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doublure désespérément.
Le
Bon Saint Nicolas, un jour se trouva fort las, d’être réclamé en
tous lieux pour récompenser les enfants sages. Le brave homme avait
hérité d’une réputation flatteuse, qui, il faut l’avouer le
dépassait quelque peu. Non seulement, elle était le fruit d’une
méprise entre trois capitaines sur un navire sauvé de la tempête
et trois gamins prisonniers d’un saloir, mais qui plus est, la
fausse nouvelle avait séduit tant et si bien qu’elle s’imposa à
lui comme une vérité première.
Les
saints tout comme les humains ne sont pas à l’abri des artifices
qu’impose la rumeur, cette incontrôlable propension des humains à
raconter n’importe quoi ; j’en sais quelque chose ! Nicolas donc
fut sollicité pour distribuer chocolats et friandises aux enfants du
nord de la France. Un travail à plein temps pour un vieillard qui
depuis longtemps aspirait à une cessation de son activité. Mais il
n’est pas question d’aborder ce sujet au Paradis ; Saint Pierre
tout comme le Patron sont totalement hermétiques à toute idée de
retraite fut elle à point ou par capitalisation des indulgences.
Nicolas
devait donc oublier ses douleurs, rhumatismes et autres tourments que
son grand âge lui faisait subir. Le bonhomme devait faire bonne
figure, sourire en dépit de son état de santé dégradé. Il se
vêtit de plus en plus chaudement au risque de paraître ridicule
avec cette grande pelisse fourrée. Il s’en moquait, l'essentiel
pour lui était de ne pas prendre froid d’autant qu’on lui avait
assigné une période d’activité à l’approche de l’hiver.
De
partout pourtant émanaient de drôles de réclamations. Les parents
étaient de plus en plus mécontents de leurs rejetons. L’éducation
battait de l’aile ce qui en toute logique transformait les
chérubins plus aisément en mauvais diables qu’en petits anges.
Les offrandes n’étaient plus de mise, la remontrance s’imposait.
Les parents, toujours prompts à se défausser des tâches ingrates,
comptaient désormais sur Nicolas pour donner la fessée ou bien le
juste châtiment.
Le
Saint homme se refusait à ternir son image qu’il avait peaufinée
au fil des siècles avec une merveilleuse science de la
communication. Il n’était pas question pour lui de mettre à mal
tout ce laborieux parcours parce que les enfants avaient pris le
pouvoir dans les familles. S’il acceptait volontiers de ne plus
leur offrir des cadeaux immérités, il n’était pas question pour
lui, en revanche de lever la main sur eux.
Il
eut recours pour satisfaire la demande à une agence d’intérim. La
chose n’est pas nouvelle, le patron lui-même avait utilisé ce
procédé pour trouver douze acolytes dont l’un ne se montra, il
faut bien l’admettre aujourd’hui, guère reconnaissant. Il reçut
des candidats tous plus hideux les uns que les autres, ils avaient la
gueule de l’emploi et ne rechignaient pas à se salir les mains.
Curieusement
se furent des lutins et des gnomes qui les premiers frappèrent à sa
porte. Il est vrai que même dans ce domaine, les gens de petite
taille éprouvent d’énormes difficultés à trouver un emploi en
dépit de qualifications certaines. Deux retinrent son attention, un
travailleur germanique : un certain Kobold dont la réputation
n’était plus à faire et un personnage du pays, un Gobelin bien
plus patelin.
Nicolas
penchait pour la préférence nationale. Personne n’avait osé lui
souffler combien cette option était ridicule lui qui venait d’Asie
Mineure. Il n’est jamais aisé de contrarier un saint homme fut il
vénérable et bienveillant. Le Kobold dut se résoudre à ne pas
faire la maille, c’est d’ailleurs assez heureux tant il était
hideux.
Le
Gobelin se frottait les mains qu’il avait noueuses et couvertes de
pustules, verrues et autres plaies purulentes qui allaient donner à
ses claques une remarquable dimension tragique de nature à pousser
la jeunesse à plus de modération. C’est du moins ce qu’escomptait
Nicolas. Le couple se mit en demeure de célébrer leur premier 6
décembre commun. Cette année-là, il y eut plus de pleurs que de
cris de joie…
La
nouvelle se répandit bien vite parmi les gamins de tout le pays. Ils
se réunirent en grande assemblée pour trouver parade à cette
riposte des adultes qu’ils jugèrent unanimement fourbe et
disproportionnée. Nul ne songea que mettre un peu d’eau dans leur
vin eut été préférable, le tyran domestique ne mange pas de ce
pain-là.
Après
bien des réflexions, les mauvais drôles se mirent d’accord sur
une stratégie en tout point remarquable. Ils fondèrent leur riposte
sur la taille du Gobelin, s’indignant de l’exploitation d’une
personne en situation de handicap par un exploiteur indigne.
L’opinion publique fut retournée d’autant qu’une campagne
véhémente fut menée sur les réseaux sociaux. Nicolas dut
congédier le Gobelin qui allait trouver un emploi plus pénible
encore dans une filature lyonnaise.
Retenant
la leçon, le personnage de légende fit appel à un homme d’une
taille dans la norme. Son offre d’emploi fut une fois encore
sujette à procédure. Il y avait double discrimination. D’une
part, une femme aurait parfaitement pu faire l’affaire et il
n’était pas recevable d’imposer un critère de type physique. Il
dut revoir son annonce et en dépit des revendications féministes,
il choisit le père fouettard pour associé.
Leur
collaboration tourna au fiasco. Le pauvre Fouettard se trouva accusé
de pédophilie. Il est vrai que la fessée n’avait plus la cote et
était susceptible d’être considérée comme un geste douteux et
déplacé. Même l’évêque de Lyon émit d’extrêmes réserves
sur la procédure choisie par Nicolas pour flageller les chenapans.
Fouettard
se retrouva au violon, victime de l'opprobre générale. Seul un
cinéaste polonais envisagea un temps de tourner un film pour prendre
sa défense. Le projet ne fut pas mené à son terme faute de
financements. Pour Nicolas, cette nouvelle contrariété le poussa à
passer la main. Il se dit que c’est lui qui avait besoin d’une
doublure.
Il
confia sa petite entreprise à un certain Noël, un bonhomme qui
accepta de prendre la suite en s’affublant des mêmes guenilles que
son prédécesseur. L’homme renonça à mettre des conditions pour
assurer la distribution des cadeaux. Les gamins avaient gagné la
bataille, plus besoin d’être sages, polis, respectueux pour
recevoir leur dû.
Le
travail du Père Noël en fut décuplé. Il ne savait plus où donner
de la tête. Ne parvenant pas à tenir la cadence, il se fit aider
par des rennes, des animaux venus d’un territoire menacé par le
réchauffement climatique. Les premières années, le système
fonctionna au-delà de toutes les prévisions puis il se fit un
mouvement d’opinion pointant du doigt l’exploitation des animaux.
Le
brave bonhomme s’arracha les poils de barbe. Il était condamné à
renvoyer les rennes dans leur toundra. Mais pour quel système
alternatif opter ? Le traîneau motorisé s’imposait.
L’énergie fossile ayant de plus en plus mauvaise presse, il eut
peur qu’on lui jetât la pierre. Il fallait satisfaire à la mode
de l’époque.
Conforme
à son époque, le père Noël s’orienta vers le traîneau
électrique. Qu’il dût s’équiper d’un casque troubla un peu
l’iconographie officielle mais ce n’était qu’une petite
concession à la législation. Il se trouva bien en butte aux
militants écologistes qui l’accusèrent d’user d’une énergie
nucléaire sans que cela le trouble vraiment. Il chargea son
traîneau, traça son plan de route grâce à un GPS haute
définition.
Le
jour fatidique arriva, il allait se mettre en ciel pour faire son
grand ouvrage quand il s’aperçut avec effroi que la grève
générale avait bloqué la production d’électricité. Les piles à
plat, le Père Noël se dit que décidément les temps n’étaient
plus propices à son petit travail. Il baissa les bras et laissa
tomber définitivement la belle petite entreprise mise sur pied, il y
a bien longtemps par le brave Saint Nicolas. De toute manière, il
était grand temps de jeter le point final à cette histoire,
l’humanité allait bientôt disparaître dans la folie des temps.
Anachroniquement
leur.
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