La nuit de Samain.
La nuit du 31 octobre au 1 novembre, alors que l'on célèbre désormais Halloween sans rien comprendre sa signification, si ce n'est pour faire fructifier les affaires des marchands du temple, loin des citrouilles illuminées et du défilé des enfants déguisés en fantômes d'opérette, il se passe d'étranges choses dans les abers isolés de nos côtes bretonnes. Prenez la peine de me suivre sur la pointe des pieds, sans la moindre crainte.
L'Ankou à moins que ce ne soit Secculos ont eu du travail toute l'année, se chargeant de transporter les défunts vers la barque qui les conduira vers l'autre monde. Cette nuit-là, le passeur prend son repos pour assister à un incroyable spectacle qu'il ne manque jamais d'admirer. Sa présence du reste est si terrifiante qu'elle fait fuir les vivants si bien que personne n'a jamais pu témoigner de ce que je vais vous narrer.
L'homme des ténèbres s'il a bien fait son travail durant l'année n'en reste pas moins particulièrement frustré par un manquement à sa charge dont il ne peut être mis en cause. L'Ankou s'il peut venir faire sa moisson de défunts sur terre, se trouve fort dépourvu pour aller quérir les marins disparus en mer. C'est pour lui une souffrance et un grave manquement qui met en péril sa conscience professionnelle.
C'est fort de ses pouvoirs surnaturels qu'il a mis au point cette cérémonie de rattrapage, ce ballet nocturne qui échappe à tous les vivants. Le passeur qui a laissé à l'amarre sa barque, choisit chaque nuit de Samain, un cimetière de nos vieux bateaux afin de leur redonner du travail. Dès que la nuit tombe sur l'Aber, l'homme étend ses bras vers ces piteuses carcasses abandonnées…
Dans l'instant et en dépit de leur état, proche du délabrement le plus total pour certaines, le miracle a lieu. Sans changer d'aspect, les bateaux oubliés, abandonnés se remettent à flotter contre toutes les lois de la physique. Puis, dans un silence de cathédrale, les navires prennent la mer dans toutes les directions pour aller quérir les âmes des marins noyés.
La curieuse pêche se déroule en quelques heures, les bateaux s'émancipant des lois de la navigation semblent voler au-dessus des flots, laissant traîner des bouts afin que les malheureux puissent s'agripper et monter à leur bord. C'est à croire que les pauvres attendaient ce moment en étant capables de mobiliser leurs ultimes forces pour monter sur ce qui reste du pont.
Puis, ayant sillonné toutes les côtes de la Bretagne, la flotte spectrale s'en revient à son cimetière, retrouvant soudainement sa désolante nature d'épaves et de carcasses. Auparavant, les marins qui ont été repêchés, s'en viennent en une glaçante procession à la rencontre de l'Ankou qui les invite alors à bord de sa barque.
Nous sommes au petit matin, il est grand temps que le passeur fasse ce travail qui avait échappé à son pouvoir. Les spectres sont entassés sur la petite barque, la Bag noz, et saluent une dernière fois les côtes de leur chère Bretagne. Ils s’en vont retrouver le royaume des morts, sur l'île d'Avallon tandis que les bateaux gisent à nouveau, rappelant aux vivants, que la mer est une maîtresse indomptable qui finit toujours par se venger de ceux qui entendent la dominer.
Tous ces malheureux marins rencontreront un jour ou l'autre le plus grand péril qui soit. Ceux qui ne surmonteront pas l'épreuve devront patienter jusqu'à la nuit de la Samain pour retrouver une ultime fois le bonheur de sentir les embruns en naviguant à bord d'un vaisseau fantôme. Quant aux bateaux abandonnés, ils savent qu'une nuit, ils auront cette précieuse mission d'aller quérir ceux qui ne sont jamais revenus. Ils méritent votre respect et un peu plus de considération. Qui sait si un jour, vous n'aurez pas recours à leur service ?
Les tableaux sont de
Lucien de Samosate pour le Charon et Mercure
Philippe Vidal par deux fois pour le cimetière des bateaux
Michel Guillet pour le port du Pouliguen
Un grand merci
aux Fous de Bassan du Pouliguen
Le cimetière de nos vieux bateaux
Couchés sur le flanc
toujours vague à l'âme
Un adieu à l'Océan
Des regrets et des larmes
Personne ne viendra
Respirer les embruns
Finis coup de tabac
Pêche au petit matin
C'est le cimetière
De nos vieux bateaux
Un petit coin de terre
Mouillé de bien peu d'eau
Une décharge honteuse
Épaves oubliées
La mort insidieuse
Des navires échoués
La rouille pour maîtresse
Un désordre englué
Effrayante détresse
D’aventure achevée
Plus de marin sur le pont
Ni de vagues sur la coque
Y touchant le fond
Du capitaine haddock
Le vent s'engouffre encore
En de lugubres plaintes
Un sinistre décor
Pour ma pauvre complainte
De leur fierté d'alors
Il ne reste plus rien
Perdus loin de leurs ports
Pour un ultime chagrin
Cadavres sans amour
Squelettes désossés
Laissés là pour toujours
Au lugubre fossé
De leur fierté d'alors
Il ne reste plus rien
Ils faisaient le délice
Des mousses jusqu'aux gabiers
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