Conte
à couteau tiré.
Il
était une fois une dinde amoureuse d'un chapon. La pauvre demoiselle
avait beau jouer de ses attraits, le fier poulet émasculé ne lui
accordait aucun regard. La dinde en perdait son latin et se pensait
victime d’un étrange maléfice. Elle, à la crête brillante, au
regard de braise et aux formes dodues, comment pouvait-elle se
trouver ignorée de la sorte ?
Elle
confia son dépit amoureux à un bûcheron du voisinage, homme
simple et un peu rustre. La solitude et la rudesse de son métier
avaient fait de lui un grand naïf. Notre forestier, en homme de la
nature ne fut pas surpris qu'une dinde vînt vers lui pour lui
l’interroger. La belle se sentit en confiance car dans l’instant,
le bûcheron s’en prenait à coups de hache à un vénérable
châtaignier. Les gallinacés ne goûtent guère la fréquentation
des marrons en cette période de l'année !
La
conversation entre l'homme des bois et la belle prit un tour aimable.
Nos deux personnages se trouvèrent des points communs, des passions
qu'ils partageaient. La dinde adorait la musique et tout
particulièrement la scie musicale, à laquelle elle s'adonnait en
amatrice. Le bûcheron, touché par ce clin d'œil de l'histoire,
avoua alors qu'il aimait quant à lui, jouer de la cabrette.
La
volaille vit dans cet aveu, l’assurance d’avoir affaire à une
homme simple. Qu’il jouât d’un instrument sans bec n'était pas
pour lui déplaire ; quelle délicatesse de sa part ! De plus il lui
confia qu’il était végétarien, ce qui l’autorisa à poser la
question qui la tourmentait tant : « Comment se fait-il que ce
Chapon ne regarde jamais les dames ? »
Le
bûcheron fut fort ennuyé. Comment expliquer à une dinde le sort
que subissait les chapons au moment des fêtes. Jamais un animal ne
pouvait être en mesure d'imaginer que les humains fussent à ce
point cruels. Priver un être sans défense, de sa virilité, pour
qu’il s'engraisse et vienne garnir la table du réveillon, voilà
qui dépasse la compréhension animale ! Il inventa une fable pour
justifier l'indifférence du castrat.
Ne
sachant par quel bout prendre la chose, il agit par association
d'idées. Auprès de lui, fruit de son labeur, quelques belles bûches
s’entassaient. Il en offrit une à la dame en lui servant une
menterie qui venait de lui passer par l'esprit. « Ma belle
demoiselle, votre chapon est un timide, doublé d'un maladroit qui
n'a pas osé céder à vos avances pour un prétexte terre à terre.
Quand on est de basse-cour, on aime à se percher pour dominer une
dame de sa condition. Cela vaut aussi bien pour les gallinacés que
pour les hommes ... »
La
dinde le crut quoiqu’il terminât sa longue tirade d’un
retentissant rôt. La dame avait mordu à la fable, le bûcheron
s’enhardit à lui servir des fariboles. Le chapon est sujet à
presbytie, ce qui lui impose de prendre de la hauteur pour s'adresser
à ses pairs. Que le chapon fût ainsi qualifié de presbyte, la
demoiselle ne pouvait en rien mesurer l'ironie qui perçait dans ce
propos.
C'est
ainsi qu'elle s'en revint dans sa basse-cour, une bûche sous son
aile, persuadée que ce promontoire lui permettrait d’obtenir ce
qu'elle désirait le plus au monde. Le chapon ne resterait pas de
bois quand elle lui offrirait ce perchoir. C'est le cœur battant
qu'elle rentra en son poulailler où l'attendait de pied ferme une
paysanne armée d'un couteau effilé. La dinde ne vit pas arriver le
coup fatal, elle rendit son dernier soupir !
Elle
fut promptement plumée et ébouillantée, la dame avait le repas de
Noël à préparer. Notre cuisinière aperçut la bûche qui traînait
sur le sol. Se souvenant que c’était la dinde qui portait ce
rondin, elle ne se formalisa pas de l'incongruité de la chose. Bien
au contraire, c'est de cette coïncidence que lui vint l’idée d’un
dessert original pour accompagner la dégustation de la dinde.
Ainsi
explique-t-on cette lointaine tradition de manger, les jours de fête,
une dinde ainsi qu'un gâteau en forme de bûche. Si vous voyez sur
cette pâtisserie, une scie et un nain au visage coloré, c'est en
souvenir du bûcheron qui n'était pas bien grand ! Je ne vous ai
servi que la pure vérité. Il arrive parfois que par des voies
détournées, un chapon finisse par engendrer une belle descendance.
La sienne fut pâtissière. C'est bien la preuve qu'il ne faut
s'étonner de rien. C'est ce qu'on appelle la magie de Noël.
Nativement
vôtre.
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