Il
y a des claques qui se perdent …
Nous pouvons constater que
la poignée de main a perdu de son influence dans les relations
humaines. Bon nombre de nos contemporains préfèrent désormais se
faire la bise ou bien se saluer par des combinaisons complexes de
mouvements de la main. C'est ainsi que l'on s'aperçoit soudainement
qu'on est devenu un vieux con, dépassé par la terrible tendance :
celle qui ne cesse de nous pousser toujours plus rapidement vers la
sortie.
Avant qu'il ne soit trop
tard, je souhaite néanmoins rendre un ultime hommage à ce moyen
devenu obsolète de se saluer. Non que j'en sois un partisan
effréné : je n'ai pas l'âme d'un homme politique qui passe
ses journées à serrer des louches pour se faire un nom, mais
simplement parce qu'il y a dans ce geste simple bien des indications
qui renseignent sur celui qui se présente à vous.
Une bonne poignée de main
en dit beaucoup sur celui qui vous l'octroie. Il passe dans cet
échange furtif bien des informations, bien des sensations qui
dévoilent la véritable nature de celui qui se présente à vous.
Hélas, depuis quelque temps, il y a une baisse significative de la
qualité du geste. Il convient de le signaler avant qu'il ne soit
définitivement abandonné.
Le plus redoutable est de
croiser un mollusque, un être sans consistance qui vous accorde une
main molle, sans vigueur et sans plaisir. Vous pouvez être certain
que votre vis-à-vis n'a nulle envie de faire votre connaissance,
qu'il remplit là une obligation qui le fait suer. D'ailleurs, il ne
manque pas d'avoir la main moite et ajoute au désagrément de sa
poigne l'obligation de devoir s'essuyer ensuite.
Le plus risqué et, de loin
le moins fréquent, est la poigne de fer : la poignée de main
qui vous enserre votre pauvre « mimine » et la broie
comme dans un étau. De plus en plus rares sont les athlètes de la
chose, les colosses du salut. Ils étaient le plus souvent des hommes
du métier, des francs du collier qui aimaient à montrer leur
potentiel par ce simple geste. Fort heureusement, de nos jours, vous
ne risquez pas la brisure du métatarse : la mollesse est la
norme.
Le plus insupportable et de
loin le plus fréquent est la main tendue sans conviction, sans envie
ni plaisir. Votre vis-à -vis joue l'évitement : il ne tend pas
sa main, il en garde sous le coude au cas où il pourrait échapper à
la corvée. Vous ne sentez aucune vigueur dans son geste et ce n'est
qu'un petit désagrément dans son comportement.
Car, voyez vous, le
sinistre personnage a autre chose à faire que de vous accorder son
attention. Il est au téléphone ou bien en conversation avec un
autre. Il n'est pas question de s'interrompre. Vous n'êtes qu'un
comparse sans importance qu'il salue sans courtoisie. La main est
flasque, là encore et, pire que tout, ce malotru ne vous regarde
pas.
Il semble que ce soit
devenu la norme. Je ne supporte pas d'avoir affaire à tel individu.
Si ma présence lui déplaît, qu'il évite au moins la contrainte
d'un geste dont il ne voit pas l'intérêt. C'est décidé, je vais
trouver une riposte à cette manière qui ne cesse de se multiplier.
Une réflexion bien sentie, une esquive de la main que le goujat ne
veut pas serrer franchement.
N'étant pas homme à agir
par traîtrise, j'ai cru bon d'avertir ces nobles individus que
désormais, si on daigne me tendre la main, ce sera les yeux dans les
yeux et d'une main solide. Si tel n'est pas le cas, attendez-vous à
la réplique cinglante, à la remarque acerbe ou au geste
désagréable. Les conventions ont besoin d'un minimum de conviction.
Je précise ici, en guise
d'avertissement, que ce comportement ne tiendra pas compte du statut
social de mon homologue. Il se trouve que, plus celui-ci se pense
au-dessus de vous, moins son regard se pose sur vous. Le pouvoir, la
classe sociale, la notoriété, la fortune aussi sont sans doute des
justificatifs avancés par ces êtres méprisants. Qu'ils sachent
qu'il vaut mieux ne pas prendre le risque de me serrer une main
incertaine, la réplique sera cinglante. Vous serez prévenus !
Cordialement vôtre.
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