En baver des ronds de chapeau
Les expressions naissent de confusion et prennent leur essor en se couvrant de ridicule, abandonnant sans égard leur origine pour aller jouer leur mauvaise tête chez les mal embouchés que nous sommes. Nous n'y pouvons rien et usons à plaisir de vocables sortis de leur contexte pour se jouer de notre ignorance. Il est alors inutile de vouloir rétablir les choses, l'usage prenant toujours le pas sur la réalité ; c'est ainsi qu'une langue demeure vivante.
Alors pourquoi venir baver ici sur cette formule si désuète qu'il est permis de penser qu'elle va prochainement disparaître de la circulation. Le chapeau en a pris un sacré coup sur la casquette au point du reste que l'on ne le boute plus guère dans la rue pour saluer les belles dames ou les messieurs importants. Il paraît même que les chapeaux de roue n'ont plus leur place dans la cité sauf pour ceux qui se conduisent fort mal.
Baver pourtant est à la mode. Les réseaux sociaux sont le formidable réceptacle de ce venin qui s'écoule à foison de nos langues vipérines. Je ne fais d'ailleurs pas exception à la règle ce qui mériterait un coup de chapeau tant je m'emploie avec application à ne pas déroger à la règle. Mais ce baver initial n'avait rien à voir avec cette pratique de la médisance numérique qui coule tant à flot que même la bave du crapaud n'y suffirait pas.
La bouche en cul de poule, loin de pondre un œuf, la personne interloquée avait jadis la tendance de béer sans risquer le ridicule. L'étonnement s'exprimait par un silence tout autant que la surprise ou la stupeur. De nos jours, nous ne béons plus guère, préférant très largement au silence, le vacarme assourdissant de nos réactions infondées.
Alors si la béance n'est plus de mise dans nos bouches, elle se complaît dans nos cerveaux qui ont subi une large ponction par l'entremise des puissances de la consommation. La porte ouverte à l'inculture ne fera pas passer des ronds de chapeau pour des cercles de plomb servant à maintenir le galurin lors de sa fabrication.
La visière interdit désormais de baver dans le chapeau quoiqu'elle serait fort commode pour le maintenir devant soi. Elle a pour effet de réduire à la fois le champ visuel et concomitamment le champ cognitif. Qui la porte, visière sur les yeux ou mieux encore sur le cou ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Celui-ci n'est pas disposé à en baver des ronds de chapeau lors de son passage à l'école. Bien au contraire, il baye aux corneilles sans même savoir qu'il y avait analogie entre ce bâillement là et notre béance de la bouche.
Je les devine bâiller d'ennui devant mes veines explications. Il ne risque pas d'en baver des ronds de chapeau à tenter de comprendre ce que je m'évertue à expliquer. Un bon petit crachat fera l'affaire pour exprimer leur mépris devant pareilles sornettes. Le langage corporel prend souvent le dessus sur l'expression aboutie. D'ailleurs pour enfoncer le clou, une expression anglo-saxonne vient célébrer le Body langage qu'il convient de prononcer en dénaturant notre langage tricolore.
Les chapeliers ont depuis belle lurette fermé boutiques et ateliers. Offrons-leur ici un dernier coup de chapeau pour célébrer ce qui fut l'élégance de cette profession qui portait le couvre-chef au pinacle. Même les nouveaux journalistes ignorent qu'un chapeau est également un petit texte liminaire écrit en caractère gras sous le gros titre. A quoi donc s'évertuer à redonner vie à notre vocabulaire pour des citoyens qui ne sont que des veaux, susceptibles d'avaler toutes les fadaises dans l'air du temps.
Mais il me faut cesser de baver avec des propos sans queue ni tête d'autant que mon béret n'a rien d'un chapeau distingué. Le plouc ne bave pas, tout juste il éructe alors que vous eussiez préféré l'entendre béer ce qui eut été beaucoup plus reposant pour vous.
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