jeudi 15 juin 2023

Saint Père-sur-Loire.

 

De l’autre côté du Pont




Vivre en bord de Loire provoque sans doute de curieux phénomènes. La rivière est une frontière tout autant qu’un guide. Chacun le vit à sa manière avec une constance qui ne s’explique guère autrement que par l’histoire ancestrale des comportements : « on la traverse le moins possible ! » Ainsi, pour nous, les gamins de Sully, aller à Saint Père était une aventure qui ne nous fut pas permise de si tôt.


Nos parents ne goûtaient guère que l’on puisse s’aventurer seuls sur ce pont, alors redoutable pour le piéton comme le cycliste. Suspendu, il vibrait au passage des camions des gravières tandis que ses piliers interrompaient le trottoir et nous forçaient à mettre les pieds à nos risques et périls sur une chaussée empruntée par des bolides. Le temps n’était pas aux limitations de vitesse !


Pourtant, de l’autre côté, il y avait une redoutable tentation à laquelle nous cédions bien volontiers, en dépit des risques encourus. Il est vrai que l’interdit est toujours le plus sûr moyen de pousser des gamins à tenter l’aventure. À Saint-Père, la drague était notre terrain d’exploration et de frisson, nous nous y rendions fréquemment.

 



Il fallait en premier lieu éviter la noria des camions et se faire discrets pour pénétrer dans les entrailles de ce monstre de bruit, d’eau et de sable. Nous y avions deux aimants, deux tentations auxquelles il était impossible d’échapper. L’une nous mettait en péril véritablement tandis que l’autre, nous entraînait dans les sentiers du rêve épique.


Un tank était là, abandonné. Il fut pour nous un terrain de jeu et d’histoires. Nous y pénétrions par sa tourelle, il exhalait le parfum d’une guerre que nous n'avions pas connue mais qui avait marqué durablement nos deux villages. Nous ne pouvions ignorer les dégâts occasionnés, les souffrances chez ceux qui avaient connu les bombardements. Nous enfreignions ainsi un interdit tout autant que nous exorcisions le passé.


Une autre guerre se livrait à deux pas de là. Une terrifiante pelle plongeait dans la Loire en descendant le long de plusieurs câbles métalliques de fortes sections. Quand le godet atteignait les flots après une descente rapide, accompagnée d’un sifflement inquiétant, un câble se tendait violemment, cinglant l’eau. Une gerbe nous octroyait un spectacle magnifique que nous rendions épique en tentant  le diable en personne.

 



Nous avions quelques secondes pour passer sous le câble avant sa mise en tension annonciatrice de la remontée du godet. C’était sans doute pure folie, mais dieu que c’était grisant. Puis nous assistions à la remontée de cette immense pelle remplie désormais de sable. Elle dégoulinait d’eau et nous nous amusions à passer sous cette douche. Bien sûr, il était préférable de ne pas se faire voir, vous devez vous en douter.


Saint-Père, ce fut par la suite la cachette idéale quand nous découvrîmes les joies du baby-Foot. Le Balto nous semblait être à l’écart des regards de nos parents, persuadés que nous étions que de l’autre côté était un territoire différent. Je ne vais pas m’attarder sur ce jeu dans lequel je n’ai jamais brillé, incapable de maîtriser cette maudite rangée de demis.


Il y avait encore la Croix Saint-Nicolas au pied du pont. Elle m’a suffisamment intrigué pour devenir le point capital de mon premier conte. Elle ouvrait aussi le chemin pour nous rendre à Saint Thibault, ce trou d’eau dans lequel les vrais pêcheurs sortaient les plus gros carnassiers. Nous allions admirer leurs exploits à distance, pour ne pas les déranger. 

 



La cale du pêcheur était aussi un endroit de rêverie. La Loire y coulait plus puissante que de l’autre côté où la plage et les herbes avaient gagné la partie sous l’action de la drague. Le chenal était de ce côté-ci, oubliant Saint Germain qui avait été jadis le port. Quand les eaux étaient hautes, nous aimions venir écouter leur grognement à la sortie des piles du pont et contre ce pierré.


Saint-Père fut encore le lieu de rassemblement de nos années collège. Philippe habitait avec sa mère dans un de ces pavillons neufs qui firent leur apparition à cette époque. La maison reposait sous un immense sous sol. Madame vivait seule, le sous-sol n’était pas encombré, il devint le réceptacle de nos boums. Que de slows langoureux où s’illustraient mes camarades tandis que je me désolais d’être aussi stupide avec les jeunes filles. J’en ai encore des regrets !


Philippe était l’un des rares Saint Pérois que nous fréquentions. Les écoles primaires tout autant que la Loire nous avaient séparés. Ce fut le sport qui nous permit de retrouver quelques camarades. Le collège heureusement brisa cette étrange frontière. Il fit tomber bien des cœurs de sullyloises, le diable. Nous n’aurions jamais dû l’affronter sur sa rive !

 


 


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