Légende
de Touraine.
Il se
murmure dans notre belle Touraine que, la nuit de Noël, certaines
bêtes à cornes avaient la faculté de parler. Bœufs, vaches et
taureaux conversaient joyeusement tandis que les hommes se massaient
dans l’église pour célébrer la naissance de l’enfant Jésus.
L’âne devait tenir sa langue : il ne bénéficiait pas de ce
miracle annuel et en était fort meurtri. C’est certainement cette
injustice qui explique ses sautes d’humeur le reste de l’année.
Du
côté des bêtes « aumailles », on se régalait de cette
aubaine : il y avait tant à dire sur le comportement des uns et
des autres dans la ferme, d’autant plus que l’étable dissimulait
souvent des comportements qu’il convenait de ne pas ébruiter. La
vache, contrairement à sa réputation, est bonne dame et a le
pardon facile, ce n’est pas elle qui irait médire de ses fermiers.
C’est le bœuf qui a la langue la plus leste : il a gardé un
chien de sa chienne à ceux qui l’ont privé du bonheur d’être
taureau. C’est de lui qu’il convient de se méfier si on a des
choses à se reprocher.
L’aventure
que je vais nous narrer s’est déroulée un soir de la nativité à
Saint Berdolin sur Loire . Le curé de l’église mettait la
dernière main à sa crèche vivante ; on attendait le dernier
moment pour mettre le personnage principal : le dernier-né de
la commune, de manière qu’il ne prenne pas froid. C’était pour
ce prêtre un moment de grande tension ; son église allait
faire salle comble, ce serait la meilleure recette de l’année. Il
ne devait rien négliger pour que ses ouailles rentrent chez elles ,
heureuses et remplies d’espoir.
Soudain,
le brave curé, le père La Malice, se rendit compte avec stupeur
qu’il avait oublié le bœuf. L’âne du père Gérard était
propre comme un sou neuf ; son maître ne manquait jamais de le
brosser avec application pour honorer la soirée et sa ferme. Mais le
bœuf des Amiront avait « passé » cette année et le
pauvre curé n’avait pas songé à réclamer un remplaçant. Quelle
bourde impardonnable !
Il
était trop tard pour courir la campagne. Les bœufs n’étaient pas
si nombreux qu’autrefois. Il y avait bien celui des Lessage, mais
ceux-là était de drôles de paroissiens, il se pouvait même qu’ils
ne viennent pas à l’office. Décidément, le curé devrait en
rabattre un peu pour aller leur demander ce service. Il n’y a
qu’une messe de minuit par an : l’effort valait la peine et
il n’y avait pas d’autre solution.
La
Malice remonta sa soutane, enfourcha sa bécane et se rendit dans la
ferme des Lessage. Il fut, à sa grande surprise, fort bien
accueilli. Pour mécréants qu’ils fussent, ces gens avaient le
sens de l’hospitalité. Le père s’empressa de déboucher une
bouteille de Bourgueil, le vin préféré de Rabelais. Le curé
remercia ces braves gens et leur expliqua, tout en buvant, sans en
laisser une goutte, ce vin rouge qu’il préférait au vin de messe,
la raison de sa visite.
Le
fermier s’empressa de rassurer le curé. Il allait lui prêter son
bœuf pour la messe car il n’avait pas l’intention de l’atteler
ni cette soirée ni le jour de Noël. Mais hélas, il y avait un
petit souci : l’animal paissait sur la grande île juste
devant le village. Il fallait trouver un passe-cheval : un
bateau spécialisé dans le transport des animaux, pour aller quérir
le brave Pompon.
Le
curé et le fermier se mirent en route pour aller trouver le passeur.
L’homme était déjà en habit du dimanche. Il comprit la gravité
de l’instant et, sans se soucier de se crotter, alla jusqu’à la
cale pour libérer son bateau. Le trio embarqua à la nuit déjà
bien avancée, pour traverser le bras de Loire et accoster à la
pâture à Pompon. Fort heureusement, le passeur connaissait la
rivière mieux que quiconque et la traversée se passa sans encombre.
Pompon,
quant à lui, goûta très modérément d’être ainsi privé du
grand palabre de Noël. Il avait tant à dire ! Une année tout
entière qu’il était contraint de faire silence et on le privait
de ce plaisir unique de dire du mal de tous ceux qui lui avaient
manqué de respect ! Pompon était le préposé au corbillard du
village. Et à maintes reprises, il avait eu à se plaindre de coups
de badines immérités donnés par des bouviers d’occasion
particulièrement indélicats.
Pompon
opina sous la menace et quelques coups de nerf de bœuf généreusement
infligés par monsieur le curé. Le saint homme avait la main leste :
les enfants de chœur en savaient quelque chose. Le fermier, jamais
n’aurait frappé son bœuf, mais il n’osait s’interposer devant
le curé, ce soir-là.
Le
passeur hérita de la colère de l’animal. Il reçut une ruade qui
le propulsa dans une belle bouse qui ne demandait qu’à le
recevoir. Le bel habit du dimanche était souillé. Voilà ce que
c’était que de vouloir rendre service. Il n’y eut cependant pas
d’autres incidents et Pompon prit place dans la crèche vivante. Il
était l’heure de sonner les cloches et de recevoir le petit
chérubin.
Pompon
rongea son frein durant presque toute la messe. Il attendit le
moment-clef de la représentation, quand le curé présente l’hostie
de manière solennelle, pour prendre la parole : « Il en fait
bien des simagrées cette bourrique. Pour l’enfant Jésus, il se
montre d’une grande délicatesse mais pour mon arrière train et la
croupe des enfants de chœur, il en va tout autrement ! »
Pompon
ne songeait pas à mal. Il évoquait simplement les coups de pied que
le curé donnait à sa troupe en aube quand elle était dissipée.
Mais il se trouva dans l’assemblée des gens pour penser à mal et
la messe prit une étrange tournure. Personne d'ailleurs n'imaginait
que cette horreur eût pu être proférée par le bœuf . Déjà des
pères s’étaient dressés et quittaient l’office de manière
ostentatoire tandis que le curé en laissait tomber son ciboire de
dépit.
Les
femmes se signaient, n’osant réagir comme les hommes. Il y avait
encore en ce temps- là un respect absolu pour celui qui portait la
soutane. Mais Pompon, trop heureux de l'aubaine, profita de la
confusion pour glisser une nouvelle saillie : « Et regardez-moi
le père Auguste, il joue bien de sa badine, lui aussi, pendant les
enterrements quand nous allons au champ de naviots ! »
Cette
fois, s’en était trop, Auguste était le bedeau et voilà qu'il
était sali également par ce mystérieux accusateur. Pompon riait
sous cape-pour un bœuf, la chose est jubilatoire- il se prit dans
l’instant pour un taureau furieux au milieu de l'arène. Il
distilla alors deux ou trois choses à ne pas mettre entre toutes les
oreilles. Il avait vu à plusieurs reprises des couples illégitimes
jouer la bête à deux dos dans le secret de son étable : il
ne pouvait garder ces informations pour lui.
L’église
bascula soudainement dans une grande confusion. Les parents du
chérubin se précipitèrent vers leur enfant pour le soustraire à
cette folie. Dans les travées, on s’indignait, on s’apostrophait,
on en vint même à échanger des noms d’oiseaux et des horions. Le
curé était au désespoir : la messe de Noël tournait au
fiasco et, pire que tout, il n’avait pas encore fait la quête. Il
n’y avait d’autre issue que de sonner les cloches et d'annoncer
la fin de la cérémonie.
Le
passeur était rentré chez lui pour se changer. Quand il revint,
l’église était vide. Il n’en croyait pas ses yeux et, plus
incroyable encore, Pompon s’adressa à lui de manière fort
cavalière : « C’est pas tout, passeur, mais vous allez me
ramener immédiatement sur mon île ou je vais rapporter à votre
femme ce que vous faites parfois dans les bosquets ! »
L’homme
ne se le fit pas dire deux fois. Il ramena un Pompon, pressé d’aller
raconter aux autres herbivores du troupeau la belle soirée qu’il
venait de passer. Il n’était pas encore minuit : il avait
assez de temps pour s’octroyer un joli succès. Quant aux Lessage,
ils n’étaient pas venus à la messe en dépit de l’honneur qui
leur était fait. Ils ne surent jamais l'esclandre que Pompon avait
provoqué. Seul le passeur avait compris que le bovin bavard était
la source du scandale mais il se garda bien d’en parler à
quiconque.
Quant
au curé, le père La Malice, il se murmure qu’il a fui sans
laisser d’adresse. La messe de Noël suivante, il n’y eut plus de
crèche vivante à Saint Berdolin sur Loire . Le nouveau curé était
un homme sage et avisé. Il savait la légende des bœufs qui parlent
et se garda bien de tenter à nouveau le Diable. Satan et les bovins
portant pareillement des cornes, voilà un point commun qui mérite
qu’on y accorde attention pour que le troupeau des fidèles soit
bien gardé.
Nativement
sien.
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