En
voiture Simone !
Quand
Marcel prononça cette formule qui allait rester dans les mémoires :
« En voiture Simone ! » la dame ignorait encore tous les
périls qu’elle allait traverser. Le beau Marcel avait sans doute
une idée derrière la tête, elle n’était pas dupe tout autant,
il convient de l’avouer, assez tentée de se laisser griser par ce
charmant garçon.
Depuis
que ce séducteur lui avait joué de l’accordéon à bretelles,
elle savait qu’elle était passée de proie à prochaine amoureuse
de ce diabolique musicien. Mais comment résister à l’appel du
soufflet, à la puissance évocatrice des valses, à la folie des
polkas. Bien qu’elle dansât avec d’autres, qu’elle se laissait
emporter sur le parquet par des cavaliers de substitution, Marcel la
suivait des yeux avec une telle avidité que c’était avec lui
qu’elle chaloupait.
Elle
était envoûtée. Elle l’avait attendu à la fin du bal, sachant
que, en agissant ainsi elle se dévoilait, se donnait implicitement à
l’accordéoniste. C’était désormais lui qui menait le bal, non
plus celui qui venait de se terminer mais bien cette sarabande intime
qui allait les mener jusqu’au bout de la nuit.
Alors
quand elle entendit cette invite, elle savait que se jouait là le
début d’une romance qui pouvait tourner court ou tout au contraire
lui ouvrir les portes du Paradis. Ce qu’elle ignorait alors c’est
dans quel véhicule son cavalier allait la conduire à destination.
Elle pensait que le musicien, connu dans toute la contrée pour ses
prestations appréciées des danseurs, disposerait d’une automobile
confortable. Quel ne fut pas son désappointement quand elle
découvrit une Dyane break toute brinquebalante.
Mais
le cœur a ses raisons que le confort ignore. Quand elle monta à
bord, son destin chavira dans la plus invraisemblable des épopées.
Marcel se montra charmant, lui ouvrit la portière, lui dit un mot
gentil lorsqu’elle s’installa sur le siège. Faisant le tour,
prenant place à côté d’elle, il eut encore une expression de
bienvenue, jouant à cette occasion le maître de cérémonie.
Le
contact mis, le moteur ôta toute possibilité de conversation.
L’absence de direction assistée contraignant même le chauffeur à
garder les deux mains sur le volant tandis que la petite route de
campagne privée de marquage, l’obligeait à une concentration
extrême. Les nids de poule, nombreux sur une voie qui tenait plus du
chemin que d’une chaussée routière succédaient aux dos d’ânes.
Simone en avait le cœur chaviré.
Ajoutons
à ces désagréments, l’odeur de tabac froid associée à celle de
chien mouillé et vous aurez une petite idée de l’inconfort de la
situation. La romance prenait des allures incertaines surtout quand
le pilote, toujours silencieux, s’engagea dans un chemin creux, au
milieu des bois. Elle rêvait d’un lit douillet, elle allait
découvrir l’inconfort des amours à ressort !
La
Dyane s’immobilisa, le contact fut retiré, les lumières
s’éteignirent. L’obscurité était totale. Dans quel coupe gorge
avait-elle été conduite. Elle s’était jetée dans la gueule du
loup, la suite risquait de tourner au fiasco. Adieu ses rêves
d’émotion et de griserie. Cette relation allait être des plus
prosaïques. Pourtant Simone ne se résolut pas à évoquer ses
craintes, elle désirait ne pas décevoir celui qui l’avait séduite
par ses trilles endiablés.
Déchanter
avec un musicien ! La jeune femme imaginait déjà les moqueries de
ses camarades. Toutes l’avaient vue partir au bras de cette vedette
des parquets. Elle se jura quoi qu’il se passe, de ne pas narrer le
fiasco qui lui était promis. « Ma fille, tu l’as voulu, il
va falloir que tu passes à la casserole dans cet habitacle
malcommode. ». Simone se réconfortait comme elle pouvait, pour
se donner un peu de cœur à un ouvrage qui ne s’annonçait pas
sous les meilleurs auspices.
Marcel
serra le frein à main. Il pouvait enfin lui accorder considération
et caresses. Ses doigts : Simone en conserve encore un souvenir
ému ! L’accordéoniste pianotait sur son corps. Elle frissonnait,
elle roucoulait. L’inconfort s’était dissipé, il n’y avait
que ce merveilleux solo tout en délicatesse qui enchantait un duo
qui se découvrait.
Il
y eut encore des baisers langoureux, des enlacements à vous couper
le souffle. Décidément, elle ne s’était pas trompée
d’instrument même si le batteur ne lui avait pas déplu. Elle
avait eu une touche avec Marcel, c’est lui qui venait compléter sa
belle collection tout au creux de sa musette à souvenirs galants.
Marcel
l’invita à passer à l’arrière de sa Dyane, aussi chasseresse
que pêcheresse. La dame allait s’en rendre compte. Il lui fallut
passer par le coffre, le peu de romantisme de ce bref passage dehors
allait immédiatement s'estomper. La belle, tout à son désir
d’aventure, n’avait pas songé à tourner la tête, son Marcel se
chargeait de lui troubler les idées. Elle fut aux anges, le coffre
de la fourgonnette était aménagé, un petit palace pour
conversation intime…
Un
sol matelassé, un espace tout juste à leur taille pour quelques
acrobaties que l’esprit inventif des amants aime à expérimenter.
Une lumière tamisée, rien qui put perturber leurs ébats à
l’exception notable de l’accordéon qui était convié à la
fête. Marcel commença à la dévêtir. Simone, craignant sans doute
pour ses vêtements, lui glissa qu’elle le ferait elle-même,
c’était plus raisonnable comme si la raison avait place dans cette
folie.
Ils
se dénudèrent chacun de leur côté, se contorsionnèrent, se
cognèrent parfois. L’exercice n’est pas aisé, plus mal commode
encore est le rangement des vêtements qui finalement sont abandonnés
au hasard, dans la confusion des sens. Ils étaient enfin nus, à se
découvrir mutuellement. Moment délicat durant lequel le voile de la
pudeur se déchire.
Ils
se couvrirent de baisers. Leurs bouches se firent exploratrices.
Parfois, lors d’un changement de position, l’accordéon, quelque
peu bousculé, laissait entendre un gémissement prémonitoire.
L'excitation en dépit de l’inconfort gagnait les deux partenaires.
La dame se faisait fontaine, l’homme avait brandi son étendard.
L’assaut allait pouvoir commencer.
C’est
ainsi que se mouvant plus brusquement que jusqu’alors, les
amortisseurs émirent une longue plainte lugubre. Marcel en fut un
temps décontenancé, perdant de sa superbe. Simone se remit à
l’ouvrage pour gagner à nouveau sa confiance. La chose ne fut pas
trop compliquée, il est vrai.
Tous
deux étaient disposés à établir une liaison plus intime quand un
inconnu frappa à la vitre. Un garde-chasse tonna à travers le
pare-brise que la propriété était privée, qu’il fallait
déguerpir au plus vite de l’endroit. Marcel descendit la vitre
arrière pour s’excuser et lui promettre de partir dès qu’il
aurait enfilé ses vêtements. Il le fit non sans donner quelques
coups de genoux et de coude à une Simone déconfite et incapable de
la moindre réaction.
Habillé
de guingois, le chauffeur reprit sa place, mit le contact, bien loin
de celui qu’il espérait établir et sortit de la propriété sur
les chapeaux de roues. À l’arrière l’accordéon et Simone
gémissaient de concert, chahutés en tous sens. Simone se retrouva
cul par-dessus tête sans le moindre plaisir.
Arrivé
sur un espace plat en dehors de ce chemin creux, le chauffeur demanda
à Simone quelle conduite adopter. La magie du désir avait tiré sa
révérence. La belle chiffonnée lui demanda de lui laisser le temps
de se rhabiller puis de la conduire chez elle. Il l’entendit
maugréer, tenir des propos indignes d’une jeune fille. Elle fit si
grand ramdam que l’accordéon une fois encore ponctua sa
gesticulation de plaintes dissonantes. Après de longues minutes,
elle revint s’asseoir à sa place en maugréant : « J’ai
perdu une chaussette ! »
Marcel
fut éconduit à tout jamais. Simone se jura de ne plus jamais vivre
un tel cauchemar ni de jamais plus regarder un homme en marcel.
L’amour sur quatre roues n’était pas pour elle même si depuis
le pays tout entier aime à répéter : « En voiture
Simone » pour un oui ou pour un non. C’est à la fin du bal
qu’on paie le musicien, l’accordéoniste ce soir-là ne reçut
pas la monnaie de sa pièce. Il se consola avec un trophée, un
dérisoire souvenir d’un fiasco colossal, une chaussette qui plus
est, trouée.
Ainsi
finissent parfois les amours clandestines. Les passagers ne sont pas
toujours récompensés et il faut bien reconnaître que pour prendre
son pied, la voiture n’est certes pas le meilleur des endroits.
Naufragement
leur.
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