dimanche 15 juillet 2018

Le canal et le Duc d'Orléans.



En eaux troubles …



Né sous une étoile incertaine, le canal d'Orléans semblait être la chasse gardée du duc éponyme. Il allait connaître bien des déboires lors de la période la plus trouble de l'histoire de France. Il y avait de quoi perdre la tête ; ce qui ne manqua pas d'arriver à quelques protagonistes de l'affaire. Essayons tant bien que mal de démêler cet incroyable écheveau …

Si en 1689 la partie du canal qui allait de Grignon - là où une belle va prochainement se jeter à l’eau pour réactiver cette histoire - à la Loire jusqu'à Combleux – la perle de l’orléanais- avait été convenablement achevée, il fallait refaire bien des ouvrages du canal de Mahieu. Ce fut encore la justice qui s'essaya à clarifier des problèmes de propriété et de responsabilité d'une remarquable opacité. Le Duc finit par plonger dans sa cassette, à contre-cœur, on peut s'en douter.

Les administrateurs du moment, les sieurs Lambert et Richemond finirent par obtenir gain de cause et le canal put enfin relier la Loire à la Seine par le Loing en 1692, au prix de vingt années de coups fourrés et de procédures complexes. Cependant, le Duc restait dans l'affaire ce qui la maintenait dans les eaux troubles de l'abus de pouvoir, d'autant qu'il devint Régent de France …

Sa nouvelle position ne fit qu'accroître ses prétentions et sa gourmandise. On ne peut se refaire ! Le canal d'Orléans était, à n'en point douter, une affaire remarquablement rentable, juteuse si l'on peut juger ainsi cette voie vineuse. Le bon Duc mit en place un receveur général pour engranger les bénéfices et six receveurs particuliers qui maillèrent le trajet à Combleux, Pont aux Moines, Fay aux Loges, Grignon, Buges et Cepoy. Difficile d'échapper à la coupe réglée de ce bon Prince. Il n'y a pas que les petits ruisseaux qui font les rivières de diamants !



Si le vin ne faisait que transiter, c'est le trafic de bois et de charbon qui suscita bien des convoitises locales. Les maraudeurs et les coquins aimaient à visiter les nombreux dépôts installés le long du parcours. Le Duc n'était pas partageur, c'était bien le moindre de ses défauts. Il créa la fonction de garde des ports, des eaux et des pêches pour veiller sur ses biens. Des gardes furent nommés à Combleux, au Gué Girault, à Vitry aux Loges, à Combreux, à Grignon et à Chailles.

Pour asseoir encore plus son autorité, le Duc obtint, pourquoi s'en gêner, le pouvoir de justice sur son canal. Un état dans l'état avec la mainmise sur toutes les dimensions prévalant à la gestion et à la régulation d'une affaire qui était une source formidable de revenus. En 1788, le canal dégagea 546 248 livres de bénéfice, ce qui n'empêcha nullement ce Prince dispendieux d'être en faillite. Le canal fut saisi par les nombreux créanciers de ce bon Philippe- Égalité, qui avait le don sans pareil de se mettre tout le monde à dos.

La Terreur trancha dans le vif et, en avril 1793, pendant que des têtes tombaient dans le panier d'osier, le canal allait dans l'escarcelle de l'Etat qui, ne sachant trop quoi en faire, le confia à des gestionnaires peu motivés par la tâche. Bien vite, le canal tomba à l'abandon : roseaux et vase prenant le dessus et les travaux d'entretien étant sans cesse repoussés à des temps meilleurs.

C'est sous le Directoire que notre pauvre canal retrouva un peu d'ordre. La gabegie n'avait que trop duré ; Paris avait grand besoin de cette voie d'eau vitale. Un système d'affermage fut mis en place. Hélas, cette procédure faisait bien mieux la fortune de celui qui en avait la charge que celle d'un canal qui avait toujours mauvaise mine.



L'Empereur allait le remettre à flot en 1807 en créant une Régie des actionnaires sous la houlette de l'administration des Ponts et Chaussées. Notre homme , pour ses grands desseins guerriers ,avait besoin de voies de transport sûres et efficaces. Tout allait pour le mieux jusqu'à ce que les héritiers de Philippe -Égalité repointent le vilain bout de leur nez. Le vent de l'histoire avait tourné et les exilés pouvaient revenir au bercail!

Les Bourbons, revenus en grâce, les Orléans récupérèrent leurs biens le 5 décembre 1814. Il y avait urgence pour sauver le canal, ce que sentit Louis XVIII, qui en dépit de l'esprit de famille et de caste, confia les intérêts du canal à une compagnie dont ses enfants, étaient, par un malencontreux concours de circonstances, les principaux actionnaires. Comme c'est ballot !

Fort heureusement Louis-Napoléon mit fin à la grivèlerie des Bourbons-Orléans en renvoyant tout ce joli monde dans les cordes. Le Tribunal de la Seine lui donna un petit coup de main et le canal connut enfin une période faste et sereine. De 1814 à 1860, il fonctionna sous la direction avisée du Comte Hulot d'Orsay. Les hypothèques levées sur sa propriété, il allait enfin tomber dans le domaine de l'état en 1860.


Nous laissons-là ses eaux stagnantes, devenues inutiles aujourd'hui, abandonnées aux algues et aux seuls pêcheurs. Il avait connu bien des troubles ; il allait en connaître d'autres. Nous y reviendrons une autre fois si le cœur vous en dit. La paix n'a jamais niché sur ce pauvre canal.


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