Une
autre histoire du Castor
Voilà
un animal qui a bonne presse. On peut penser à le voir ainsi
photographié et traqué sous toutes les coutures qu’il a la dent
longue. Que nenni, si elle est dure au point que la NASA songea en
son temps à les utiliser pour fabriquer des outils spatiaux, notre
ami Bebros est un être qui aime la discrétion. Il sait par
expérience qu’il doit se méfier de la mode et du succès.
Ainsi
quand Charles VII se mit à porter des toques en fourrure avec une
queue plate flottant au vent, les nobles et les gens importants
voulurent imiter le Roi et la traque des pauvres castors
s'intensifia. De quoi avoir une sacrée migraine devant tant de
soucis. C’est là-encore que notre ami se découvrit un nouvel
écueil.
Rongeur
invétéré, le Castor aime tout particulièrement l’écorce du
saule. Comment l’en blâmer lui qui aime à se faire la dent sur ce
mets délicieux qui ne fut pas sans incidence pour la vie en bord de
Loire. Provoquant ainsi de nombreux rejets, des repousses après son
passage, il fut à l’origine de la découverte, de l’exploitation
puis de l’industrie de l’osier qui prospéra par chez nous.
Mais
s’il mit la main des ligériens au panier, il leur fit comprendre
également qu’il était capable de synthétiser une curieuse
substance qui venait de cet arbre et qui avait un pouvoir miraculeux.
L’acide acétylsalicylique que vous connaissez par l’intermédiaire
de son dérivée Aspirine, fut un coup fatal pour l’animal.
La
traque, le pillage s'intensifièrent. L'appât du gain chez l’humain
n’a pas de limite, Bebros allait être rayé de la Loire sans autre
forme de procès. Il ne put même pas se réfugier sur les bords du
Beuvron (rivière à Castor en Celte). Partout, sa tête, sa queue,
sa peau et son Castoréum étaient mis à prix. Brigitte Bardot
n’étant pas encore née en cette lointaine époque, il disparut
corps et biens.
Aucun
promoteur ne songea alors à investir ses huttes et ses cabanes.
C’était un temps durant lequel la Loire avait mauvaise presse, les
ligériens après une série d'inondations catastrophiques et la
disparition de la marine de Loire, s’étaient détournés de la
rivière. Le territoire de Castor demeura ainsi totalement inoccupé
jusqu’à ce qu’un lointain cousin venu d’Amérique ne vienne
saper les fondations de nos levées.
La
ragondin fit son entrée en scène tout autant qu’en Loire. Si son
pelage pouvait faire illusion, sa queue trahissait un étonnant
manque de panache. L’animal proliféra et réussit à faire son
trou un peu partout. Il se fit même remarquer des gourmets qui en
firent du pâté. C’est sans doute en dégustant ce rongeur
aquatique que des amoureux de la faune songèrent à réintroduire le
Castor sur nos rives. Les mystères des projets humains sont
toujours insondables.
On
échappa de fort peu à la catastrophe. Les initiateurs de cette
noble idée allèrent chercher au plus simple les bêtes à remettre
à l’eau. Walt Disney avait popularisé le Castor Canadien, grand
bâtisseur devant l’éternel, travailleur infatigable et
spécialiste du génie hydraulique. Avec lui, les grands projets de
barrage sur la Loire de monsieur Royer pourraient voir le jour !
On
fit venir quelques couples car voyez-vous, si l’on veut croître et
se multiplier, il convient d’abord de s’associer en binômes de
sexe opposé. L’affaire avait été rondement menée et nos couples
pouvaient entrevoir des projets familiaux quand la dramatique
expérience de l’écrevisse américaine vint éveiller quelques
inquiétudes parmi les esprits les plus éclairés.
Et
si le Castor américain n’était pas recommandé sur nos rives ? La
remarque était judicieuse, l’animal aurait transformé la Loire en
un vaste chantier de construction. On parvint à récupérer les
intrus qui s’étaient installés sans même avoir réclamé un
visa. Ils furent remplacés par de bons et loyaux collègues venus
d’Europe, des moins travailleurs pour permettre à tous de couler
ici des jours heureux.
Ce
fut un total succès. Les couples remplirent pleinement leur mission
de reproduction. Les petits, à la naissance de la portée suivante
étant invités à quitter le domicile familial, le grand mouvement
de colonisation de la rivière par nos queues plates débuta. De
petits bonds en petits bonds et en dépit des inévitables levées de
boucliers à cause des supposés dégâts provoqués par leurs dents
dures, les castors conquirent les cœurs ligériens.
Depuis
ils font le bonheur des photographes, des promeneurs du soir, des
mariniers silencieux, de tous ceux qui se donnent la peine d’aller
les observer et les admirer au couchant ou même en pleine nuit.
Prenez bien garde à les respecter sinon il pourrait vous en coûter.
J’ai vu un importun, un triste personnage faisant grand bruit avec
son appareil photographique et ses commentaires déplacés, se voir
copieusement arrosé par un magistral coup de queue dans l’eau
administré par un compère Castor excédé. Ce gêneur s’en
retourna la queue basse et la mine déconfite tandis que Castor
plongea pour oublier l’intrus ...
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