mardi 3 décembre 2019

Bebros en gaulois


Une autre histoire du Castor



Voilà un animal qui a bonne presse. On peut penser à le voir ainsi photographié et traqué sous toutes les coutures qu’il a la dent longue. Que nenni, si elle est dure au point que la NASA songea en son temps à les utiliser pour fabriquer des outils spatiaux, notre ami Bebros est un être qui aime la discrétion. Il sait par expérience qu’il doit se méfier de la mode et du succès.

Ainsi quand Charles VII se mit à porter des toques en fourrure avec une queue plate flottant au vent, les nobles et les gens importants voulurent imiter le Roi et la traque des pauvres castors s'intensifia. De quoi avoir une sacrée migraine devant tant de soucis. C’est là-encore que notre ami se découvrit un nouvel écueil.

Rongeur invétéré, le Castor aime tout particulièrement l’écorce du saule. Comment l’en blâmer lui qui aime à se faire la dent sur ce mets délicieux qui ne fut pas sans incidence pour la vie en bord de Loire. Provoquant ainsi de nombreux rejets, des repousses après son passage, il fut à l’origine de la découverte, de l’exploitation puis de l’industrie de l’osier qui prospéra par chez nous.

Mais s’il mit la main des ligériens au panier, il leur fit comprendre également qu’il était capable de synthétiser une curieuse substance qui venait de cet arbre et qui avait un pouvoir miraculeux. L’acide acétylsalicylique que vous connaissez par l’intermédiaire de son dérivée Aspirine, fut un coup fatal pour l’animal.

La traque, le pillage s'intensifièrent. L'appât du gain chez l’humain n’a pas de limite, Bebros allait être rayé de la Loire sans autre forme de procès. Il ne put même pas se réfugier sur les bords du Beuvron (rivière à Castor en Celte). Partout, sa tête, sa queue, sa peau et son Castoréum étaient mis à prix. Brigitte Bardot n’étant pas encore née en cette lointaine époque, il disparut corps et biens.

Aucun promoteur ne songea alors à investir ses huttes et ses cabanes. C’était un temps durant lequel la Loire avait mauvaise presse, les ligériens après une série d'inondations catastrophiques et la disparition de la marine de Loire, s’étaient détournés de la rivière. Le territoire de Castor demeura ainsi totalement inoccupé jusqu’à ce qu’un lointain cousin venu d’Amérique ne vienne saper les fondations de nos levées.

La ragondin fit son entrée en scène tout autant qu’en Loire. Si son pelage pouvait faire illusion, sa queue trahissait un étonnant manque de panache. L’animal proliféra et réussit à faire son trou un peu partout. Il se fit même remarquer des gourmets qui en firent du pâté. C’est sans doute en dégustant ce rongeur aquatique que des amoureux de la faune songèrent à réintroduire le Castor sur nos rives. Les mystères des projets humains sont toujours insondables.

On échappa de fort peu à la catastrophe. Les initiateurs de cette noble idée allèrent chercher au plus simple les bêtes à remettre à l’eau. Walt Disney avait popularisé le Castor Canadien, grand bâtisseur devant l’éternel, travailleur infatigable et spécialiste du génie hydraulique. Avec lui, les grands projets de barrage sur la Loire de monsieur Royer pourraient voir le jour !

On fit venir quelques couples car voyez-vous, si l’on veut croître et se multiplier, il convient d’abord de s’associer en binômes de sexe opposé. L’affaire avait été rondement menée et nos couples pouvaient entrevoir des projets familiaux quand la dramatique expérience de l’écrevisse américaine vint éveiller quelques inquiétudes parmi les esprits les plus éclairés.

Et si le Castor américain n’était pas recommandé sur nos rives ? La remarque était judicieuse, l’animal aurait transformé la Loire en un vaste chantier de construction. On parvint à récupérer les intrus qui s’étaient installés sans même avoir réclamé un visa. Ils furent remplacés par de bons et loyaux collègues venus d’Europe, des moins travailleurs pour permettre à tous de couler ici des jours heureux.

Ce fut un total succès. Les couples remplirent pleinement leur mission de reproduction. Les petits, à la naissance de la portée suivante étant invités à quitter le domicile familial, le grand mouvement de colonisation de la rivière par nos queues plates débuta. De petits bonds en petits bonds et en dépit des inévitables levées de boucliers à cause des supposés dégâts provoqués par leurs dents dures, les castors conquirent les cœurs ligériens.

Depuis ils font le bonheur des photographes, des promeneurs du soir, des mariniers silencieux, de tous ceux qui se donnent la peine d’aller les observer et les admirer au couchant ou même en pleine nuit. Prenez bien garde à les respecter sinon il pourrait vous en coûter. J’ai vu un importun, un triste personnage faisant grand bruit avec son appareil photographique et ses commentaires déplacés, se voir copieusement arrosé par un magistral coup de queue dans l’eau administré par un compère Castor excédé. Ce gêneur s’en retourna la queue basse et la mine déconfite tandis que Castor plongea pour oublier l’intrus ...



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