Le
ton est donné …
Être
reçu comme un chien dans un jeu de quilles n'est pas de nature à
vous mettre en confiance, ni à vous sentir bien dans vos souliers.
La première impression compte beaucoup plus que les suivantes :
elle installe durablement le nouveau venu dans un environnement qui
est nouveau pour lui. Alors, quand la soupe à la grimace est de
sortie, quand le premier mot est cassant ou blessant, vous pouvez
être certain que la suite sera du même acabit.
Imagine-t-on
un restaurateur ne pas chercher à mettre en valeur cette petite mise
en bouche qu'il offre en guise de bienvenue ? Cherchera-t-il, pour
montrer qui est le chef ici, à vous proposer une soupe à la
grimace, une préparation douce amère ou bien fortement épicée ?
Je doute que le convive soit satisfait et qu'il revienne de sitôt
dans l'auberge.
Pour
être bien dans son assiette, il serait souhaitable que lors de la
première visite on mette les petits plats dans les grands pour le
nouvel arrivant. Au lieu de quoi, sans crier gare, un important
arrive, met violemment les pieds dans le plat et c'est tout l'édifice
que s'était bâti le visiteur qui s'écroule. Il perçoit combien sa
venue n'est pas souhaitée ou tout simplement combien elle est
insignifiante aux yeux de ceux qui sont en place.
Il
ne s'attendait certes pas au tapis rouge, à la cérémonie d'accueil
avec concert de louanges et courbettes obséquieuses, mais un petit
sourire eût fait l'affaire, un mot gentil qui donne le ton. Point de
tout ça, la réflexion couperet fait fausse note, le soufflet tombe
et c'est l'impétrant qui le prend sur le coin du nez. C'est qu'il
faut marquer le territoire, démontrer à celui qui arrive, qu'ici,
on ne rigole pas avec le protocole, les usages, les règles et le
règlement. Circulez, il n'y a rien à espérer. Rompez les rangs !
Les
chefs aboient et la caravane passe, tel un rouleau compresseur sur
celui qui s'est aventuré en territoire ennemi. Car il ne peut en
être autrement : il est intrus, corps étranger dont il faut se
méfier, forte tête qu'il faut mater d'entrée. Suspect, le nouveau
l'est forcément dans les lieux de grande importance. C'est à lui de
marcher sur des œufs et surtout de ne pas commettre d'impairs. Le
seul problème c'est qu'il ignore tout des usages de l'endroit et
qu'il va se faire taper sur les doigts à la première incartade.
C'est
ce qui ne manque jamais d'arriver et c'est alors la curée,
l'hallali, les mots qui tuent ou bien la
réflexion qui blesse si profondément qu'elle ne s'effacera pas.
Pourquoi diable fallait-il agir ainsi ? Qui était visé réellement
dans cette monstrueuse mise en scène de l'autorité. Celui qui
arrive ou bien l'autre qui s'en va et que l'on voit partir avec
soulagement ?
Qu'importe,
c'est avant tout le rejet de la différence : celle de ceux qui
ne sont pas de la maison, qui ne disposent pas du même statut.
Coupables par principe, désagréables par obligation, fautifs par
habitude, aucune circonstance atténuante ne viendra adoucir le
jugement initial. Il est gravé dans le marbre ; il sera ainsi
servi à tous les nouveaux arrivants.
L'intronisation
est donc ici un jeu de massacre. Les chiens doivent plier le museau,
baisser la tête et ranger leurs prétentions. Ils ne seront jamais
des membres de la communauté, ils resteront ce corps étranger,
greffé par obligation et qu'on accepte de mauvais gré. Les quilles
tombent une à une, le coup a porté : c'est un joli jeu de
massacre sans simulacre. Il n'est pas nécessaire de faire semblant ;
les gros yeux et la grosse voix sont donc indispensables pour
recevoir celui qu'il faut dresser.
J'assiste
impuissant à cette mascarade ; je me sens tout aussi humilié
que la victime. Je me souviens avoir tenu, il y a quelque temps, son
rôle. Rien n'a changé si ce ne sont les acteurs de la farce. La
même impression de malaise, la même certitude que les cartes sont
d'ores et déjà faussées, qu'il y a mauvaise donne et qu'il faudra,
une fois encore, piocher dans un autre chien.
Ne
faudrait-il pas changer la manière de recevoir ? Ce serait sans
doute préférable à toutes ces souffrances, passées et
certainement à venir. Je m'interroge et ne sais que répondre. J'ai
aboyé puisque j'avais été accueilli comme un chien dans un jeu de
quilles. Je sais maintenant que la relève est assurée. Si tous les
chiens du monde pouvaient se donner la patte, en irait-il peut-être
autrement !
Un
dernier coup de gueule, un vilain coup de patte, je file, la queue
basse entre les jambes, bien heureux d'aller à rebours de l'endroit.
Au pays des hyènes, les chiens sont mal reçus.
Aimablement
sien.`
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire