À son doigt …
Il était une fois, en une époque très lointaine, des hommes intrépides qui allaient sur l'eau. En ce temps-là, ils se faisaient appeler « nautes » et n'étaient pourtant guère différents de ceux qui leur succédèrent . Joyeux drilles, sacrés lascars, ils étaient gais lurons et toujours prompts à taquiner le jupon si cet élément vestimentaire avait eu cours alors. Si les temps changent, les hommes aux semelles de vent demeurent immuables et bien peu fréquentables.
D'eux nous ne savons rien ou bien alors si peu qu'il serait vain de suivre leurs traces à travers leurs récits. Ils étaient taiseux et ignoraient tout de l'écriture. Heureusement la langue et les pratiques rituelles nous ont laissé des éléments de nature à reconstituer leurs mœurs et leurs comportements. Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre sur ce chemin douteux, embarquez donc avec moi au fil des supputations vaseuses …
Les nautes, ce n'est pas une nouveauté, aiment à flatter les demoiselles pour obtenir d'elles des faveurs, mais leur qualité de nomades exige que le consentement ne tarde pas. Vous comprenez bien qu'il y a là un point d'achoppement qui complique singulièrement l'éventuel accord entre les deux parties. Le prestige de l'uniforme ne pouvant jouer en leur faveur- l'époque n'était pas encore à la standardisation et à la norme- nos marins d'eau douce usèrent de manières quelques peu douteuses.
La première qui nous soit remontée de l'observation attentive de la langue est la prise à la corde de la jeune fille vaquant en bord de rivière. Le naute, membre d'une corporation qui exigeait un maniement régulier de la corde de chanvre, connaissait bien des nœuds. Rien de tel selon lui pour établir des liens ; on ne peut lui reprocher cet abus de langage !
Le garçon ayant aperçu sur la rive l'élue momentanée de son cœur, prenait une manière de lasso pour attraper sa proie. Sur le navire, les hommes appelaient ça « passer la corde au cou », l'expression est restée en dépit des siècles passés. Souvent la victime se débattait, se délivrait de ce piège grossier et une fois libérée, criait au chasseur bredouille : « Tu peux t'asseoir dessus ! ». Ainsi fut baptisé cette attache qui pris le nom de nœud de chaise.
Constatant alors que la communication à distance ne fonctionnait pas aussi bien que de nos jours, les nautes prirent l'habitude d'aller quérir à terre celles qu'ils convoitaient. Ils abordaient alors brutalement les berges, pour, de manière fort cavalière, sauter à terre et enlever les belles. Nous gardons souvenir de ce procédé peu chevaleresque avec le verbe « accoster ». Il se murmure que la première victime fut une certaine Sabine mais nous ne pouvons attester la rumeur.
Toujours est-il que le torchon a vite brûlé entre les gens restés à terre et les nautes sur l'eau. Les familles, les pères outragés, les fiancés dépossédés, les mères éplorées réagissaient violemment. Les projectiles pleuvaient sur le bateau pirate et souvent, les brigands devaient restituer leur butin. Il fut alors convenu entre les différents groupes antagonistes que l'amour demandait un minimum de dialogue et quelques accords contractuels entre les deux parties.
La profession de notaire n'ayant pas encore vu le jour, il durent se débrouiller par eux-mêmes pour trouver un terrain d'entente. Le quai fut celui-ci. Partout sur la rivière on établit un espace sécurisé et abordable pour entreprendre les négociations maritales. Le problème était double : cet espace, dégagé, mettait en évidence l'objet du marchandage. Un bateau qui repartait à vide ça se remarquait et bien vite, les moqueurs persiflaient en déclarant : « Celle-ci est restée à quai ! ». Les mêmes de se moquer encore plus quand ils voyaient la gourgandine embarquer « Ils vont la mener en bateau ! » Les gens sont mesquins …
Mais la principale difficulté était d'ordre technique. Comment fixer de manière durable, tout au moins le temps des palabres, le navire à ce petit bout de terre ? C'est un forgeron de chez nous qui eut l'idée de l'anneau d'amarrage. Cette merveille d'inventivité est sans doute à l'instar de la roue, une des inventions qui ont fait faire des pas de géants à l'humanité, même si en la circonstance, c'était un objet pour rester immobile.
Le naute en quête d'une compagne accrochait donc son bateau à l'anneau. Il allait sur la rive et entreprenait de longues négociations avec les représentants de la demoiselle. L'époque n'était pas encore à l'émancipation de la femme : elle était objet d'échange ; nous pouvons le déplorer sans rien pouvoir changer à cette triste réalité.
Si l'accord se faisait, il fallait sceller le contrat d'un geste symbolique avant que le voyageur parte avec ce qu'il avait conquis de haute lutte. Bien vite, par analogie sans doute, un naute eut l'idée de passer à celle qu'il désirait, un anneau au doigt. Il se murmure que ces deux-là s'étaient choisis et avaient prévu leur coup car dans le même instant, la belle fit de même.
De ce jour, en pays de Gaule, les épousés s'échangèrent l'anneau rituel. Le gouverneur, capitaine de l'époque, puisqu'il était seul maître à bord après Dieu, prit l'habitude de bénir l'union par un discours de circonstance et un petit jet de vin rouge. Sur les bateaux, il n'y avait jamais d'eau. Ce spectacle déplut aux druides qui réclamèrent le privilège de la consécration.
Pour symboliser cet embarquement sur le même navire pour la vie et à deux, un druide, plus avisé que les autres, eut l'idée de porter à terre une scute, de la dresser à l'envers sur des pieux. La première chapelle était née. Juste à côté de cet édifice désormais sacré, il y avait une fontaine dont les eaux étaient réputées pour lutter contre la stérilité. C'est désormais de cette eau bénite qu'il bénit les anneaux avant que les époux les échangent.
Voilà la véritable histoire du mariage. J'espère que vous me croirez sur parole. Nul témoin, hélas, ne peut venir attester de la véracité du propos. C'est d'ailleurs pour ça que depuis, à chaque union, il est nécessaire d'adjoindre à la cérémonie deux personnes de bonne foi pour apporter leur crédit à la cérémonie.
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