La Loire est en furie !
Ami prend garde à toi, la Loire est en furie
Sauve tout ce qui peut l'être et n'oublie pas ta vie
Les peurs anciennes ressurgissent cette nuit
Dans sa colère folle la Loire sort de son lit
La Loire couleur de boue charriait des moutons d'écume
Le ciel , boueux comme elle, engluait la clarté
Le vent accourait de loin, par grandes risées
Et la pluie criblait de ses gouttes des trous d'éponge
Des remous se creusaient en spirales tourbillonnantes
La nappe des eaux tournait jusqu'à la rive lointaine.
C'était un bruit égal sans sursauts, sans accalmies.
*
Les habitants voyaient les eaux dévaler d'un seul bloc
Le fleuve glissait d'une effrayante vitesse
Ses eaux luisaient, sous le ciel blanchissant !
De rares bouchons d'écume les tachaient encore
Des branches emmêlées descendaient avec elles
Toutes ces choses passaient comme à travers un songe,
Entraînées dans le branle énorme du courant.
*
Ils ne voyaient plus rien que cette force allant son chemin,
Ce bélier qui fonçait sous l'étreinte des levées.
Les levées n'étaient plus que des barrières dérisoires
La Loire couvrait les champs d'une nappe loqueteuse
Elle glissait très vite autour des îlots émergés
Elle rongeait leurs bords avant de bientôt les dissoudre
Depuis longtemps, les rauches avaient disparu.
*
L'eau coulait à plein flot dans les grands bois d'amont.
La Loire avait monté encore, englouti les têtes des osiers
La lande avait toute disparu, cachée sous un linceul
Il ne pleuvait plus ; le vent était tombé soudain
La clameur de la Loire, maintenant, s'entendait seule
Non plus le bruit du flot poussant le flot, ni le choc du courant
Mais une clameur bestiale qui sortait d'une monstrueuse poitrine
*
Les eaux déployaient leur immensité blême
Des grandes épaves glissaient, ténébreuses,
Des troncs d'arbres vagues, des meules de paille
Des bêtes noyées aux formes molles et terribles.
Les hommes se penchaient au bord de la levée.
La Loire leur jetait au visage son interminable clameur,
Le monstrueux grondement de sa redoutable victoire.
Maurice Genevoix
À la manière du maître
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