lundi 2 juillet 2018

L'herbier du tendre …


Le petit fleuriste de l'amour.



Il était une fois un ami de la Grenouille, ce parfumeur légendaire qui aimait séduire. Lui, il était fleuriste et avait la même passion pour la chair fraîche, pour les tendres et belles demoiselles. Il les aimait intactes, sans la moindre flétrissure. Il les séduisait, n'usait jamais de ruse ni de violence vis-à-vis de celles qui allaient finir par succomber pour devenir une nouvelle conquête et disparaître, la chose faite, de son existence.

Il s'appelait Florent, avait l'art consommé de dire des mots d'amour, de caresser les jouvencelles par des bouquets de phrases, des compliments aimables et troublants. Il n'avait qu'un désir, une ambition secrète et quelque peu déplacée : il voulait être le premier, celui qui prenait leur fleur ; un souvenir qui resterait à jamais dans l'esprit de celles qu'il ne reverrait plus.

Car tel était le travers du garçon : sa quête satisfaite, il se désintéressait de la pauvrette. Il était chasseur, il faisait la cour pour alimenter sa collection ; son petit herbier du tendre ! Il se faisait prédateur bienveillant, collectionneur fétichiste, fleuriste symbolique puis s'en allait alors sur la pointe des pieds,à la belle, alanguie et devenue femme, il laissait, en échange de son forfait, une fleur pour remplacer celle qu'il lui avait dérobée et conservait d'elle quelques poils pubiens dans son herbier intime.

Florent était un poète ; il avait son propre langage fleuri. Chaque jeune fille héritait d'une plante en rapport avec la manière dont s'était déroulé le défleurement . Ne riez pas : nulle intention mesquine dans ce geste. Simplement l'envie de transmettre un message, de résumer par ce cadeau odorant, le souvenir d'une longue traque, d'une patiente approche.

Les péronnelles n'avaient pas à regretter leur faiblesse. Elles avaient eu un amant attentionné, un preux chevalier qui leur octroyait mille et une caresses dont il avait un savoir-faire consommé. Il les respectait, les rassurait, les entourait de tendresse et de douceur. Mais jamais il ne revenait : c'était un amour sans retour, un départ pour toujours.

Florent se souvenait de chacune d'elles avec quelques notes glissées sur son curieux carnet, son trophée et le nom d'une fleur laissée sur la table de chevet de la belle endormie. C'est cet herbier mystérieux qui m'est tombé dans les mains ; je n'avais pas compris le sens de ces messages énigmatiques, de ces notes parfois un peu osées et de ces filaments étranges et multicolores. Puis, au fil de ma lecture, je compris que j'étais devant les mémoires d'un Don Juan herboriste, d'un poète de l'hymen.

Florent évoqua d'abord cette tigresse qui lui avait laissé de belles traces sur le dos. La pâmoison de la diablesse s'était accompagnée de quelques coups de griffes dont il garda longtemps les stigmates. Il partit en lui offrant une rose, rouge naturellement, car le sang avait perlé sur son dos. Puis il y eut cette jeune fille naïve qui n'avait guère résisté. Son siège avait été si rapide ; elle s'était donnée en toute confiance, trop crédule sans doute pour imaginer qu'elle serait abandonnée, une fois sa fleur perdue. Il lui offrit une petite fleur bleue avec un sourire ému.

Il y eut encore cette femme qui inonda sa couche. Florent découvrit, lui aussi ,qu'il existait des réactions exubérantes dans la nature féminine. Il s'abreuva à cette merveilleuse fontaine, se délecta de ses marques humides d'affection et de plaisir. Il lui laissa une fleur de nénuphar ; on sentait dans ses notes intimes un plaisir non dissimulé ; Florent avait aimé cette maîtresse.

Dois-je vous l'écrire ? Il eut pour celle-ci un message quelque peu douteux. Jamais il n'avait vu encore un petit écrin des plaisirs féminins aussi sensible, aussi érectile. Il lui offrit des frissons sans équivalent, des abandons puissants et des tremblements incroyables. Il était maître des délices ; il se délecta de ces plaisirs merveilleux. Il lui octroya une orchidée.

Il y eut encore cette demoiselle qui connut, phénomène rare pour une première expérience, ce que les spécialistes appellent la petite mort. Florent manqua certainement de délicatesse et déposa sur sa couche un chrysanthème. Il fut encore quelque peu goujat avec celle-ci dont il avait trouvé les humeurs rétives, le propos acerbe. Elle récolta un chardon qui était peu aimable.

Je vous laisse deviner à votre tour ce que furent les amours de celle qui repartit avec un coquelicot ou bien de cette autre qui hérita d'une pensée. Il y eut encore cette charmante demoiselle qui reçut des lys : elle avait le port d'une reine. À l'opposé, cette pauvrette eut droit à des gueules de loup, nous ne saurons jamais pourquoi. Enfin, il y eut cette beauté sublime, une Bretonne impétueuse comme les côtes de son pays à qui il donna une fleur d'ajonc tandis qu'une fille de Loire , une jeune bergère, reçut une fleur de vinaigre.

Florent aurait pu continuer ainsi très longtemps. Le langage des fleurs est si étendu, son imagination si riche. Cependant, le fleuriste reconnut un jour sa défaite : il avait trouvé sa princesse, sa prêtresse de l'amour. Il la couvrit d'un bouquet énorme, odorant et multicolore. Il désirait lui signifier ainsi son désir de la revoir. Elle l'avait conquis, il la voulait pour femme …

La belle vengea sans doute toutes celles qui l'avaient précédée. Elle tressa une couronne de toutes les fleurs qu'elle avait reçues en cadeau, broda sur une belle étoffe le prénom de Florent et laissa sur sa couche ce message sans équivoque. Florent ne s'en remit jamais : il renonça à l'amour et se fit moine. C'est à lui que l'on doit la liqueur Chartreuse. Son amour des fleurs avait trouvé un exutoire ! Nous étions en 1604 non loin du jardin du Luxembourg que fréquentent aujourd'hui encore, les amoureux de la Capitale.

Floralement vôtre.

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