Il
en connaît un rayon.
Il
était une fois, il y a bien longtemps de cela, un étrange jeune
homme qui allait sur la Loire. Il avait pour métier de faire
traverser les gens d'une rive à l'autre en un lieu où le pont
venait à manquer. C'était un passeur comme on disait alors, joli
mot pour une activité qui parfois s'avérait périlleuse. La ligne
droite n'est pas, sur notre rivière, la plus sûre manière de
parvenir à ses fins. Mais là n'était pas le problème de ce garçon
et plus encore de ses clients.
Grian,
puisque tel était son surnom, avait une bien curieuse manière de
pratiquer son métier. Il avait pour principe de ne jamais aller sur
notre Loire quand le soleil n'était pas du voyage. C'était même
une condition incontournable, il n'acceptait de naviguer qu'en
présence de l'astre solaire. Si vous aviez fait la traversée alors
qu'il brillait et que, quelques heures plus tard, les nuages
obscurcissaient le ciel, Grian ne voulait rien savoir et vous
laissait en plan sur la mauvaise rive.
Les
gens s'étaient faits une raison. Les habitants des deux rives
voisines en avaient pris leur partie. Chacun avait maison de l'autre
côté où attendre le retour du soleil. Cette particularité avait,
il faut l'avouer, favorisé bien des rencontres et même quelques
liaisons secrètes. Le bruit circulait que beaucoup y trouvaient leur
bonheur et profitaient parfois d'un bref rayon de soleil pour
traverser sans autre motif que de découcher avec une bonne excuse …
Les
gens sont médisants et les conteurs aiment à forcer le trait.
Toujours est-il que cette rumeur parvint jusqu'aux oreilles d'un curé
qui avait sur le sujet un point de vue bien différent de celui de
ses ouailles. Il voulut faire entendre raison à ce Grian en
question, d'autant qu'il ne connaissait pas ce curieux paroissien et
pour cause, le marinier solaire ne fréquentait pas plus les lieux de
culte que les flots sans l'astre céleste.
L'homme
de Dieu profita d'un jour de beau temps pour franchir le pas et notre
Loire. Il avait prévenu ses fidèles qu'il entendait bien se
retrouver en tête à tête avec ce mécréant et nul n'avait songé
à contrarier cette exigence ecclésiastique. Ce que prêtre veut, il
avait l'habitude de l'obtenir tant en cette époque lointaine les
foudres de l'église et les feux de l'enfer étaient des arguments de
poids. Seul Grian se moquait de tout ça …
Quand
le curé et le marinier se trouvèrent seuls sur le milieu de la
rivière, l'homme d'église se leva au risque de faire basculer la
frêle embarcation. Il toisa du regard cette brebis égarée et lui
tint à peu près ce langage : « Mon fils, j'ai entendu de
curieux propos sur ton compte et je n'ai jamais eu le plaisir de te
recevoir dans mon église. Tu dois avoir la conscience bien plus
noire que ce ciel éclatant. Il serait grand temps que tu viennes
purifier ton âme sitôt rendu sur l'autre rive ! »
Que
dire à de tels propos ? Grian qui était aussi doux que malin,
n'avait nulle intention de se mettre à dos le saint homme. Il savait
son influence sur les gens du pays, le curé était capable de
convaincre ses ouailles de ne plus user de ses services. Il accepta
la demande sacrée, se disant que son métier et la Loire valaient
bien une confesse. Il amarra solidement son bateau et suivit tel un
agneau qu'on allait égorger, le bon pasteur décidé.
Grian
se prit même bien vite au jeu des simagrées et des menteries. Le
confesseur posait des questions auxquelles il répondait sans malice.
Il s'étonnait même que le pauvre homme d'église s'emporta si
souvent, il lui semblait pourtant ne rien dire de mal. Il avouait sa
foi pour le Soleil et son amour exclusif pour la Loire. Quand l'autre
lui parlait de péchés, il se demandait s'il ne se trompait pas de
métier, lui était passeur et rien de plus.
Pourtant
plus la séance durait et plus l'homme en noir se signait et hurlait.
Grian vraiment ne comprenait rien à ce verbiage étrange que lui
tenait un curé écumant et enragé. Le confesseur faillit même
s'étouffer quand le passeur lui avoua que chaque matin, il se
prosternait devant le soleil à son lever et qu'il faisait de même
le soir en son couchant.
Ainsi
donc, telle était la seule foi de ce brave garçon ! Le prêtre
voulait sauver une âme que les feux du soleil brûlaient chaque jour
et que l'enfer guettait aussi certainement que Dieu existe. Il
consentit une absolution du bout des lèvres et exigea que ce pauvre
homme lui récita aussitôt dix « Pater » et autant de
« Je vous salue Marie » en signe de repentance et de
grande contrition ! Que n'avait-il pas demandé là !
Grian
sortit alors de cette étrange petite cabane, tout juste bonne à
servir de tinette. Il demanda au curé ce qu'il entendait par prière
et qui pouvait être ce Pater et cette Marie qu'il évoquait sans
cesse. C'est alors que le pauvre curé vit que ce monstre n'avait pas
retiré son chapeau de marinier et ignorait tout de la liturgie de
notre sainte mère l'église.
« Mon
Dieu, qu'ai-je mérité pour subir pareille épreuve ! »
marmonnait le prêtre. S'emportant et perdant tout contrôle, il
hurla alors : « Ôte-moi immédiatement ce chapeau en la maison
du Christ ! » Grian qui sentait le vieil homme au bord de
l'apoplexie lui répondit alors le plus calmement du monde : «
Restez calme, brave homme. Je n'ôte mon chapeau que lorsque je
m'incline devant le soleil et il peine bien à rentrer dans cette
grande demeure fort mal éclairée ! »
Le
curé faillit en tomber roide. Il se reprit et en une dernière
bravade, il le mit au défi d'accrocher ce couve-chef ridicule à un
des rares rayons de soleil qui pénétrait en ce lieu sanctifié.
Grian ne se fit pas prier, il dit quelques mots magiques, fit de la
main, deux ou trois moulinets mystérieux et accrocha son chapeau
marinier à un rayon de soleil.
Lorsque
le prêtre vit ce grand prodige, il se prosterna ventre contre terre,
déchira sa soutane et sortit de l'église en maudissant tous les
saints de son panthéon. Grian reprit tranquillement son chapeau et
s'en retourna à sa barque et à son soleil …
Depuis
ce jour, le village n'a plus de curé mais a toujours son passeur de
Loire aux pratiques solaires. Les habitants se sont fait une raison.
C'est ainsi qu'il ne faut jamais se mêler des croyances des autres,
la tolérance permet de vivre en bonne intelligence. Il en coûte
parfois à celui ou bien à celle qui veut imposer sa foi aux autres.
C'est la morale de cette fable que vous n'avez nul besoin de croire.
Mais suivez son précepte et vous n'en serez que plus heureux !
Irrationnellement
vôtre.
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