lundi 23 décembre 2019

L’envers du décor.


Recherche doublure désespérément.




Le Bon Saint Nicolas, un jour se trouva fort las, d’être réclamé en tous lieux pour récompenser les enfants sages. Le brave homme avait hérité d’une réputation flatteuse, qui, il faut l’avouer le dépassait quelque peu. Non seulement, elle était le fruit d’une méprise entre trois capitaines sur un navire sauvé de la tempête et trois gamins prisonniers d’un saloir, mais qui plus est, la fausse nouvelle avait séduit tant et si bien qu’elle s’imposa à lui comme une vérité première.

Les saints tout comme les humains ne sont pas à l’abri des artifices qu’impose la rumeur, cette incontrôlable propension des humains à raconter n’importe quoi ; j’en sais quelque chose ! Nicolas donc fut sollicité pour distribuer chocolats et friandises aux enfants du nord de la France. Un travail à plein temps pour un vieillard qui depuis longtemps aspirait à une cessation de son activité. Mais il n’est pas question d’aborder ce sujet au Paradis ; Saint Pierre tout comme le Patron sont totalement hermétiques à toute idée de retraite fut elle à point ou par capitalisation des indulgences.



Nicolas devait donc oublier ses douleurs, rhumatismes et autres tourments que son grand âge lui faisait subir. Le bonhomme devait faire bonne figure, sourire en dépit de son état de santé dégradé. Il se vêtit de plus en plus chaudement au risque de paraître ridicule avec cette grande pelisse fourrée. Il s’en moquait, l'essentiel pour lui était de ne pas prendre froid d’autant qu’on lui avait assigné une période d’activité à l’approche de l’hiver.

De partout pourtant émanaient de drôles de réclamations. Les parents étaient de plus en plus mécontents de leurs rejetons. L’éducation battait de l’aile ce qui en toute logique transformait les chérubins plus aisément en mauvais diables qu’en petits anges. Les offrandes n’étaient plus de mise, la remontrance s’imposait. Les parents, toujours prompts à se défausser des tâches ingrates, comptaient désormais sur Nicolas pour donner la fessée ou bien le juste châtiment.



Le Saint homme se refusait à ternir son image qu’il avait peaufinée au fil des siècles avec une merveilleuse science de la communication. Il n’était pas question pour lui de mettre à mal tout ce laborieux parcours parce que les enfants avaient pris le pouvoir dans les familles. S’il acceptait volontiers de ne plus leur offrir des cadeaux immérités, il n’était pas question pour lui, en revanche de lever la main sur eux.

Il eut recours pour satisfaire la demande à une agence d’intérim. La chose n’est pas nouvelle, le patron lui-même avait utilisé ce procédé pour trouver douze acolytes dont l’un ne se montra, il faut bien l’admettre aujourd’hui, guère reconnaissant. Il reçut des candidats tous plus hideux les uns que les autres, ils avaient la gueule de l’emploi et ne rechignaient pas à se salir les mains.


Curieusement se furent des lutins et des gnomes qui les premiers frappèrent à sa porte. Il est vrai que même dans ce domaine, les gens de petite taille éprouvent d’énormes difficultés à trouver un emploi en dépit de qualifications certaines. Deux retinrent son attention, un travailleur germanique : un certain Kobold dont la réputation n’était plus à faire et un personnage du pays, un Gobelin bien plus patelin.

Nicolas penchait pour la préférence nationale. Personne n’avait osé lui souffler combien cette option était ridicule lui qui venait d’Asie Mineure. Il n’est jamais aisé de contrarier un saint homme fut il vénérable et bienveillant. Le Kobold dut se résoudre à ne pas faire la maille, c’est d’ailleurs assez heureux tant il était hideux.



Le Gobelin se frottait les mains qu’il avait noueuses et couvertes de pustules, verrues et autres plaies purulentes qui allaient donner à ses claques une remarquable dimension tragique de nature à pousser la jeunesse à plus de modération. C’est du moins ce qu’escomptait Nicolas. Le couple se mit en demeure de célébrer leur premier 6 décembre commun. Cette année-là, il y eut plus de pleurs que de cris de joie…

La nouvelle se répandit bien vite parmi les gamins de tout le pays. Ils se réunirent en grande assemblée pour trouver parade à cette riposte des adultes qu’ils jugèrent unanimement fourbe et disproportionnée. Nul ne songea que mettre un peu d’eau dans leur vin eut été préférable, le tyran domestique ne mange pas de ce pain-là.



Après bien des réflexions, les mauvais drôles se mirent d’accord sur une stratégie en tout point remarquable. Ils fondèrent leur riposte sur la taille du Gobelin, s’indignant de l’exploitation d’une personne en situation de handicap par un exploiteur indigne. L’opinion publique fut retournée d’autant qu’une campagne véhémente fut menée sur les réseaux sociaux. Nicolas dut congédier le Gobelin qui allait trouver un emploi plus pénible encore dans une filature lyonnaise.

Retenant la leçon, le personnage de légende fit appel à un homme d’une taille dans la norme. Son offre d’emploi fut une fois encore sujette à procédure. Il y avait double discrimination. D’une part, une femme aurait parfaitement pu faire l’affaire et il n’était pas recevable d’imposer un critère de type physique. Il dut revoir son annonce et en dépit des revendications féministes, il choisit le père fouettard pour associé.



Leur collaboration tourna au fiasco. Le pauvre Fouettard se trouva accusé de pédophilie. Il est vrai que la fessée n’avait plus la cote et était susceptible d’être considérée comme un geste douteux et déplacé. Même l’évêque de Lyon émit d’extrêmes réserves sur la procédure choisie par Nicolas pour flageller les chenapans.

Fouettard se retrouva au violon, victime de l'opprobre générale. Seul un cinéaste polonais envisagea un temps de tourner un film pour prendre sa défense. Le projet ne fut pas mené à son terme faute de financements. Pour Nicolas, cette nouvelle contrariété le poussa à passer la main. Il se dit que c’est lui qui avait besoin d’une doublure.



Il confia sa petite entreprise à un certain Noël, un bonhomme qui accepta de prendre la suite en s’affublant des mêmes guenilles que son prédécesseur. L’homme renonça à mettre des conditions pour assurer la distribution des cadeaux. Les gamins avaient gagné la bataille, plus besoin d’être sages, polis, respectueux pour recevoir leur dû.

Le travail du Père Noël en fut décuplé. Il ne savait plus où donner de la tête. Ne parvenant pas à tenir la cadence, il se fit aider par des rennes, des animaux venus d’un territoire menacé par le réchauffement climatique. Les premières années, le système fonctionna au-delà de toutes les prévisions puis il se fit un mouvement d’opinion pointant du doigt l’exploitation des animaux.



Le brave bonhomme s’arracha les poils de barbe. Il était condamné à renvoyer les rennes dans leur toundra. Mais pour quel système alternatif opter ? Le traîneau motorisé s’imposait. L’énergie fossile ayant de plus en plus mauvaise presse, il eut peur qu’on lui jetât la pierre. Il fallait satisfaire à la mode de l’époque.

Conforme à son époque, le père Noël s’orienta vers le traîneau électrique. Qu’il dût s’équiper d’un casque troubla un peu l’iconographie officielle mais ce n’était qu’une petite concession à la législation. Il se trouva bien en butte aux militants écologistes qui l’accusèrent d’user d’une énergie nucléaire sans que cela le trouble vraiment. Il chargea son traîneau, traça son plan de route grâce à un GPS haute définition.


Le jour fatidique arriva, il allait se mettre en ciel pour faire son grand ouvrage quand il s’aperçut avec effroi que la grève générale avait bloqué la production d’électricité. Les piles à plat, le Père Noël se dit que décidément les temps n’étaient plus propices à son petit travail. Il baissa les bras et laissa tomber définitivement la belle petite entreprise mise sur pied, il y a bien longtemps par le brave Saint Nicolas. De toute manière, il était grand temps de jeter le point final à cette histoire, l’humanité allait bientôt disparaître dans la folie des temps.

Anachroniquement leur.


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