samedi 24 août 2019

Aide toi, le ciel t'aidera.



Notre Dame de Bon secours.



Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, un brave curé de village qui avait la foi chevillée au corps. Il passait pour un saint homme et personne ne songeait à médire de lui. Il était apprécié de tous ses fidèles et même de ceux qui l'étaient beaucoup moins. Quand venait le jour de la Saint Nicolas, personne ne songeait à bouder la procession dans cette paroisse ligérienne.


Nous sommes en 1755 à la Chapelle-sur-Loire, ville qui fut hélas martyrisée par la rivière un siècle plus tard. Notre brave curé est dans son presbytère, il s'applique à la rédaction de son sermon. Dans le pays bruissent les rumeurs d'une prochaine et redoutable montée des eaux. Chacun se prépare à fuir les flots sauf notre curé qui est persuadé en toute circonstance que Dieu lui viendra en aide.

Dans une église baptisée Notre Dame de Bon Secours, il a de bonnes raisons de croire en la protection divine, d'autant que Saint Nicolas, le patron de tous ceux qui vont sur l'eau, trône en majesté dans la nef. Alors, quand l'eau commence à venir lécher les marches du parvis, il ne s'inquiète pas autre mesure. Il se réfugie près de l'autel, confiant en sa bonne étoile.

À la Chapelle-sur-Loire pourtant, les villageois se préparent à fuir. Chacun emporte ce qu'il peut et s'en va dans l'arrière-pays. Le village est alors désert. Seul l'homme de Dieu reste à la barre, écrivant son sermon pour la messe du lendemain. Il croit dur comme fer que le miracle aura lieu et qu'à l'heure de l'office tout sera revenu dans l'ordre.

Mais si les voies du Seigneur sont impénétrables, les colères de la Loire sont toutes aussi redoutables. Bien imprudent celui qui veut s'opposer à la violence des flots. Bien vite, le niveau d'eau monta et notre curé a les pieds mouillés. Des gens, alarmés de sa situation, envoyèrent un pêcheur le quérir sur sa petite barque, une plate du pays.

Le pêcheur arriva devant l'église et appela le Saint Homme. « Mon père, venez bien vite vous mettre à l'abri. Les nouvelles ne sont pas bonnes, vous devriez vous mettre au sec ! ». L'entêté en soutane lui répondit alors : « Laissez-moi donc mon ami, le tout puissant veille sur moi. Demain c'est dimanche et je dirai ma messe quoiqu'il arrive. »

Le pêcheur s'en retourna un peu dépité de n'avoir pas rempli son office. Mais que peut-on faire face à l'obstination d'un homme qui bénéficie d'une conviction inébranlable. Il s'en retourna d'où il était venu, prenant sur le chemin quelques animaux qui avaient été laissés eux aussi en mauvaise posture.

Dans la journée, l'eau monta encore. Le curé dut monter en chaire sans qu'il n'y eût personne dans l'église pour écouter ses plaintes. Si son sermon était maintenant au point, il se trouvait bien malin sans le moindre auditoire. Sur les hauteurs plus lointaines, on s'inquiétait de plus en plus pour le berger de cette petite communauté.

Cette fois, c'est un gros fûtreau qui fut dépêché à son secours. De bonnes âmes avaient pensé que leur curé ne voulait pas abandonner son équipement sacerdotal. Un bateau de plus grande taille leur permettrait de sauver la face, les instruments de l'office et sa garde robe. C'est donc en cet équipage que deux braves mariniers vinrent chercher celui qui défiait la raison.


Le curé ne les reçut pas mieux que le pêcheur. Il avait les idées aussi arrêtées que la foi ancrée au plus profond de lui. Il répondit de la même manière, renvoyant au diable ces deux gaillards qu'il n'avait pas souvent le plaisir de voir en son église. Qu'ils fussent venus jusqu'à lui en bateau dans son église, était une offense qu'il ne pouvait accepter. À ces deux mécréants il dit également que Dieu seul pouvait lui venir en aide ! Les deux mariniers s'en retournèrent non s'en avoir chargé sur leur fûtreau la statue de Saint Nicolas. Il y a pour les gens de Loire des éléments à ne pas oublier, le bon Saint était de ceux là.

À la tombée de la nuit, la Loire montait encore. Les eaux étaient tumultueuses. Il y avait grand danger à se mettre en mouvement sur son flot. Cette fois, c'est un grand chaland qui fut envoyé. Long de trente mètres, le bateau pouvait sans frémir se rendre jusqu'à l'église. L'équipage avait été averti de la folie du prêtre. Le capitaine, fort de la certitude qu'il était seul maître à bord après Dieu, se faisait fort de rendre à la raison ce pauvre fou.

Il n'y parvint pas plus que les autres et je m'interdis ici de reproduire le dialogue qui opposa les deux hommes. Les murs de l'édifice sacré en tremblèrent et le diable, sans doute présent en ce jour de malheur, dut en rire sous cape. Le curé ne voulait rien entendre, dimanche il dirait sa messe. Seul Dieu pouvait lui venir en aide !

L'équipage s'en alla horrifié. Le prêtre avait perdu la raison, il hurlait des propos à ne pas mettre entre toutes les oreilles. C'est sans doute ce qui causa sa perte. La chaire trembla sur ses bases et s'effondra en un terrible vacarme. Les mariniers ne s'en retournèrent pas, c'était désormais trop tard pour venir en aide à ce pauvre fou. Sa messe était dite !

Au petit matin, notre curé se réveilla dans le ciel. Il avait quitté cette vallée de larmes et d'eau débordante. Et c'est devant Saint Pierre qu'il faisait le pied de grue. Lorsque son tour arriva, le brave homme d'église se prosterna humblement avant que d'émettre cependant une petite réclamation : «  Saint Pierre, comment se fait-il que Dieu n'ait pas répondu à mes prières. Me voilà mort alors que je l'avais tant prié. Pourquoi n'a-t-il rien fait pour moi ? »

Saint Pierre éleva alors la voix, courroucé on s'en doute par cette récrimination peu habituelle. «  Homme de peu de foi ! Tout prêtre que tu fus, tu n'as pas su voir les signes que t'a envoyé le ciel. Dieu ne peut pas tout gérer et tu devrais bien le savoir. Il avait confié ton dossier au brave Saint Nicolas. Celui fit tant et plus pour toi. Il t'envoya un pêcheur, des mariniers et tout un équipage. Tu leur as tourné le dos, préférant t'accoquiner avec le malin en jurant comme un charretier ! »

Alors, le pauvre curé comprit bien trop tard que le ciel lui avait tendu une main secourable. Il espérait une manifestation miraculeuse quand sa sauvegarde était venue de braves gens envoyés par le très haut. Il comprit bien tard le proverbe «  Aide-toi, le ciel t'aidera ! » À trop prier le ciel, on en oublie souvent les secours qui viennent des hommes. Cette morale vaut en bien des circonstances …

Moralistement vôtre



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