dimanche 25 juin 2023

L'herbier du tendre …

 

Le petit fleuriste de l'amour.





Il advint qu'un jour, alors que je chinais dans une brocante, un petit herbier attira ma curiosité. Il était fort différent de ceux que l'on peut trouver en pareille occasion, non pas que les fleurs fussent exceptionnelles, elles étaient tout au contraire d'une grande banalité, toutes fréquentes dans notre région et faciles à trouver.


Non, ce qui distinguait le présent ouvrage était les annotations qui figuraient sur la page faisant face à la fleur séchée. L'herboriste y avait glissé des commentaires qui semblaient n'avoir aucun rapport avec la flore à moins qu'il n’évoquât alors une tout autre plante, belle de surcroit à en croire cet amateur éclairé.


Chaque texte était précédé d'un titre : un nom de fleur là encore même si celle-ci n'avait aucun rapport avec celle qui reposait sur la page de gauche. L'énigme me poussa à en faire l'acquisition pour élucider ce qui me paraissait être un mystère insondable. C'est donc, à tête reposée, que je me mis en quête d'élucider cette énigme florale.


À force de me plonger dans l'herbier, je finis par me demander si la description n'était qu'un prétexte pour évoquer une fleur, perdue malencontreusement, lors d'une rencontre plus charnelle que végétale. Le séducteur était un Don Juan à la main verte et à la langue fleurie. Il jetait son dévolu sur une demoiselle pourvu qu'elle portât un prénom de fleurs. La destinée l'avait fait naître en une époque durant laquelle cette pratique était monnaie courante.


Ainsi Rose, Capucine, Jacinthe, Marguerite, Pâquerette, Églantine, Anémone, Camélia, Pétunia, Violette, Mélissa, Lilas, Angélique, Marjolaine, Daphné et Pivoine eurent les honneurs de notre jardinier à la pratique assez curieuse. Non seulement il se mettait en chasse pour cueillir la fleur de la dame mais il poussait le vice à la comparer à une autre plante tant par ses réactions, son comportement que ses particularités secrètes.


Le jardinier poussait l'indélicatesse à recueillir un petit duvet intime qui venait compléter son herbier, en guise de trophée sans doute ou de preuve qu'il entendait démontrer à d'autres goujats de son espèce. Le commentaire quant à lui manquait singulièrement d'aménité. Les comparaisons florales fleuraient la misogynie la plus indélicate. Examinant plus attentivement l'herbier, je finis par découvrir, dans le contre plat arrière de la reliure, un texte confirmant mes premières supputations tout en évoquant plus précisément ce triste personnage et sa déplorable collection.


Je vous la livre telle quelle, espérant ne pas heurter les âmes sensibles. La fin de l'histoire apportera je l'espère du baume au cœur de toutes celles qui ressentiront un malaise à la lecture de ce document authentique.


Il s'appelait Florent, avait l'art consommé de dire des mots d'amour, de caresser les jouvencelles au prénom floral par des bouquets de phrases, des compliments aimables et troublants. Il n'avait qu'un désir, une ambition secrète et quelque peu déplacée : il voulait être le premier, celui qui prenait leur fleur ; un souvenir qui resterait à jamais dans l'esprit de celles qu'il ne reverrait plus.


Ami de la Grenouille, ce parfumeur légendaire, séducteur et meurtrier qui avait défrayé la chronique. Florent était fleuriste et poussait l'amour des fleurs au-delà du raisonnable. S'il avait la même passion pour la chair fraîche, pour les tendres et belles demoiselles, il se contentait de les défleurer puis de les abandonner à leur triste sort. Il les aimait intactes, sans la moindre flétrissure. Il les séduisait, n'usait jamais de ruse ni de violence vis-à-vis de celles qui allaient finir par succomber pour devenir une nouvelle conquête et disparaître, la chose faite, de son existence.


Car tel était le travers du garçon : sa quête satisfaite, il se désintéressait de la pauvrette. Il était chasseur, il faisait la cour pour alimenter sa collection ; son petit herbier du tendre ! Il se faisait prédateur bienveillant, collectionneur fétichiste, fleuriste symbolique puis s’en allait alors sur la pointe des pieds, à la belle, alanguie et devenue femme, il laissait, en échange de son forfait, une fleur pour remplacer celle qu'il lui avait dérobée et conservait d'elle quelques poils pubiens dans son herbier intime.


Florent se prenait pour un poète ; il avait son propre langage fleuri. Chaque jeune fille héritait d'une plante en rapport avec la manière dont s'était déroulé le défleurement. Ne riez pas : nulle intention mesquine dans ce geste. Simplement l'envie de transmettre un message, de résumer par ce cadeau odorant, le souvenir d'une longue traque, d'une patiente approche.


Les péronnelles n'avaient pas à regretter leur faiblesse. Elles avaient eu un amant attentionné, un preux chevalier qui leur octroyait mille et une caresses dont il avait un savoir-faire consommé. Il les respectait, les rassurait, les entourait de tendresse et de douceur. Mais jamais il ne revenait : c'était un amour sans retour, un départ pour toujours.


Florent se souvenait de chacune d'elles avec quelques notes glissées sur son curieux carnet, son trophée et le nom d'une fleur laissée sur la table de chevet de la belle endormie. C'est cet herbier mystérieux qui m'est tombé dans les mains ; je n'avais pas compris le sens de ces messages énigmatiques, de ces notes parfois un peu osées et de ces filaments étranges et multicolores. Puis, au fil de ma lecture, je compris que j'étais devant les mémoires d'un Don Juan herboriste, d'un poète de l'hymen.


Florent évoqua d'abord cette tigresse qui lui avait laissé de belles traces sur le dos. La pâmoison de la diablesse s'était accompagnée de quelques coups de griffes dont il garda longtemps les stigmates. Il partit en lui offrant une rose, rouge naturellement, car le sang avait perlé sur son dos. Puis il y eut cette jeune fille naïve qui n'avait guère résisté. Son siège avait été si rapide ; elle s'était donnée en toute confiance, trop crédule sans doute pour imaginer qu'elle serait abandonnée, une fois sa fleur perdue. Il lui offrit une petite fleur bleue avec un sourire ému.


Il y eut encore cette femme qui inonda sa couche. Florent découvrit, lui aussi, qu’il existait des réactions exubérantes dans la nature féminine. Il s'abreuva à cette merveilleuse fontaine, se délecta de ses marques humides d'affection et de plaisir. Il lui laissa une fleur de nénuphar ; on sentait dans ses notes intimes un plaisir non dissimulé ; Florent avait aimé cette maîtresse.


Dois-je vous l'écrire ? Il eut pour celle-ci un message quelque peu douteux. Jamais il n'avait vu encore un petit écrin des plaisirs féminins aussi sensible, aussi érectile. Il lui offrit des frissons sans équivalent, des abandons puissants et des tremblements incroyables. Il était maître des délices ; il se délecta de ces plaisirs merveilleux. Il lui octroya une orchidée.


Il y eut encore cette demoiselle qui connut, phénomène rare pour une première expérience, ce que les spécialistes appellent la petite mort. Florent manqua certainement de délicatesse et déposa sur sa couche un chrysanthème. Il fut encore quelque peu goujat avec celle-ci dont il avait trouvé les humeurs rétives, le propos acerbe. Elle récolta un chardon qui était peu aimable.


Je vous laisse deviner à votre tour ce que furent les amours de celle qui repartit avec un coquelicot ou bien de cette autre qui hérita d'une pensée. Il y eut encore cette charmante demoiselle qui reçut des lys : elle avait le port d'une reine. À l'opposé, cette pauvrette eut droit à des gueules de loup, nous ne saurons jamais pourquoi. Enfin, il y eut cette beauté sublime, une Bretonne impétueuse comme les côtes de son pays à qui il donna une fleur d'ajonc tandis qu'une fille de Loire, une jeune bergère, reçut une fleur de vinaigre.


Florent aurait pu continuer ainsi très longtemps. Le langage des fleurs est si étendu, son imagination si riche. Cependant, le fleuriste reconnut un jour sa défaite : il avait trouvé sa princesse, sa prêtresse de l'amour. Il la couvrit d'un bouquet énorme, odorant et multicolore. Il désirait lui signifier ainsi son désir de la revoir. Elle l'avait conquis, il la voulait pour femme …


La belle vengea sans doute toutes celles qui l'avaient précédée. Elle tressa une couronne de toutes les fleurs qu'elle avait reçues en cadeau, broda sur une belle étoffe le prénom de Florent et laissa sur sa couche ce message sans équivoque. Florent ne s'en remit jamais : il renonça à l'amour et se fit moine. C'est à lui que l'on doit la liqueur Chartreuse. Son amour des fleurs avait trouvé un exutoire ! Nous étions en 1604 non loin du jardin du Luxembourg que fréquentent aujourd'hui encore, les amoureux de la Capitale.


La fin me laissa pantois. Avais-je à faire à un canular, une sinistre farce de potache. Je ne sais qu'en penser et vous laisse juge.


Floralement vôtre.

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