Cosette et les siens ...
Il était une fois au bord d'une rivière, une jeune fille qui, depuis la tragique disparition de ses parents, avait la charge de subvenir aux besoins de ses six frères et sœurs. Nous l'appellerons Cosette afin que chacun comprenne la pureté de ses intentions et son extrême dénuement. A cette époque lointaine nul service social ne venait au secours des pauvres gens ; plaise au ciel que ce ne soit pas un conte d'anticipation ! …
Cosette était au bord du désespoir. Elle avait arpenté les rives, cherché dans les taillis et les bosquets, tendu la main devant quelques personnes du voisinage et tout cela sans le moindre résultat. Elle allait devoir rentrer dans leur modeste demeure sans rien avoir à proposer à l'appétit toujours plus grand de sa fratrie. Qu'allait-il se passer ? Elle n'osait l'imaginer.
C'est lorsqu'on est au plus profond du désespoir que surgit parfois une petite clarté. Cette fois encore, le conte ne déroge pas à l'usage et c'est la bonne fée Morgane qui croisa le chemin de la pauvrette. Voyant les yeux rougis et le visage blême de la jeune fille, la fée alla vers elle pour lui demander ce qui la chagrinait ainsi. Cosette lui présenta la situation en toute franchise sans noircir plus encore le trait ; les faits étant bien assez dramatiques pour ne pas en rajouter.
Cette franchise plut à la fée Morgane dont chacun sait qu'elle est capable de tout : du meilleur comme du pire. Cette fois, la sincérité de la jeune fille fit ressortir les bons côtés de la dame qui adressa pourtant une étrange requête à celle qui avait charge de famille. Morgane, d'un air mystérieux, demanda à la jeune fille : « J'aimerais que tu traverses la rivière ; juste en face de là se trouve une île où il y a la plus belle oseraie de la région. Rapporte-moi une belle brassée d'osier et je te ferai un cadeau. »
Cosette ne fut pas surprise de la demande : elle savait désormais que les grandes personnes sont capables de toutes les fantaisies pour le paiement d'un service. Celui-ci lui semblait bien plus respectable que bien des propositions qui lui avaient été faites jusqu'alors. Cette fée ne profitait pas de la situation pour demander à la jeune fille des choses que la morale réprouve ; au moins, cette fois, Cosette n'aurait pas à rougir de cette requête.
Morgane pour finir de rassurer la demoiselle, lui octroya une miche d'un pain noir qui, s'il n'était sans doute pas suffisant pour calmer les appétits de tous, allait permettre aux enfants de passer la nuit sans être tiraillés par des maux d'estomac. Cosette la remercia d'un grand sourire et partit retrouver les siens.
Tôt le lendemain matin, elle se mit en demeure de remplir son office ; elle traversa la rivière par un gué connu d'elle seule pour atteindre cette grande île où poussent les tiges d'osier. Elle fit grande récolte et ne s'émut même pas de voir les jeunes pousses se transformer, par je ne sais quel prodige, en des brins disposés à être tressés le jour même. La fée ne devait pas être innocente en ce phénomène : il ne faut s'étonner de rien avec de telles personnes.
Sa mission accomplie, Cosette revint sur la berge là même où elle avait rencontré la fée. Celle-ci sortit du trou d'un arbre creux et se mit immédiatement en action, tressant un grand panier bien plus vite que ne l'aurait réalisé n'importe quel artisan, maître en cet art si ancien. Morgane tendit alors le panier à Cosette en lui disant : « Voilà qui résoudra tous les problèmes des tiens. Chaque fois que tu voudras leur donner à manger, plonge la main dans le panier en pensant à ce que tu aimerais y trouver ! ».
Morgane disparut comme elle était venue, laissant Cosette à son panier et à de nombreuses interrogations. Quel pouvait bien être le sens des paroles de la mystérieuse dame ? Comment allait-il nourrir ses six frères et sœurs ? N'avait-elle pas été bercée d'illusions par une belle promesse ? Il n'était plus temps de s'interroger plus avant ; les siens devaient l'attendre, leurs ventres si vides qu'elle entendait leurs appels à travers la forêt.
Cosette rentra dans sa masure et demanda à sa plus jeune sœur ce qu'elle désirait manger. La petite, étonnée et incrédule lui répondit naïvement : « J'aimerais manger des haricots verts ! » Cosette plongea la main dans le panier et en sortit des haricots. Elle demanda à son petit frère à son tour d'exprimer son souhait. Celui-ci, instruit de ce qui venait de se passer, eut une demande plus roborative : « Je voudrais un gros poulet rôti ! ». Aussitôt dit, aussitôt sorti du panier.
Ainsi, chacun exprima une demande qui fut satisfaite par le panier de Morgane. Jamais dans la maisonnette, les enfants n'avaient fait un tel repas. Et il en fut de même chaque jour : Cosette désormais pouvait nourrir les siens sans avoir à se soucier de trouver sa pitance : le panier y pourvoyait amplement.
La vie aurait pu se dérouler ainsi, le spectre de la famine à jamais disparu, quand un soir, après le dîner, un ogre surgit dans la cabane où vivaient les sept enfants. Il était effrayant, parlait très fort et était si grand qu'il les terrorisa tous. Il voulait manger et s'était emparé du plus jeune, histoire de s'ouvrir l'appétit. Cosette, arrêtant son geste avant qu'il n'enfourne son plus jeune frère dans son gigantesque gosier lui demanda quel mets, plus succulent encore que ce petit garçon, il aimerait déguster.
L'Ogre pour vorace qu'il pût être, n'en était pas moins une fine fourchette. Il lui dit qu'un cuissot de sanglier serait, pour lui, un mets bien meilleur que cet enfant qui, mangé tout cru, ne satisferait guère sa gourmandise légendaire. Cosette sortit du panier un cuissot si gros que le méchant monstre lâcha l'enfant …
Toute la soirée, Cosette composa un repas gargantuesque pour ce visiteur intrus, jamais rassasié, toujours plus exigeant dans ses demandes, d'autant qu'elles étaient toujours satisfaites. Il découvrit bien vite que du panier pouvaient surgir toutes sortes de choses, pourvu qu'elles se mangeassent et surtout qu'elles se bussent.
L'ogre, en effet, tel un parfait soudard, demanda bien plus de vins de toutes les couleurs et de toutes nos régions que de mets raffinés. Bien vite, il eut la trogne rubiconde et l'estomac tendu comme une arbalète. C'est titubant et grognant qu'il quitta la demeure des enfants sans oublier de partir avec le panier sous le bras. Les enfants étaient tous si effrayés qu'aucun ne fit le moindre geste pour s'opposer à ce terrible larcin.
L'orge avait tellement bu qu'il n'alla pas loin. Il s'effondra, saoul comme un moine pendant le carême, juste à côté de la rivière, là même où la fée était apparue à Cosette. Cette dernière se doutait, elle aussi, qu'avec ce qu'avait ingurgité ce soudard, il n'irait pas bien loin. Elle l'avait suivi à distance et sitôt le monstre ronflant comme un sonneur, elle avait récupéré son panier précieux.
La suite ne manque pas de sel. Cette nuit-là la rivière sortit de son lit : elle faisait l'une de ses redoutables colères, comme il lui en prend l'envie parfois, emportant tout sur son passage, y compris un poivrot qui cuve son vin, fût-il un personnage gigantesque comme il ne s'en trouve que dans les contes de fées. Personne ne déplora la disparition de ce monstre ; il n'eut d'ailleurs pas à souffrir : il avait tant mangé qu'il mourut sur le coup d'hydrocution, bien puni de sa gourmandise.
La chose ne fut pas inutile du reste. Cosette avait assisté au trépas du bonhomme, tout comme ses six frères et sœurs qui étaient partis à sa suite. Chacun vit dans cette fin tragique la juste punition à la fois de la peur que l'ogre leur avait fait subir et celle du terrible péché de gourmandise que ne cessait d'évoquer monsieur le curé à ses brebis qui avaient toutes le ventre creux.
Les enfants en tirèrent une leçon pour eux profitable. Depuis ce jour, ils n'usèrent qu'avec parcimonie des bienfaits du panier magique, n'abusant jamais des victuailles qu'ils lui réclamaient, composant au plus juste un repas équilibré et raisonnable. C'est ainsi que jamais le pouvoir du panier de Morgane ne s'ébruita et qu'ils purent vivre heureux et tranquilles, mangeant juste à leur faim pour ne pas attirer de convoitises. La modération est bonne en toutes occasions et malheur à ceux qui oublient ce précepte : la rivière ainsi que la santé pourraient bien les rappeler à l'ordre !
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