jeudi 29 février 2024

Le valet et sa valise.

 

Ne voyez pas la malle partout




Sam, un valet de pied se les mit par mégarde dans le plat. La chose n'eut pas été d'importance s'il n'avait, à cette lamentable occasion, dû remplacer le majordome de la demeure bourgeoise. Il fut dans l'instant mis à pied en étant de ce pas congédié sans autre forme de procès, ses maîtres se refusant à accepter ses excuses. Nulle instance prud’homale en cette époque pour le soutenir dans sa démarche tandis que les guildes avaient depuis belle lurette, perdu tout pouvoir.


Ce brave serviteur avait eu, jusque-là plus d'un atout dans sa livrée. Il avait escompté en la mansuétude de ses employeurs oubliant que la faute avait été jugée impardonnable en regard de la qualité des hôtes qui furent les témoins de sa maladresse. Lui qui avait dans le passé mené le petit au bout n'était plus bon qu'à jeter aux chiens, chose somme toute normale dans cette cité.


Il lui fallait donc se défausser, prendre ses cliques et ses claques, remplir sa grosse valise de ses effets et tenter de jouer sa carte dans une nouvelle demeure. Fort d'une réputation qui avait fait le tour de la place, il escomptait que tout allait se dérouler comme sur des roulettes. Si sa valise pesait un âne mort, il n'était pas homme à baisser les bras. Il entendait empoigner à bras le corps son destin…


La rumeur alla bon train et parvint avant lui dans les maisons susceptibles de l'embaucher. Il essuya des refus de nature à lui couper les jambes. Pour un valet de pied, la chose impliquait une réaction drastique, il lui fallait changer de métier. Sa valise en main, il en profita pour jeter un regard attentif à son sort.


S'il eut été maltôtier ou bien cantinier, il se serait trouvé à porter toute la misère du monde et pour le premier sa malle au trésor et pour le second sa cantine. Lui disposait d'une valise en bon valet de pied qu'il fut. C'est fort de cette curieuse réflexion qu'il tira la ressource pour infléchir un sort qui était fort mal engagé pour celui qui ne trouvait nul engagement.


Sam se dit in petto qu'il n'était pas un mauvais diable, que sa peine pour injuste qu'elle soit, devait lui servir de tremplin pour rebondir. Il n'allait tout de même pas se brûler les ailes pour un malheureux croque en jambes. Ses idées tournaient en boucle tandis qu'il remontait la pente, peinant de plus en plus sous le poids excessif de cette maudite valise.


Des circonstances les plus défavorables peut surgir la lumière. À quelque chose, malheur est bon. Il avait le sentiment d'être sur de bons rails alors que justement, il se dirigeait vers la gare pour quitter cette ville qui venait de le laisser choir. C'est alors que se mit en branle une étrange mécanique réflexive.


Il posa sa valise, se répéta mentalement tout ce qu'il venait de se dire en son for intérieur et eut une révélation. Sam songea à installer des roulettes à sa valise. Un détail qui n'était pas sans importance pour cet ancien valet de pied qui voyait soudainement son avenir s'éclaircir. Il reprit de la vigueur et sa valise pour rejoindre la gare.


Il quitta sans regret cette ville qui l'avait vu servir les autres, se courber pour supporter les remarques et les critiques. C'est un homme nouveau qui descendit dans sa nouvelle destination. Il ne serait plus domestique mais entreprenant entrepreneur avec une idée qui allait faire son chemin. La société du reste s'apprêtait à mettre les pieds dans la civilisation des loisirs. La Sam Sonique comme il avait baptisé sa trouvaille qui ferait grand bruit en soulageant l'humanité en mouvement.


Voilà la véritable histoire de cette invention capitale. L'homme ayant reçu une éducation rigide, il songea même à conforter son invention. La valise disposerait désormais d'une coque robuste et même d'une poignée modulable pour éviter de se courber. Sam ne connut plus jamais l'humiliation de se plier aux ordres de ses maîtres. Il avait pris son destin en main !


 


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