Un
voyage ordinaire.
Vous
vous êtes rendus dans un beau coin de France. Vous étiez seul et
votre sens du respect de l’environnement vous a poussé à préférer
le train. Vous ignoriez alors que vous preniez le risque d’un
voyage sans retour, d’une histoire dans laquelle vous vous
retrouveriez prisonnier de l’incurie d’un service public à
l’abandon.
Vous
avez eu l’insigne maladresse de choisir une ville étape qui n’est
pas desservie par l’incontournable fleuron de la fierté
ferroviaire, le TGV, en dehors duquel il n’est désormais plus
possible d’arriver à l’heure. Vous avez encore le désavantage
de vivre dans une ville assez proche de Paris qui, dans l’histoire
ferrée pourtant, fut pionnière dans l’usage de ce moyen de
transport mais qui doit à la femme d’un président de ne plus
figurer sur les magnifiques lignes qui vont à grandes vitesses.
Ainsi,
contraint d’utiliser les fameux TER ou Intercités, vous allez
plonger dans le monde mystérieux de l’opacité et de
l’incertitude. Tout d’abord, le prix de votre billet est une
première surprise. Il y a de tout dans le wagon, on peut même
affirmer que pour une même destination, certains paient une somme
dérisoire tandis que d’autres subissent un racket éhonté. Il
semble que personne ne soit choqué par ce fait qui, à bien y
regarder, avantage surtout ceux qui n’en ont pas vraiment besoin.
C’est là une règle d’or, dans le système libéral que nos
dirigeants mettent sournoisement en place.
Le
prix d’ailleurs n’est pas le même suivant l’heure de votre
départ. Nouvel étonnement qui ne s’appuie sur aucun argument
compréhensible. Les tarifs relèvent de la loterie, de la roue de
l’infortune. Vous comprendrez aisément le sens de la métaphore
quand vous prendrez enfin le train, muni de ce billet, imprimé à
votre domicile pour réduire les coups d’exploitation de l’hydre
ferré.
Vous
êtes mis au parfum d’entrée de jeu. Le Train a quelques minutes
de retard sur l’horaire prévu. Heureusement qu’à l’école, il
y a belle lurette qu’on ne propose plus aux élèves des problèmes
de train qui se croisent, les élèves riraient au nez du pauvre
professeur et malgré l’interdiction, iraient vérifier sur le site
gare en mouvement, les retards conséquents affichés, rendant
caduque la situation initiale.
Puis
votre convoi s’ébranle. Vous croisez les doigts, espérant que le
retard sera compensé par un conducteur sourcilleux de respecter les
engagements. Vous avez d’ailleurs une correspondance qui ne vous
laisse que quelques minutes de marge d’erreur. Deux arrêts plus
loin, tout s’effondre. Vous entendez que la SNCF est contrainte
d’attendre un train qui a plus de trente minutes de retard, afin
d’assurer au mieux les correspondances à venir.
L’argument
évidement ne tient pas la route, bien au contraire. Tel un château
de cartes, la très longue immobilisation de votre train va entraîner
une cascade d’impossibles. Pourquoi bloquer tout le monde pour
seulement quelques passagers ? Le mystère n’est sans doute pas
bien compliqué. Il doit y avoir quelque individu au-dessus du commun
des contribuables ordinaires dans le convoi qu’il faut attendre
au-delà du raisonnable. Un ministre ou bien une canaille de la
sorte, capable de tout plier à son bon désir. Heureusement que les
têtes d’affiche du gouvernement prennent l’avion même pour les
courts trajets.
Vous
repartez sans avoir été informé des conséquences. Vous allez par
vous-même à l’information par la magie d’internet. Vous
découvrez que plus aucun train n’est programmé dans votre gare de
correspondance pour la destination qui est la vôtre. Vous comprenez
que si vous ne trouvez pas une autre solution, vous allez être
abandonné sur un quai désert dans une gare vide.
Vous
continuez à pianoter, à la recherche d’une solution. Vous
découvrez qu’un accident a eu lieu, un camion bloque la ligne sur
laquelle vous roulez, plus loin sur le trajet. Quand le contrôleur
passe, vous l’interrogez. Il exprime son incapacité à vous
renseigner tout en avouant qu’il vient d’apprendre que son convoi
va être détourné. Vous lui en donnez la raison qu’il ignore
naturellement. Quand on gère le transport, on ne s'embarrasse pas de
communiquer.
Plus
tard, le contrôleur revient et vous annonce que le train va être
dévié afin justement de passer dans votre gare de destination. Vous
vous en montrez ravi mais l’autre de s’excuser en précisant
qu’aucun arrêt sera prévu. Cette fois, vous perdez votre calme,
vous lui répliquez qu’à cela ne tienne, vous actionnerez le
signal d’alarme. L’autre blêmit et retourne aux informations qui
tombent du ciel.
Il
finit par revenir pour vous donner la bonne nouvelle. Il y aura bien
un arrêt consenti pour vous. Vous êtes ravi. Le convoi arrive dans
la gare initialement prévue comme étant celle de votre
correspondance. Le sifflet retentit, la train va s’ébranler quand
le chef de convoi arrive jusqu’à vous, essoufflé pour vous
expliquer que la ligne est rouverte, que le détournement n’a plus
lieu et qu’il vous faut descendre …
Vous
lui rétorquez que dans ces conditions vous avez l’intention
d’aller à la prochaine gare pour revenir sur votre ville de
destination par une ligne mieux desservie. Le chez de gare local
vient pour dire que le train n’arrivera pas à temps pour réaliser
ce projet et que soudainement il dispose d’une autre solution pour
vous.
Un
train pour la Capitale, train à réservation, consentira à vous
prendre à son bord pour terminer le voyage. Vous n’avez qu’une
heure d’attente, une broutille comparée à la nuit qui se
présentait à vous. Vous n’avez pas mangé, le temps du voyage
s’est considérablement allongé. La gare est quasiment fermée.
Fort heureusement en face, un restaurant plus interlope que
gastronomique, à première vue, vous tend ses bras. Vous y recevrez
un très bel accueil pour un plat du jour servi dans l’instant.
Vous
finissez votre voyage en arrivant enfin à destination. Il est tard,
votre degré d’exaspération est à son comble. Vous devriez vous
montrer satisfait d’être parvenu à bon port. Quant à penser que
quelqu’un viendra vous expliquer que vous pouvez bénéficier d’une
remise sur ce billet dont le contrat n’a pas été correctement
rempli, n’y escomptez pas.
Vous
n’avez alors qu’une idée en tête, écrire ce récit ordinaire,
ce petit moment que partagent tant d’aventuriers du rail, ceux qui
ont la folie de vouloir voyager sans emprunter le TGV. Mais il est
vrai que nous autres les ruraux, les provinciaux, ceux qui ne sont
pas habitants des grandes métropoles, nous sommes devenus des
citoyens, passagers, administrés de seconde zone. Nous n’avons
rien à dire, tout est fait pour les autres et décidé par des gens
qui vivent dans les mêmes endroits.
Ferroviairement
leur.
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