nuit-là, le navigateur solitaire fit d’étranges rêves peuplés d’un petit être lui affirmant que désormais, il accompagnerait son voyage à distance, lui offrant sa protection à chaque fois qu’il en aurait besoin. L’homme ne chercha pas à percer le mystère de ces curieux songes et reprit au petit matin son très lent périple à contre-courant.

L’aventure se reproduisit plusieurs fois, à intervalles irréguliers. C’était toujours lorsqu’il se trouvait isolé du reste de l’humanité qu’il entrait en contact avec l’irrationnel. Ce furent tout à tour une chouette, un putois, une genette, un anodonte, une anguille, un orvet et une araignée qui vinrent à la rencontre du solitaire. À chaque fois se produisit la même scène, une relation se nouait, Anthony au terme de ce qui aurait pu s’apparenter à une parade de séduction, portait délicatement la main sur l’animal qui prenait miraculeusement une nouvelle forme…


Au fil des transformations, Anthony s’offrit un équipage discret, visible de lui seul et toujours présent lors des moments délicats. Il se vit accompagné d’un elfe, d’une sirène, d’un mage, d’une fée, d’un korrigan, d’un farfadet, de la Vouivre en personne et d’un feu follet. Jamais plus belle compagnie ne fut donnée à quiconque sur la rivière. C’est à travers elle qu’il trouva la force de continuer ce voyage bien plus difficile qu’il ne l’avait imaginé.



Il garda secret cette dimension si particulière de son aventure, jugeant que ses frères les humains avaient perdu leur âme d’enfant. Il craignait les moqueries, pire encore les quolibets et sans doute l’accusation de folie qui n’aurait pas manqué de surgir de la bouche de personnages trop soucieux de données tangibles et vérifiables. Qu’importe, désormais il se savait béni des anges.

Pourtant un soir, bien après la fin de son aventure, un incident, une rencontre détestable, un déplorable épisode de l’indigne médiocrité de certains humains, fit éclater la vérité aux yeux de quelques privilégiés dont j’ai eu le bonheur d’appartenir. Dans un lieu que je garderai secret par un souci légitime de discrétion, l’éclectique et féerique troupe de ses protecteurs surgit pour donner une bonne leçon à des gougnafiers de la pire espèce.

Tandis que l’artiste accompagné par son merveilleux accordéoniste proposait à ceux qui étaient venus l'accueillir en bord de Loire, son tour de chant, récit à la fois de son expérience mais aussi de ses nombreuses méditations, un groupe bruyant, vint troubler la quiétude de l’instant. Attablés au cœur de la scène, ils tenaient à faire plus de bruit que les deux artistes, pour le plus grand désespoir des spectateurs sous le charme de la représentation.



Les huit larrons et larronnes, incapables de modérer leurs propos, faisaient si grand vacarme que les anges gardiens du navigateur durent intervenir. Il faut avouer que jamais nous n’avions entendu en bord de Loire pareil brouhaha indécent et discourtois. Il y avait là un bel assortiment de ce qui se fait de plus détestable dans l’insupportable caste de ceux qui se pensent tout permis.

Nous nous pensions dans une basse-cour, à moins que ce ne fut une ferme. L’une croule, l’autre blatère, celle-ci cacabe, celui-là braie quand sa voisine caquette et qu’un autre coquerique. Une dernière jacasse tandis que le plus puissant beugle à qui mieux mieux. Pire encore, les importuns ne daignèrent pas participer au chapeau, pour honorer les artistes qu’ils n’avaient du reste jamais écouté. Nous n’en pouvions plus quand médusés, nous vîmes surgir à tour de rôle un lutin, une sirène, un mage, une fée, un korrigan, un farfadet, la Vouivre et un feu follet.

Chacun vint se placer sur les noceurs qui dans l’instant héritèrent de l’apparence du bruit qu’il faisait. Interloqués tout autant qu’incrédules, nous les vîmes disparaître pour voir en leur place surgir une bécasse, un bélier, une pintade, un âne, une poule, un coq, une pie et un taureau qui se dispersèrent dans la nature. Ainsi la soirée put s’achever dans la quiétude qui sied à un tel concert.

Nous étions si contents de cet épilogue que nul ne songea à s’interroger plus avant sur les explications qu’il convenait de donner à ce que nous avions vu. Nous nous contentions d’écouter enfin dans le calme Anthony dans son merveilleux tour de chant tandis que ses anges gardiens s’étaient envolés aussi mystérieusement qu’ils étaient apparus. Les mystères en bord de Loire sont plus insondables que la rivière elle-même.

Oniriquement sien


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