Notre
Dame de Bon secours.
Il
était une fois, il y a bien longtemps de cela, un brave curé de
village qui avait la foi chevillée au corps. Il passait pour un
saint homme et personne ne songeait à médire de lui. Il était
apprécié de tous ses fidèles et même de ceux qui l'étaient
beaucoup moins. Quand venait le jour de la Saint Nicolas, personne ne
songeait à bouder la procession dans cette paroisse ligérienne.
Nous
sommes en 1755 à la Chapelle-sur-Loire, ville qui fut hélas
martyrisée par la rivière un siècle plus tard. Notre brave curé
est dans son presbytère, il s'applique à la rédaction de son
sermon. Dans le pays bruissent les rumeurs d'une prochaine et
redoutable montée des eaux. Chacun se prépare à fuir les flots
sauf notre curé qui est persuadé en toute circonstance que Dieu lui
viendra en aide.
Dans
une église baptisée Notre Dame de Bon Secours, il a de bonnes
raisons de croire en la protection divine, d'autant que Saint
Nicolas, le patron de tous ceux qui vont sur l'eau, trône en majesté
dans la nef. Alors, quand l'eau commence à venir lécher les marches
du parvis, il ne s'inquiète pas autre mesure. Il se réfugie près
de l'autel, confiant en sa bonne étoile.
À
la Chapelle-sur-Loire pourtant, les villageois se préparent à fuir.
Chacun emporte ce qu'il peut et s'en va dans l'arrière-pays. Le
village est alors désert. Seul l'homme de Dieu reste à la barre,
écrivant son sermon pour la messe du lendemain. Il croit dur comme
fer que le miracle aura lieu et qu'à l'heure de l'office tout sera
revenu dans l'ordre.
Mais
si les voies du Seigneur sont impénétrables, les colères de la
Loire sont toutes aussi redoutables. Bien imprudent celui qui veut
s'opposer à la violence des flots. Bien vite, le niveau d'eau monta
et notre curé a les pieds mouillés. Des gens, alarmés de sa
situation, envoyèrent un pêcheur le quérir sur sa petite barque,
une plate du pays.
Le
pêcheur arriva devant l'église et appela le Saint Homme. « Mon
père, venez bien vite vous mettre à l'abri. Les nouvelles ne sont
pas bonnes, vous devriez vous mettre au sec ! ». L'entêté en
soutane lui répondit alors : « Laissez-moi donc mon ami, le
tout puissant veille sur moi. Demain c'est dimanche et je dirai ma
messe quoiqu'il arrive. »
Le
pêcheur s'en retourna un peu dépité de n'avoir pas rempli son
office. Mais que peut-on faire face à l'obstination d'un homme qui
bénéficie d'une conviction inébranlable. Il s'en retourna d'où il
était venu, prenant sur le chemin quelques animaux qui avaient été
laissés eux aussi en mauvaise posture.
Dans
la journée, l'eau monta encore. Le curé dut monter en chaire sans
qu'il n'y eût personne dans l'église pour écouter ses plaintes. Si
son sermon était maintenant au point, il se trouvait bien malin sans
le moindre auditoire. Sur les hauteurs plus lointaines, on
s'inquiétait de plus en plus pour le berger de cette petite
communauté.
Cette
fois, c'est un gros fûtreau qui fut dépêché à son secours. De
bonnes âmes avaient pensé que leur curé ne voulait pas abandonner
son équipement sacerdotal. Un bateau de plus grande taille leur
permettrait de sauver la face, les instruments de l'office et sa
garde robe. C'est donc en cet équipage que deux braves mariniers
vinrent chercher celui qui défiait la raison.
Le
curé ne les reçut pas mieux que le pêcheur. Il avait les idées
aussi arrêtées que la foi ancrée au plus profond de lui. Il
répondit de la même manière, renvoyant au diable ces deux
gaillards qu'il n'avait pas souvent le plaisir de voir en son église.
Qu'ils fussent venus jusqu'à lui en bateau dans son église, était
une offense qu'il ne pouvait accepter. À ces deux mécréants il dit
également que Dieu seul pouvait lui venir en aide ! Les deux
mariniers s'en retournèrent non s'en avoir chargé sur leur fûtreau
la statue de Saint Nicolas. Il y a pour les gens de Loire des
éléments à ne pas oublier, le bon Saint était de ceux là.
À
la tombée de la nuit, la Loire montait encore. Les eaux étaient
tumultueuses. Il y avait grand danger à se mettre en mouvement sur
son flot. Cette fois, c'est un grand chaland qui fut envoyé. Long de
trente mètres, le bateau pouvait sans frémir se rendre jusqu'à
l'église. L'équipage avait été averti de la folie du prêtre. Le
capitaine, fort de la certitude qu'il était seul maître à bord
après Dieu, se faisait fort de rendre à la raison ce pauvre fou.
Il
n'y parvint pas plus que les autres et je m'interdis ici de
reproduire le dialogue qui opposa les deux hommes. Les murs de
l'édifice sacré en tremblèrent et le diable, sans doute présent
en ce jour de malheur, dut en rire sous cape. Le curé ne voulait
rien entendre, dimanche il dirait sa messe. Seul Dieu pouvait lui
venir en aide !
L'équipage
s'en alla horrifié. Le prêtre avait perdu la raison, il hurlait des
propos à ne pas mettre entre toutes les oreilles. C'est sans doute
ce qui causa sa perte. La chaire trembla sur ses bases et s'effondra
en un terrible vacarme. Les mariniers ne s'en retournèrent pas,
c'était désormais trop tard pour venir en aide à ce pauvre fou. Sa
messe était dite !
Au
petit matin, notre curé se réveilla dans le ciel. Il avait quitté
cette vallée de larmes et d'eau débordante. Et c'est devant Saint
Pierre qu'il faisait le pied de grue. Lorsque son tour arriva, le
brave homme d'église se prosterna humblement avant que d'émettre
cependant une petite réclamation : « Saint Pierre, comment se
fait-il que Dieu n'ait pas répondu à mes prières. Me voilà mort
alors que je l'avais tant prié. Pourquoi n'a-t-il rien fait pour moi
? »
Saint
Pierre éleva alors la voix, courroucé on s'en doute par cette
récrimination peu habituelle. « Homme de peu de foi ! Tout
prêtre que tu fus, tu n'as pas su voir les signes que t'a envoyé le
ciel. Dieu ne peut pas tout gérer et tu devrais bien le savoir. Il
avait confié ton dossier au brave Saint Nicolas. Celui fit tant et
plus pour toi. Il t'envoya un pêcheur, des mariniers et tout un
équipage. Tu leur as tourné le dos, préférant t'accoquiner avec
le malin en jurant comme un charretier ! »
Alors,
le pauvre curé comprit bien trop tard que le ciel lui avait tendu
une main secourable. Il espérait une manifestation miraculeuse quand
sa sauvegarde était venue de braves gens envoyés par le très haut.
Il comprit bien tard le proverbe « Aide-toi, le ciel t'aidera
! » À trop prier le ciel, on en oublie souvent les secours qui
viennent des hommes. Cette morale vaut en bien des circonstances …
Moralistement
vôtre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire