jeudi 29 février 2024

Le valet et sa valise.

 

Ne voyez pas la malle partout




Sam, un valet de pied se les mit par mégarde dans le plat. La chose n'eut pas été d'importance s'il n'avait, à cette lamentable occasion, dû remplacer le majordome de la demeure bourgeoise. Il fut dans l'instant mis à pied en étant de ce pas congédié sans autre forme de procès, ses maîtres se refusant à accepter ses excuses. Nulle instance prud’homale en cette époque pour le soutenir dans sa démarche tandis que les guildes avaient depuis belle lurette, perdu tout pouvoir.


Ce brave serviteur avait eu, jusque-là plus d'un atout dans sa livrée. Il avait escompté en la mansuétude de ses employeurs oubliant que la faute avait été jugée impardonnable en regard de la qualité des hôtes qui furent les témoins de sa maladresse. Lui qui avait dans le passé mené le petit au bout n'était plus bon qu'à jeter aux chiens, chose somme toute normale dans cette cité.


Il lui fallait donc se défausser, prendre ses cliques et ses claques, remplir sa grosse valise de ses effets et tenter de jouer sa carte dans une nouvelle demeure. Fort d'une réputation qui avait fait le tour de la place, il escomptait que tout allait se dérouler comme sur des roulettes. Si sa valise pesait un âne mort, il n'était pas homme à baisser les bras. Il entendait empoigner à bras le corps son destin…


La rumeur alla bon train et parvint avant lui dans les maisons susceptibles de l'embaucher. Il essuya des refus de nature à lui couper les jambes. Pour un valet de pied, la chose impliquait une réaction drastique, il lui fallait changer de métier. Sa valise en main, il en profita pour jeter un regard attentif à son sort.


S'il eut été maltôtier ou bien cantinier, il se serait trouvé à porter toute la misère du monde et pour le premier sa malle au trésor et pour le second sa cantine. Lui disposait d'une valise en bon valet de pied qu'il fut. C'est fort de cette curieuse réflexion qu'il tira la ressource pour infléchir un sort qui était fort mal engagé pour celui qui ne trouvait nul engagement.


Sam se dit in petto qu'il n'était pas un mauvais diable, que sa peine pour injuste qu'elle soit, devait lui servir de tremplin pour rebondir. Il n'allait tout de même pas se brûler les ailes pour un malheureux croque en jambes. Ses idées tournaient en boucle tandis qu'il remontait la pente, peinant de plus en plus sous le poids excessif de cette maudite valise.


Des circonstances les plus défavorables peut surgir la lumière. À quelque chose, malheur est bon. Il avait le sentiment d'être sur de bons rails alors que justement, il se dirigeait vers la gare pour quitter cette ville qui venait de le laisser choir. C'est alors que se mit en branle une étrange mécanique réflexive.


Il posa sa valise, se répéta mentalement tout ce qu'il venait de se dire en son for intérieur et eut une révélation. Sam songea à installer des roulettes à sa valise. Un détail qui n'était pas sans importance pour cet ancien valet de pied qui voyait soudainement son avenir s'éclaircir. Il reprit de la vigueur et sa valise pour rejoindre la gare.


Il quitta sans regret cette ville qui l'avait vu servir les autres, se courber pour supporter les remarques et les critiques. C'est un homme nouveau qui descendit dans sa nouvelle destination. Il ne serait plus domestique mais entreprenant entrepreneur avec une idée qui allait faire son chemin. La société du reste s'apprêtait à mettre les pieds dans la civilisation des loisirs. La Sam Sonique comme il avait baptisé sa trouvaille qui ferait grand bruit en soulageant l'humanité en mouvement.


Voilà la véritable histoire de cette invention capitale. L'homme ayant reçu une éducation rigide, il songea même à conforter son invention. La valise disposerait désormais d'une coque robuste et même d'une poignée modulable pour éviter de se courber. Sam ne connut plus jamais l'humiliation de se plier aux ordres de ses maîtres. Il avait pris son destin en main !


 


mercredi 28 février 2024

Une veillée contée …

 

Quand le Bonimenteur s'invite à votre table !





Les journées s'étiolent comme peau de chagrin, la nuit enveloppe toutes nos soirées de son manteau d'étoiles. Les fêtes des villages ont cessé de nous donner la parole, les grands moments passés en bord de rivière à festoyer au son de nos musiciens ne me font guère de place. Je me sens bien triste à l'idée de ne plus conter ; l'envie étant trop grande pour accepter ce silence forcé.


J'ai décidé de voler de mes propres ailes pour aller rencontrer de petits groupes qui auraient envie de s'associer à ce bonheur simple : le partage d' histoires. Le conteur frappe à votre porte, il entre sur la pointe des pieds pour participer à un repas entre amis. Les présentations sont faites, évasives, pour ne pas briser l'effet de surprise. Je serai un des leurs et j'aurai bien des choses à apprendre d'eux



Nous entrons alors dans le merveilleux des soirées impromptues. Les conversations se font et se défont : magie du « chapeau de paille – paillasson » qui a enchanté notre enfance. Dans mes interventions parfois je glisse la Loire, cet amour que j'ai pour son histoire et ses légendes. Les hôtes m'ont présenté comme une relation amicale, rencontrée un jour de fête ligérienne. J'écoute surtout pour mieux les connaître, prendre plaisir à ce contact et trouver matière à glisser quelques parts d'eux dans les futurs contes.


Le repas se termine, les ventres repus ont toujours bien plus d'oreilles que ceux qui gargouillent. Il faut retenir ce sage précepte au risque de ne pas être écouté. Rien n'est d'ailleurs plus fugace que l'attention de nos amis à l'heure de l'apéritif : moment le moins propice aux récits comme aux confidences.



Plus tard dans le repas, il est possible parfois de faire une pause, de se lever et de partir au pays des songes. Tout dépend alors de la qualité du vin qui repose dans les verres. Certains permettent de devancer le moment du récit, surtout quand ils sont de Loire. Ils deviennent prétexte à une anecdote qui, de cuve en fût, fait son chemin jusqu'au verre à pied …


Mais c'est toujours après le dessert, quand les ventres sont enfin repus, que les esprits sont disponibles. Le convive qu'on ne connaissait pas s'éclipse alors ; qui sait : il a peut-être quelques petits problèmes de rétention urinaire ; personne ne s'étonne de le voir ainsi se lever. Il met un peu plus de temps que nécessaire, semble-t-il. Tiens, il a changé de tenue ; celle-ci est drôle : le voici pieds nus et la tête couverte d'un béret.



Soudain, le silence se fait. Une douce musique surgit comme par hasard en fond sonore. Les convives s'interrogent, se regardent. Vont-ils se laisser prendre par le bout du cœur, retourner en enfance, au pays des fées et des elfes du temps d'avant, quand les châtaignes grillaient dans la cheminée ? Il est d'ailleurs très recommandé de profiter de l'aubaine pour mettre sur la table un cornet de ces délicieux fruits grillés qui vont embaumer la pièce.


Il était une fois … La formule magique ouvre les portes de l'imaginaire. Il n'y a plus de vie moderne, de téléphone qui sonne, de conversations entrecoupées et jamais tout à fait terminées. Pendant quelques minutes, il ne faut pas être très gourmand ; ce n'est pas un spectacle mais un petit moment au débotté ; le conteur tient la parole, emportant les visiteurs d'un soir dans son monde imaginaire.


 


Parfois, dans le groupe, d'autres révèlent aussi ce délicieux savoir-faire. D'une histoire à l'autre, la soirée peut devenir veillée si la cheminée crépite à deux pas de là. C'est un bonheur rare, un retour aux pratiques ancestrales qui regroupaient les individus autour de la parole et de son expression fabuleuse.


Voilà ce qui s'est passé quelquefois et que j'aimerais encore reproduire si le cœur vous en dit. N'hésitez pas à regrouper des amis autour d'un repas simple, d'un plat qui fleure bon la tradition. Trop de sophistication risque de ruiner l'initiative. Nous avons besoin de simplicité pour nous retrouver en enfance.


Je suis à votre disposition pour ce moment de bonheur. Je vous garde une soirée, un vendredi ou bien un samedi soir ou un autre jour, pour venir frapper à votre porte. Il suffit de me faire signe, de m'offrir le gîte et le couvert si vous êtes un peu loin de ma cité ligérienne. Je serai votre visiteur d'un soir, faites-moi bon accueil ; je me charge du reste.


 Tableaux de Pieter Brueghel le Jeune

 

Vendredi 22 mars Repas du Midi conté 

à Souvigny en Sologne 

La Grange aux oies


mardi 27 février 2024

Les pommes d'amour

 

Les pommes d'amour





À l'automne nous attendons

Des pommes, la récolte

Pour la belle cargaison

Les femmes s'feront accortes


Nos épouses, toute l'année

Restent seules à la maison

Pour cette belle équipée

Elles seront nos compagnons


À la grande capitale

Nous allons par la rivière

De Montjean jusqu'au canal

Pour une aventure cavalière


À Orléans nous quittons

La belle dame Liger

Pour emprunter sans façon

La voie d'eau ordinaire


Faisons escale à Grignon

Merveilleux port du canal

Un écrin vraiment trognon

Pour escapade loin du Val


Par la forêt nous gagnons

Montargis puis le Loing

La Seine et ses ponts

Paris n'est pas si loin


Pour les dames ce voyage

Sans soucis du quotidien

Est belle fête volage

Qui leur fait grand bien


Elles oublient les privations

En faisant des emplettes

Dépensent à profusion

Tout l''argent des reinettes


Elles nous rendent ce bonheur

En sourires et baisers

Qu'elles nous font à toute heure

De la plaisante équipée


Le retour est si joyeux

Qu'il passe bien trop vite

Et nous sommes malheureux

Qu'au pays elles nous quittent


À l'automne, nous transportons

Un joli fruit défendu

À Paris nous célébrons

Le pêché et ses vertus

lundi 26 février 2024

La Loire et ses jalons

 

Plaques et bornes






Si la Loire a un affluent qui porte le nom de Borne, une rivière de 48,4 km qui coule en Haute-Loire et se jette dans la rivière mère à Chadrac, elle a depuis le milieu du XIXème siècle, une multitude de bornes en pierre qui jalonnent son parcours dans sa partie historiquement propice à la navigation.


Ajoutons en maints endroits, sous les ponts notamment des plaques, le plus souvent en fonte et parfois en zinc. Celles-ci indiquent les distances de ville à ville. Ce sont les pendants des plaques de cochers qui existaient sur les routes anciennes. On pourrait les nommer Plaques de coches d’eau. Elles précisent les distances de ville à ville. Leur précision est au mètre et les distances mesurées le sont à partir de la rive droite de la Loire.


Ces distances ainsi déterminées servaient de base pour le calcul du montant facturé du transport de la même manière qu’un transporteur routier facture selon la distance sur route.

Ces plaques proviennent de la fonderie Bouilliant, le sigle de l’entreprise y figure en bas à droite. Elles devaient être installées dans trente trois villes et villages ligériens qui sont les principaux ports de référence du trafic de l’époque. Elles auraient été installées à partir de 1835 date donnée sous réserve naturellement.


 

Les villes de cette liste : Briare – Gien – Sully – Châteauneuf – Jargeau – Combleux – Orléans – Meung – Beaugency – Mer – Blois – Amboise – Montlouis – Tours – Cinq Mars – Langeais – Port Boulet – Candes – Saumur – Les Rosiers – Saint Mathurin – Pont de Cé – La Pointe – Challonnes – Montjean – Ingrandes – Saint Florent – Ancenis – Oudon – Nantes - Indret – Paimbœuf – Saint Nazaire


On remarque que cette liste ne tient pas compte des ports situés en amont de Briare. Faut-il y voir un oubli ou bien la volonté de ne tenir compte que de la navigation à double sens ?


Quant aux jalons suivants, nous les avons redécouverts à partir des explications de Nathalie Rivierre de l’office de Tourisme du Val de Sully qui en est l’ardente défenseure et la collectionneuse photographique. Trop souvent délaissées ou abandonnées à l’oubli, ces bornes sont un pan entier de notre histoire et devraient à ce titre figurer dans le cadre de la préservation patrimoniale. Grâce à leur défenseure, voici ce que nous pouvons en savoir :


BORNES DE LOIRE




Les bornes ligériennes sont des blocs de pierre blanche posés le long des berges de la Loire. Elles ont été installées au milieu du XIXe siècle par les Ponts et Chaussées.
Cylindriques ou carrées, trois types de bornes jalonnent elles aussi le fleuve. Chacune d’elles prend un repère différent suivant sa position relative sur la rive.


Les bornes carrées



Elles sont des bornes-repères de nivellement situées aussi bien sur la rive gauche que sur la rive droite de la Loire. Elles sont gravées d’un numéro suivi d’une lettre. Le « M » signifie montant (amont), le « D » descendant (aval). La numérotation part du Méridien de Paris, la méridienne verte qui correspond à l’expédition de Jean Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain qui, à partir de 1792 se sont lancés dans une aventure permettant de déterminer le mètre étalon. La borne 0 se trouve sur la levée de Loire entre Saint-Père-sur-Loire et Saint-Benoît-sur-Loire ainsi que sur la rive gauche. Implantées sur des points hauts comme les levées, elles sont espacées d’un kilomètre réel environ. Elles correspondent certainement à la volonté de l’époque d’imposer le système métrique qui fut difficile à faire rentrer dans les mentalités.


Les bornes cylindriques :

 



Au nord de la Loire, elles sont frappées d’un numéro. Elles indiquent la distance en kilomètres parcourue par la Loire de l’est à l’ouest du département. Pour le Loiret, la numérotation démarre du point K1 pour se terminer au point K129.
Au sud de la Loire, les bornes ont une numérotation continue. Elles indiquent en kilomètres la longueur de la partie navigable de la Loire. Le point de départ se situe à Iguerande en Saône-et-Loire (point de départ de la Loire dite navigable) et s’arrête à l’estuaire à Saint-Nazaire (44).
À propos du mètre étalon
 

En juin 1792, Jean Baptiste Joseph Delambre fut chargé de mesurer la distance entre Dunkerque et Rodez grâce à un système de triangulation, d'outils astronomiques et de points de repères et de pyramides pendant que son collègue Pierre Méchain mesura celle de Barcelone à Rodez. Les deux hommes devaient se retrouver à Rodez. Cela devait permettre d'établir précisément et concrètement la longueur du nouvel étalon.
Vous pouvez retrouver cette folle aventure dans le roman de Denis Guedj : Le mètre du monde.
En août 1793, la Convention nationale décréta que le système nouveau des poids et mesures se substituerait à l'ancien pour toute la République française. Le 7 avril 1795, le mètre étalon devint la référence unique de longueur officielle.

 



dimanche 25 février 2024

Le funambule de l’inutile.

 

Les points de suspension.




Il était une fois un écrivain en mal d’imagination. Les mots s'échappaient péniblement de sa plume d’autant plus qu’il utilisait un clavier. Il avait le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de reprendre son souffle.


Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans le métier. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il faut admettre qu’il avançait péniblement sur le chemin d’un écrit qui ne sortait pas du cœur.


Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, il devait se contenter de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques. C’était laborieux et cela n’aurait certainement pas intéressé grand monde si soudain, par un incroyable renversement de dernière minute, la lumière n'était venue, le miracle ne s'était produit.


Incapable de trouver le mot de la fin, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile , sans espoir de chute, dut se rabattre sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, lui octroyant des points de suspension qui permettaient l'ellipse et ouvraient de nouvelles perspectives à des lecteurs qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois son point final habituel, il pensait certainement élargir son propos.


C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle de son disque dur.


Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première. L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens.


Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.


Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.


Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.


Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail de distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.


Puis, un jour, il découvrit que les autre vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.


Il garda cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude : elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…




samedi 24 février 2024

Le panier magique.

 

Cosette et les siens ...





Il était une fois au bord d'une rivière, une jeune fille qui, depuis la tragique disparition de ses parents, avait la charge de subvenir aux besoins de ses six frères et sœurs. Nous l'appellerons Cosette afin que chacun comprenne la pureté de ses intentions et son extrême dénuement. A cette époque lointaine nul service social ne venait au secours des pauvres gens ; plaise au ciel que ce ne soit pas un conte d'anticipation ! …

Cosette était au bord du désespoir. Elle avait arpenté les rives, cherché dans les taillis et les bosquets, tendu la main devant quelques personnes du voisinage et tout cela sans le moindre résultat. Elle allait devoir rentrer dans leur modeste demeure sans rien avoir à proposer à l'appétit toujours plus grand de sa fratrie. Qu'allait-il se passer ? Elle n'osait l'imaginer.

C'est lorsqu'on est au plus profond du désespoir que surgit parfois une petite clarté. Cette fois encore, le conte ne déroge pas à l'usage et c'est la bonne fée Morgane qui croisa le chemin de la pauvrette. Voyant les yeux rougis et le visage blême de la jeune fille, la fée alla vers elle pour lui demander ce qui la chagrinait ainsi. Cosette lui présenta la situation en toute franchise sans noircir plus encore le trait ; les faits étant bien assez dramatiques pour ne pas en rajouter.

Cette franchise plut à la fée Morgane dont chacun sait qu'elle est capable de tout : du meilleur comme du pire. Cette fois, la sincérité de la jeune fille fit ressortir les bons côtés de la dame qui adressa pourtant une étrange requête à celle qui avait charge de famille. Morgane, d'un air mystérieux, demanda à la jeune fille : « J'aimerais que tu traverses la rivière ; juste en face de là se trouve une île où il y a la plus belle oseraie de la région. Rapporte-moi une belle brassée d'osier et je te ferai un cadeau. »

Cosette ne fut pas surprise de la demande : elle savait désormais que les grandes personnes sont capables de toutes les fantaisies pour le paiement d'un service. Celui-ci lui semblait bien plus respectable que bien des propositions qui lui avaient été faites jusqu'alors. Cette fée ne profitait pas de la situation pour demander à la jeune fille des choses que la morale réprouve ; au moins, cette fois, Cosette n'aurait pas à rougir de cette requête.

Morgane pour finir de rassurer la demoiselle, lui octroya une miche d'un pain noir qui, s'il n'était sans doute pas suffisant pour calmer les appétits de tous, allait permettre aux enfants de passer la nuit sans être tiraillés par des maux d'estomac. Cosette la remercia d'un grand sourire et partit retrouver les siens.

Tôt le lendemain matin, elle se mit en demeure de remplir son office ; elle traversa la rivière par un gué connu d'elle seule pour atteindre cette grande île où poussent les tiges d'osier. Elle fit grande récolte et ne s'émut même pas de voir les jeunes pousses se transformer, par je ne sais quel prodige, en des brins disposés à être tressés le jour même. La fée ne devait pas être innocente en ce phénomène : il ne faut s'étonner de rien avec de telles personnes.



Sa mission accomplie, Cosette revint sur la berge là même où elle avait rencontré la fée. Celle-ci sortit du trou d'un arbre creux et se mit immédiatement en action, tressant un grand panier bien plus vite que ne l'aurait réalisé n'importe quel artisan, maître en cet art si ancien. Morgane tendit alors le panier à Cosette en lui disant : «  Voilà qui résoudra tous les problèmes des tiens. Chaque fois que tu voudras leur donner à manger, plonge la main dans le panier en pensant à ce que tu aimerais y trouver ! ».

Morgane disparut comme elle était venue, laissant Cosette à son panier et à de nombreuses interrogations. Quel pouvait bien être le sens des paroles de la mystérieuse dame ? Comment allait-il nourrir ses six frères et sœurs ? N'avait-elle pas été bercée d'illusions par une belle promesse ? Il n'était plus temps de s'interroger plus avant ; les siens devaient l'attendre, leurs ventres si vides qu'elle entendait leurs appels à travers la forêt.

Cosette rentra dans sa masure et demanda à sa plus jeune sœur ce qu'elle désirait manger. La petite, étonnée et incrédule lui répondit naïvement : « J'aimerais manger des haricots verts ! » Cosette plongea la main dans le panier et en sortit des haricots. Elle demanda à son petit frère à son tour d'exprimer son souhait. Celui-ci, instruit de ce qui venait de se passer, eut une demande plus roborative : « Je voudrais un gros poulet rôti ! ». Aussitôt dit, aussitôt sorti du panier.

Ainsi, chacun exprima une demande qui fut satisfaite par le panier de Morgane. Jamais dans la maisonnette, les enfants n'avaient fait un tel repas. Et il en fut de même chaque jour : Cosette désormais pouvait nourrir les siens sans avoir à se soucier de trouver sa pitance : le panier y pourvoyait amplement.

La vie aurait pu se dérouler ainsi, le spectre de la famine à jamais disparu, quand un soir, après le dîner, un ogre surgit dans la cabane où vivaient les sept enfants. Il était effrayant, parlait très fort et était si grand qu'il les terrorisa tous. Il voulait manger et s'était emparé du plus jeune, histoire de s'ouvrir l'appétit. Cosette, arrêtant son geste avant qu'il n'enfourne son plus jeune frère dans son gigantesque gosier lui demanda quel mets, plus succulent encore que ce petit garçon, il aimerait déguster.



L'Ogre pour vorace qu'il pût être, n'en était pas moins une fine fourchette. Il lui dit qu'un cuissot de sanglier serait, pour lui, un mets bien meilleur que cet enfant qui, mangé tout cru, ne satisferait guère sa gourmandise légendaire. Cosette sortit du panier un cuissot si gros que le méchant monstre lâcha l'enfant …

Toute la soirée, Cosette composa un repas gargantuesque pour ce visiteur intrus, jamais rassasié, toujours plus exigeant dans ses demandes, d'autant qu'elles étaient toujours satisfaites. Il découvrit bien vite que du panier pouvaient surgir toutes sortes de choses, pourvu qu'elles se mangeassent et surtout qu'elles se bussent.

L'ogre, en effet, tel un parfait soudard, demanda bien plus de vins de toutes les couleurs et de toutes nos régions que de mets raffinés. Bien vite, il eut la trogne rubiconde et l'estomac tendu comme une arbalète. C'est titubant et grognant qu'il quitta la demeure des enfants sans oublier de partir avec le panier sous le bras. Les enfants étaient tous si effrayés qu'aucun ne fit le moindre geste pour s'opposer à ce terrible larcin.

L'orge avait tellement bu qu'il n'alla pas loin. Il s'effondra, saoul comme un moine pendant le carême, juste à côté de la rivière, là même où la fée était apparue à Cosette. Cette dernière se doutait, elle aussi, qu'avec ce qu'avait ingurgité ce soudard, il n'irait pas bien loin. Elle l'avait suivi à distance et sitôt le monstre ronflant comme un sonneur, elle avait récupéré son panier précieux.

La suite ne manque pas de sel. Cette nuit-là la rivière sortit de son lit : elle faisait l'une de ses redoutables colères, comme il lui en prend l'envie parfois, emportant tout sur son passage, y compris un poivrot qui cuve son vin, fût-il un personnage gigantesque comme il ne s'en trouve que dans les contes de fées. Personne ne déplora la disparition de ce monstre ; il n'eut d'ailleurs pas à souffrir : il avait tant mangé qu'il mourut sur le coup d'hydrocution, bien puni de sa gourmandise.

La chose ne fut pas inutile du reste. Cosette avait assisté au trépas du bonhomme, tout comme ses six frères et sœurs qui étaient partis à sa suite. Chacun vit dans cette fin tragique la juste punition à la fois de la peur que l'ogre leur avait fait subir et celle du terrible péché de gourmandise que ne cessait d'évoquer monsieur le curé à ses brebis qui avaient toutes le ventre creux.

Les enfants en tirèrent une leçon pour eux profitable. Depuis ce jour, ils n'usèrent qu'avec parcimonie des bienfaits du panier magique, n'abusant jamais des victuailles qu'ils lui réclamaient, composant au plus juste un repas équilibré et raisonnable. C'est ainsi que jamais le pouvoir du panier de Morgane ne s'ébruita et qu'ils purent vivre heureux et tranquilles, mangeant juste à leur faim pour ne pas attirer de convoitises. La modération est bonne en toutes occasions et malheur à ceux qui oublient ce précepte : la rivière ainsi que la santé pourraient bien les rappeler à l'ordre !

 


 

 


vendredi 23 février 2024

Sur la paille.

L'émoi son …





Il est une menace qui pèse sur nous, un repoussoir immonde, une perspective monstrueuse quand la prophétie claque comme un coup de fouet donné par un charretier impitoyable : « Tu finiras sur la paille ! » Étrange perspective qui devrait nous contraindre à l'effort et au travail, l'angoisse de la déchéance devant supplanter le plaisir de l'hédonisme.

Pourtant, à bien y réfléchir, qu'il est agréable de s'endormir sur cette paille, après quelques culbutes joyeuses ou bien coquines ! Elle a laissé des souvenirs dans les cheveux, elle gratte un peu tout en se faisant douce litière pour un sommeil bienheureux. Hélas, le temps n'est plus aux petits ballots rectangulaires et encore moins aux gerbiers si accueillants dans lesquels se perdirent bien des vertus rurales. Et je n'ose évoquer les turpitudes sensuelles des superbes meules tumescentes.

 



Ceux qui affirment ainsi la fin du monde en menaçant de la sorte leurs pauvres contemporains, ne voient pas la paille qu'ils ont dans l'œil. Ils considèrent que seule l'opulence financière est la source du bonheur. Je crois, bien au contraire, que le bon grain se soucie peu de cette marque dérisoire de notre folle avidité.

Être sur la paille ou bien l'avoir dans la bouche pour aspirer à un avenir plus serein. Voilà plus douce perspective. Ne faites pas autant de foin pour cette richesse illusoire, seule la vie simple dans les petits brins de paille, nous rendra cette naïveté qui nous manque tant. Aujourd'hui, il faut engranger, entasser toujours plus. Étrange confusion des mots, autrefois c'est la paille qui devait subir ce traitement pour passer l'hiver à l'abri …


 

De plus affreux encore ont prétendu que l'on pouvait gratter du soir au matin en passant la paille de fer ou en s'exténuant au travail. Quelle horreur … Jamais autrefois il ne serait venu à l'idée d'un sage de comparer la tige du blé à une surface irritante et urticante. Les expressions se moquent parfois de la réalité ; elles veulent imposer la dureté de l'image à la paisible réalité de celui qui fait benoîtement sa sieste à deux pas de l'étable.

Mais j'ai les doigts qui fourchent et je ne sais où me mènent ces petits tas qu'on nomme andains. Un si joli nom pour une belle chose destinée à subir la gourmandise de machines agricoles qui en feront d'énormes balles rondes qu'on ne peut plus prendre au bond. Il faut tout mécaniser de nos jours et nul ne peut plus porter sa botte sur le dos.

 



Je voulais donner un coup de chapeau à cette paille qui n'est pas si repoussante qu'on veut bien nous le faire croire. Au lieu de quoi je me perds en l'ivraie, dans les dédales de la langue. Il est vrai que je ne suis qu'un homme de paille, un pauvre paillasson sur lequel viendront s'indigner les gens sérieux et opulents. C'est la faillite et je risque de me retrouver au chaumage ....

Mes idées vont et viennent comme fétus de paille. Je m'égare dans ce billet qui n'a été qu'un pauvre feu de paille, une belle idée vite épuisée, fauchée par la réalité et les complexités du langage. J'avais tiré à la courte paille cette expression gentillette, pensant pouvoir, dans mon orgueil qui monte en graine, en nourrir votre curiosité et mon moulin à paroles. Au lieu de quoi je dois m'écraser et finir cette histoire le nez dans la farine.


 

Ainsi va la vie de celui qui plante sans savoir jamais ce qu'il va récolter. Assis sur ma pauvre chaise de paille, je devrai à la postérité d'écraser ce médiocre document. La paille ne brillera pas au soleil, l'épi est bien maigre et le propos ne fera pas grand foin. Je ne suis qu'un âne qui doit se contenter de son.

Ça fait une paille que j'aurais dû glisser le point final à ce récit en jachère sans tige ni épi. Je sais que certains me passeront au crible pour avoir commis cette pauvre histoire ; ils trouveront sans doute quelque chose à se mettre sous la dent, à moins qu'ils ne décident d'empailler ce pauvre prosateur. Je vous laisse sur votre faim et m'offre un bon petit vin de paille ! 

Gravures de 

Louis-Joseph SOULAS



jeudi 22 février 2024

La musique en questions

Sur un désaccord majeur





Faut-il se creuser la tête pour trouver un accord mineur ?

Parvient-on à s'accorder quand on est brouillés ?

Un chef d'orchestre est-il comparable à une direction assistée ?

Une note peut-elle être salée ?

Le piston a-t-il bénéficié d'un coup de pouce ?

 

La clef des chants est-elle ouverte ?

Est-ce de bon ton de chanter faux dans un chœur ?

Peut-on montrer du doigt un accord majeur ?

Est-on totalement certain d'une oreille absolue ?

Existe-t-il un salaire plancher pour les solistes ?


Une violoncelliste risque-t-il la prison ?

Faut-il sortir le triangle en cas de fausse note ?

Le professeur de tuba a-t-il automatiquement les palmes académiques ?

Le cornet reste-t-il de glace lors d'un fortissimo ?

La portée fera-t-elle des petits ?


Les chansons militaires se chantent-elles toutes en canon ?

Comment ce virtuose a-t-il pu tomber dans ce comma ?

Existe-t-il un trafic sur les cuivres ?

Un chef au piano peut-il être un demi-queux ?

Peut-on provoquer des répercussions en demandant un bis à un groupe de percussions ?


Que collectionnent les ensembles philharmoniques ?

Staline a-t-il vraiment joué de l'orgue ?

Un clairon peut-il se mettre en drapeau ?

Faut-il mettre sa main devant sa bouche pendant une quinte ?

Peut-on jouer une tierce dans le désordre ?


Que fait-on quand la tonalité a été coupée ?

Le timbalier a-t-il de la contenance ?

Faut-il rentrer les hautbois en prévision de l'hiver ?

Peut-on rester dans la mesure quand on est à contre-temps ?

Est-il raisonnable d'avoir un instrument à touches dans un orchestre de chambre ?


Que risque-t-on à jouer de la viole en réunion ?

Peut-on avoir la pêche avec un filet de voix ?

Comment mettre une quarte sur la table de la guitare ?

La valeur attend-elle le nombre des portées ?

Comment se comporter lors du dernier soupir ?


Dans une église, faut-il placer le saxo près de l'autel ?

Peut-on revenir sur scène après une fugue ?

Un musicien débutant peut-il se noyer dans une embouchure ?

L'harmonie supporte-telle la discorde ?

Le canard vient-il de la flute à bec ?


Peut-on faire un pain avec un mi ?

L'opéra bouffe se dirige-t-il à la baguette ?

Le canard préfère-t-il l'orgue de Barbarie ?

Le premier mouvement est-il toujours le bon ?

Est-il facile de se partager des partitions ?


Une toute autre partition 

https://blogs.mediapart.fr/c-est-nabum/blog/230224/le-droit-du-sol



 

 



mercredi 21 février 2024

Les trois canidés

 

Loup, renard et chien finiront par donner leur langue au chat





Il advint que ce jour-là, un loup, un renard et un chien se tenaient conjointement le crachoir en passant du coq à l'âne. La conversation allait bon train, ces trois-là avaient autant de gueule que de prétentions à occuper le devant de la scène littéraire. Il est vrai que la nature les a pourvus d'une formidable capacité à trouver grâce auprès des auteurs en mal d''inspiration.


C'est le loup, à tout seigneur tout honneur qui tira gloriole d'avoir le plus d'expressions à son nom. Dans une bibliothèque, ce diable d'animal ne marchait certes pas sur les pas de lui-même. Partout et en tout temps, les humains crièrent ses turpitudes tant et si bien qu'en dépit de la couleur de son pelage, il n'était pas sujet à la page blanche.


Le loup avait grand faim de métaphores même au cœur de l'hiver par un froid digne de sa réputation. Jamais il hurlait avec ses contempteurs, tous gens prompts à lui mettre dans les pattes louvetiers et autres traqueurs. Même jeune, il avait la dent longue et la langue bien pendue, s'offrant de multiples références langagières.


Solitaire ou bien en horde, il peuplait les récits d'aventures et s'offrait même le luxe de prendre la mer même si jamais il ne mettait le nez sur un bateau. À défaut de jeter l'ancre, il noircissait des pages et des pages sans que les petits et les grands ne se lassent de ses aventures. Qu'importe qu'il y tint le plus souvent le mauvais rôle, c'est lui qui avait la primauté sur ses cousins canins.


Le renard à ce propos faisait grise mine. Si sa fourberie et son art consommé de tromper les autres faisaient flores, il n'avait guère trouvé sa place au royaume des idiomes. Le langage familier fait preuve en la circonstance d'une ingratitude sans nom. Le malheureux goupil ne pouvait se hasarder à réclamer la part du lion, devant largement s'incliner devant ses deux comparses.


Le chien au demeurant, quoique le seul à parfois porter muselière pour lui clouer le bec n'avait rien à envier à compère loup. Qu'il fasse froid ou qu'il pleuve des cordes, le temps était son apanage mais si parfois cela le rendait malade.Tout comme l'éléphant il aimait à fréquenter les faïenceries ou bien à s'égosiller dans les campings, là où il passait son temps à jouer aux quilles. Seules ses relations avec les chats lui causaient quelques tracas surtout à la tombée de la nuit, quand ces derniers sont gris, le loup aimant du reste partager avec lui ce moment de la journée propice aux histoires.


C'est justement le sujet des fables qui redonna un peu de poil de la bête à notre ami le renard qui pensait être sur la goulotte d'une fontaine généreuse. Il prétendit que pas moins de 19 fables de monsieur Jean le mettaient à l'honneur, ce que ne pourrait revendiquer ses camarades. Bien mal lui en prit puisque  le loup réagit de manière véhémente croquant à pleines dents le bonheur de figurer dans 26 d'entre-elles, étant ainsi l'animal le plus honoré par le grand maître des eaux et forêts.


Le chien, la queue basse et la truffe sèche dut admettre qu'en ce domaine, il ne faisait pas le poids avec ses deux complices. Sa domesticité lui jouant sans doute mauvais tour puisqu'il n'était à la fête que six fois. Voilà qui lui apprendra de se montrer affable tout autant que servile avec ces diables d'humains.


Dans une tentative désespérée de tirer la couverture médiatique à lui, le pauvre chien prétendit que celle du Loup et du Chien était la plus célèbre de toutes. Le renard s'empressa de lui en faire rabattre en citant le Corbeau et le Renard comme la plus connue de tous. Quant au loup, il ne put s’empêcher de ramener sa fraise en déclarant présomptueusement que le Loup et l'Agneau tenait largement la corde de ce classement de la notoriété.


Une tortue qui passait par là se garda bien de se lancer à corps perdu dans la controverse tandis qu'une grenouille se dit par devers elle qu'une querelle finirait par éclater entre eux. Un rat de bibliothèque se garda bien de se mêler à la conversation, préférant filer à la campagne pour se mettre aux vers. Il devait retrouver une cigale flanquée d'une fourmi qui donnaient encore de la voix en ce changement de saison.


Le lion sur son trône regarda à distance tout cela. Sa majesté n'avait que faire de ces discussions stériles. La crinière au vent de l'histoire, il se dit que ma foi, son cousin le chat s'octroyait en la matière la part du lion. En vieux sage il voulut conclure ce récit sans queue ni tête d'une morale empruntée à leur maître à tous :


Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :

 Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire.

Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
 
Les daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre manière :
 
Vous êtes dans une carrière
 
Où l'on ne se pardonne rien.
 

 

lundi 19 février 2024

Le miracle de la langue.

 

Les mots pour remplacer les coups.





Aux tous premiers temps d'une humanité tout juste naissante, ils étaient deux dans cette caverne.  Ils ne s'appelaient ni Adam ni Ève ; il ne faut pas croire aux balivernes ! Ils n'avaient pas encore de noms, vivaient dans des conditions très difficiles car chaque instant était pour eux une lutte pour la survie. L'homme était rude, violent par nécessité ou facilité, toujours aux aguets et souvent prompt à frapper sa femme pour obtenir d'elle ce qu'il désirait sans partage.


La femme supportait, vaille que vaille, ce curieux traitement, se soumettant à la force, se contentant des maigres avantages que lui apportait la protection de ce farouche guerrier et désastreux compagnon. C'est du moins ainsi qu'il faut comprendre cette étonnante union. L'amour peut-il naître sous les coups ? Il ne nous appartient pas de juger ce que nous ne pouvons comprendre.


Toujours est-il que la femme subissait courageusement les étreintes rapides, brutales, sauvages de celui qui partageait sa couche. C'est ainsi qu'elle sentit une transformation dans son corps, une présence discrète, un souffle de vie qui n'était pas le sien. Pour fruste qu'elle pût être, cette femme avait pris conscience du miracle de l'existence ; elle savait qu'elle portait une vie et voulait à tout prix préserver ce don de la nature.


Mais comment faire pour échapper aux coups que son tyran ne manquait pas de lui donner en rentrant de la chasse ? Son tourmenteur transcendait ses peurs en portant la main sur celle qui l'attendait dans le secret de la caverne. Cette marque de faiblesse lui permettait de se montrer courageux face aux fauves et aux menaces de la chasse. Ne lui jetons pas la pierre : les temps étaient impitoyables alors …


La femme, dans sa maternité naissante, avait compris qu'il fallait que cesse l'avalanche de coups qu'elle recevait chaque soir pour finir par céder à l'appétit de celui qui exigeait d'elle ce coït dont elle ne percevait pas encore le sens. Elle entendait son homme, alors émettre de drôles de bruits quand il prenait plaisir à se vider en elle. Elle se dit qu'il y avait là, matière à une expression plus élaborée, moins bestiale.


Elle s'entraîna seule à maîtriser ces bruits, à les moduler, à les rendre plus doux et plus précis. Dans sa solitude durant les longues parties de chasse de son partenaire, elle composa, petit à petit, une suite de modulations auxquelles elle attribua un sens. La femme qui portait la vie, engendra la parole.


Elle comprit alors que les mots avaient un curieux pouvoir : ils arrêtaient la main de celui qui devenait enfin son partenaire, l'intriguaient, lui donnaient une attitude plus douce, plus humaine. Le chasseur cherchait à comprendre, se concentrait sur ces curieux sons qui émanaient de sa compagne. Il essayait de l'imiter ; bien vite, il apprit à reproduire ces quelques mots qui prirent sens pour eux deux.


L'homme devint alors tendre et caressant. Il cessa de frapper et à chaque fois qu'il rentrait, il tentait d'expliquer sa journée de chasse avec quelques sons qui décrivaient un animal, une sensation, un paysage. Tous deux, dans le secret de la caverne étaient en train de créer la première langue : une langue sommaire, une langue sans grammaire mais une langue qui allait donner la vie et la transmettre …


Quand l'enfant fut né, les deux se mirent en demeure de lui offrir ce mystère. L'enfant apprit vite ; il aima ce dialogue, il montra des qualités créatives incroyables. Quand il eut l'âge de marcher, il voulait nommer toutes les choses qu'il croisait. Ses parents durent faire beaucoup d'efforts de mémorisation pour suivre cet enfant qui parlait.


La vie continua son cycle. D'autres humains imitèrent cette famille. La vie sociale put voir le jour. Les mots avaient pris la place des conflits. Bientôt il se trouva des individus capables de raconter des histoires : les mots s'assemblaient, ils prenaient tournure et sens, ils vivaient leur propre existence. La langue cessa simplement de nommer les choses ; elle exprima des notions plus complexes, plus secrètes, plus intimes. Elle permit de vivre en société et de s'inventer une légende.


Les langues se répandirent de par le monde, elles se multiplièrent, se diversifièrent, s'enrichirent de mille et une nuances. Elles portaient des mythes, des croyances, des rêves. Elles permettaient de s'aimer ou de s'aider. Elles assuraient un lien merveilleux pour vivre ensemble. Puis un jour, une fois encore, une langue voulut s'étendre sur le monde entier, devenir la seule, l'unique. Mais cette fois, le piège semblait fonctionner.


La langue impérialiste s'imposa par l'économie et la force. Elle voulut se simplifier, se raccourcir pour revenir à l'essentiel, du moins le croyait-on : manger, acheter, vendre, produire. Elle envahit les esprits, les journaux, les bouches des gens importants. Elle imposa sa présence dans toutes les réunions, les congrès, les foires internationales, les marchés.


Les humains en firent le véhicule de toutes leurs bassesses, leurs mesquineries, leurs désirs de puissance et de domination. Les poètes et les conteurs n'eurent plus leur place. Cette langue devint celle des banquiers et des commerçants, des producteurs et des gens de pouvoir. Bien vite, faute de diversité, faute de beauté, ce fut le retour de la barbarie et les femmes cessèrent alors de donner la vie.


C'est alors que quelques personnes se dressèrent contre cette insidieuse invasion. De-ci, de-là, des gens se mirent, une fois encore, à raconter des histoires dans toutes les langues du monde. Chacun empruntant à son voisin les plus belles légendes de sa contrée. Même dans le pays de la langue invasive, on se reprit à dire les épopées de la grande civilisation amérindienne, dans les langues de ceux qui avaient subi la domination des Yankees.


C'est la multiplication des langues qui favorise l'harmonie et la diversité. Les humains redevinrent fiers de leurs cultures, de leurs traditions et cessèrent de singer le grossier modèle venu d'au-delà des portes de l'enfer. Les enfants naquirent à nouveau et grandirent désormais avec des comptines d'antan, des mythes fondateurs et des contes du terroir. Walt Disney ferma ses portes et le monde retrouva ses valeurs ancestrales, il redevint solidaire, charitable et paisible.



À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...