La
Loire source de toute chose.
Il
était un temps si lointain que nul ne peut en témoigner de nos
jours. Le monde n'était pas soumis aux mêmes forces que celles qui
animent notre planète aujourd'hui. Les lois de la physique ne
répondaient pas aux mêmes règles. Ainsi, les eaux ne coulaient pas
sous les ponts qui d'ailleurs n'existaient pas. Seuls les mages, les
fées, les sorcières et les elfes vivaient alors au bord de notre
rivière nourricière.
Nous
sommes en un lieu que l'on nommera par la suite le Val d''Or. Les
hommes pour y commémorer ce que je vais vous conter y bâtirent
ensuite la Basilique de Fleury. Des forces mystérieuses y célèbrent
le mariage de la lumière et des eaux de la Loire.
Mais
alors, en cette époque reculée, bien au-delà des hommes, nul
mouvement dans les eaux comme dans le ciel. Un paysage figé, une
immobilité parfaite de carte postale. Merlin ne pouvait plus
supporter ce qu'il prenait pour une absence de vie, une image
factice. D'autres prétendaient vivre au paradis, c'est sans doute
parce qu'on n'y manquait de rien. Mais la vie suppose des envies et
des frustrations, des désirs et des refus. Il fallait mettre un peu
de mouvement dans ce décor figé.
Merlin
eut alors géniale intuition. Rien ne bougeait en cet Éden
magnifique car les choses n'étaient pas nommées. Il prit alors sa
baguette magique et d'un geste solennel entreprit de donner un nom à
tout ce qu'il voyait. Chaque partie du décor ainsi désigné se
mettait à se mouvoir au gré du vent et des eaux. Car, en bon
ligérien qu'il était, c'est la Loire que Merlin baptisa en premier.
De
ce jour mémorable d'entre tous, des noms désignent toutes les
plantes, les animaux et les idées qui venaient à notre mage en
regardant son œuvre. Arbres, fleurs, insectes, poissons, nuages,
paysage, chacun avait son appellation et tout semblait prendre de la
vie.
Pourtant
bien vite, Merlin comprit qu'il manquait encore quelque chose. Que
s'il y avait mouvements et variétés dans ce décor en évolution,
il semblait lui manquer un peu de fantaisie, un souffle de volupté.
Rien de nouveau n'apparaissait. Après quelque temps, quand il eut
finit de constituer son lexique initial, il ne se passait plus rien
de neuf et de surprenant.
Merlin
réfléchit longuement. Il fallait apporter un petit brin de folie,
un désir qui venait du plus profond de chaque chose. C'est une
petite fée friponne qui lui souffla dans le cou ce petit frisson qui
le mit dans le droit chemin. Il créa alors des petits mots qui,
placés devant les noms, leur donna un genre et un nombre. Voilà une
idée fort singulière et si déterminante. Il y avait des garçons
et des filles, du désir et des attirances. La vie pouvait prendre un
tout autre essor.
Une
fois encore, après une longue période d'euphorie et de volupté,
Merlin comprit que sa création manquait encore de vérité. Si les
mouvements et les amours étaient désormais partie intégrante du
décor, il lui semblait que rien ne changeait, que tout restait en
l'état. Il manquait des différences, des variations, des débuts et
une fin. Mais comment s'y prendre ?
C'est
en observant la Loire qui n'est jamais tout à fait pareille, tout à
fait la même qu'il se dit qu'un mot devait se parer de mille et une
facettes. Son monde avait besoin de nuances, de couleurs et de
caractère. Il créa, pour notre plus grand bonheur l'immense troupe
des adjectifs. Il y avait des plus jeunes, des plus vieux, des moins
gros, des plus grands, des lestes et des balourds, des gentils et des
méchants …. La vie était désormais pleine de surprises comme de
déceptions.
Encore
une fois Merlin n'était pas encore tout à fait satisfait de son
œuvre. Si de ses yeux, il assistait à un merveilleux spectacle, il
ne parvenait pas trouver tous ses mots. Il lui fallait une autre
catégorie de termes pour décrire le mouvement. Contrairement à ce
que prétend la bible, c'est Merlin qui inventa le verbe bien après
avoir donné un nom à chaque chose de la création.
Il
pouvait désormais jouir du spectacle qu'il avait créé tout en
ayant le bonheur de pouvoir le traduire en mots pour en faire part
aux autres mages. Les eaux roulaient, grondaient, s'endormaient, se
réveillaient, brillaient. Le vent soufflait, tombait, tempêtait. Le
soleil pouvait enfin se lever ou se coucher et le ciel s'empourprait.
La vie était devenue cette merveille pour laquelle la Loire
constituait un écrin.
Merlin
était fier de ce qu'il avait accompli. Il prit grand plaisir à se
raconter des histoires, à s'inventer des aventures merveilleuses qui
se passaient en bord de Loire. Il s'arrêta pourtant au milieu du
gué. Il n'avait pas inventé les adverbes et les prépositions, les
pronoms et les conjonctions. Mais c'était là besoins bien trop
complexes pour nos mages. Il lui semblait en avoir assez fait ! Tout
le monde n'écrit pas des bonimenteries ...
Grammaticalement
sien.
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