La
pêche de mon enfance.
Nous
attendions la remise des prix pour nous savoir en vacances. Nous
abandonnions alors le chemin de l’école que nous prenions le jeudi
et le samedi aussi, tant nos maîtres, adeptes de la méthode
Freinet, nous avaient scotchés à l’imprimerie et aux diverses
activités extérieures à la classe. Cette fois, Maurice, Marcel et
leurs épouses partaient pour leur Sud natal et nous confiaient à la
Loire quand nous n'étions pas en colo.
C’est
la pêche à la barbote qui occupait nos journées. La technique en
est simple, le bonheur incomparable et le résultat souvent au-delà
de nos compétences en matière halieutique. Pour les béotiens et
les urbains – à moins qu’ils ne soient les deux à la fois –
il s’agit de se munir d’un scion : une canne courte et
souple d’un mètre environ, munie d’une ligne, la plus fine
possible.
L’instrument
essentiel à cette pratique était la laitière qui pendait à notre
ceinture. Une laitière en alu argenté que nous remplissions d’eau
pour recevoir le fruit de notre activité, de merveilleux petits
poissons au corps en fuseau, musclés et colorés ; les goujons. Qui
n’a jamais mangé une friture de Loire exclusivement composée de
goujons ne peut savoir la gourmandise que recèlent ces petites
merveilles.
Le
couvercle de la laitière était quant à lui tout autant
indispensable pour y mettre les précieux vers de vase, bien à
l’abri dans une mousse verte que nous prenions soin d’humidifier
régulièrement. Tout cela devait être parfaitement arrimé car
c’est au milieu de la rivière que nous allions, de l’eau
jusqu’aux cuisses, pour nous mettre en action.
Il
nous fallait trouver un fond sablonneux dans une passe où le
courant, point trop violent, laissait un peu de temps à notre
coulée. Les pieds nus, nous passions nos journées à mouver le
sable pour provoquer un nuage qui brouille l’onde en offrant aux
petits poissons, un sentiment de protection et de nourriture.
Les
goujons se précipitaient, venant souvent nous caresser les arpions.
Alors, toutes les trois ou quatre coulées, une prise se faisait et
venait rejoindre ses collègues dans la laitière. Nous découvrions
le mouvement perpétuel, le plaisir de barboter et de pêcher, la
liberté d’être dans cette Loire que les adultes déclaraient -
pour nous faire peur- dangereuse.
Nous
n’en avions cure, nous remuions le sable tant qu’il y en avait et
allions chercher un autre endroit un peu plus loin quand le filon
semblait s’épuiser. Combien de fois nous l’avons traversée ? Je
ne sais ! Nous y étions en notre domaine, notre terrain de jeu et de
gourmandise. Chacun rentrant le soir, sa laitière pleine, pour se
mettre en devoir de vider les poissons avant qu’ils ne soient frits
ou bien préparés dans une pâte à beignet.
La
condition était la même pour nous tous, nous devions assumer la
préparation de notre récolte ligérienne. Nous en étions si
friands que peu s’exonérait de ce plaisir supplémentaire. Un
seul échappait à la règle, c’était le fils du garagiste
derrière l’église Saint Germain, le quartier marinier
d’autrefois. Jean-Michel, lui était un expert, un professionnel de
la pêche en Loire.
Ses
goujons, qu’il prenait à une cadence largement supérieure à la
nôtre, regagnaient la table du restaurant de monsieur Houdré, son
voisin. Nous admirions ce camarade d’un an plus vieux que nous qui
savait tout prendre dans cette rivière qui coulait juste derrière
chez lui. La nuit, en automne, il se cachait dans les rauches pour
prendre des anguilles qui allaient,elles aussi, sur le menu du chef
cuisinier.
Qui
n’a jamais barboté ou bien pêché à la mouve, ne peut savoir ce
lien charnel, unique que nous avions avec la rivière. Les années
ont passé, les générations suivantes ont progressivement abandonné
cette technique et même la pêche en Loire. Il faut avouer qu’on
nous avait fermé l’abattoir qui nous offrait lui aussi de fameuses
parties quand le sang se déversait dans le courant et que nous
remplissions des sacs à pommes de terre de barbeaux et de hotus. Une
folie, une pêche de légende, absurde et meurtrière car nous ne
faisions rien de ces pauvres poissons.
Parfois
nous allions sur un cul de grève pour aller taquiner les
carnassiers. Là encore, Jean-Michel nous donnait une telle leçon
que bien vite, nous préférions le bain imprudent à l’aveu de
notre incompétence. Personne ne nous avait avertis que le danger
rôde en cet endroit, nous savions suffisamment notre Loire pour ne
jamais commettre d’imprudence. On peut aussi se dire que Lug
veillait sur nous et que tout se passa toujours le mieux du monde.
La
rivière avait été notre nourrice. Je vous l’ai souvent répété.
Vous comprendrez aisément maintenant que c’est par le truchement
d’une laitière qu’elle mérite cette dénomination. Je referme
une fois encore la boîte à nostalgie de mon pays d’en-France.
Barbotement
vôtre.
Barbote
Mouve, mouve, mouve
tout au fond
Pour attraper les
goujons
Va dans la rivière
Pour remplir ta
laitière
Quand arrivaient les
vacances
Nous étions tous en
transe
Préparant un petit scion
Afin de prendre des
poissons
Tout l’été à barboter
Jusqu’aux cuisses étions
trempés
Les pieds mouvant le sable
Pour ces proies
délectables
Refrain
Nous y passions nos
journées
Sans jamais nous inquiéter
Cette rivière
poissonneuse
Pour nous pas dangereuse
Nous savions ses secrets
Ses pièges et ses gués
Nous lui étions fidèles
Ayant grandi tout près
d’elle
Refrain
C’est pour prendre le
brochet
Qu’il fallait se méfier
Car dans les culs de grève
Que se brisèrent des
rêves
Le carnassier bénaise
Dans le trou avait ses
aises
Gare à celui qui tombait
Certains hélas s’y
noyaient
Refrain
Un petit grain de sable
Un souvenir qui accable
Une pensée à oublier
Pour retrouver la gaieté
D’une joie sans pareille
Pour ces tendres
merveilles
Petits goujons en friture
Bien mieux que vos
confitures
Mouve, mouve, mouve le
fond
Pour attraper les
goujons
Va dans la rivière
Pour remplir ta laitière
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