lundi 9 juillet 2018

Marinier des lumières de Loire.


Il en connaît un rayon.



Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, un étrange jeune homme qui allait sur la Loire. Il avait pour métier de faire traverser les gens d'une rive à l'autre en un lieu où le pont venait à manquer. C'était un passeur comme on disait alors, joli mot pour une activité qui parfois s'avérait périlleuse. La ligne droite n'est pas, sur notre rivière, la plus sûre manière de parvenir à ses fins. Mais là n'était pas le problème de ce garçon et plus encore de ses clients.

Grian, puisque tel était son surnom, avait une bien curieuse manière de pratiquer son métier. Il avait pour principe de ne jamais aller sur notre Loire quand le soleil n'était pas du voyage. C'était même une condition incontournable, il n'acceptait de naviguer qu'en présence de l'astre solaire. Si vous aviez fait la traversée alors qu'il brillait et que, quelques heures plus tard, les nuages obscurcissaient le ciel, Grian ne voulait rien savoir et vous laissait en plan sur la mauvaise rive.

Les gens s'étaient faits une raison. Les habitants des deux rives voisines en avaient pris leur partie. Chacun avait maison de l'autre côté où attendre le retour du soleil. Cette particularité avait, il faut l'avouer, favorisé bien des rencontres et même quelques liaisons secrètes. Le bruit circulait que beaucoup y trouvaient leur bonheur et profitaient parfois d'un bref rayon de soleil pour traverser sans autre motif que de découcher avec une bonne excuse …

Les gens sont médisants et les conteurs aiment à forcer le trait. Toujours est-il que cette rumeur parvint jusqu'aux oreilles d'un curé qui avait sur le sujet un point de vue bien différent de celui de ses ouailles. Il voulut faire entendre raison à ce Grian en question, d'autant qu'il ne connaissait pas ce curieux paroissien et pour cause, le marinier solaire ne fréquentait pas plus les lieux de culte que les flots sans l'astre céleste.

L'homme de Dieu profita d'un jour de beau temps pour franchir le pas et notre Loire. Il avait prévenu ses fidèles qu'il entendait bien se retrouver en tête à tête avec ce mécréant et nul n'avait songé à contrarier cette exigence ecclésiastique. Ce que prêtre veut, il avait l'habitude de l'obtenir tant en cette époque lointaine les foudres de l'église et les feux de l'enfer étaient des arguments de poids. Seul Grian se moquait de tout ça …

Quand le curé et le marinier se trouvèrent seuls sur le milieu de la rivière, l'homme d'église se leva au risque de faire basculer la frêle embarcation. Il toisa du regard cette brebis égarée et lui tint à peu près ce langage : «  Mon fils, j'ai entendu de curieux propos sur ton compte et je n'ai jamais eu le plaisir de te recevoir dans mon église. Tu dois avoir la conscience bien plus noire que ce ciel éclatant. Il serait grand temps que tu viennes purifier ton âme sitôt rendu sur l'autre rive ! »

Que dire à de tels propos ? Grian qui était aussi doux que malin, n'avait nulle intention de se mettre à dos le saint homme. Il savait son influence sur les gens du pays, le curé était capable de convaincre ses ouailles de ne plus user de ses services. Il accepta la demande sacrée, se disant que son métier et la Loire valaient bien une confesse. Il amarra solidement son bateau et suivit tel un agneau qu'on allait égorger, le bon pasteur décidé.

Grian se prit même bien vite au jeu des simagrées et des menteries. Le confesseur posait des questions auxquelles il répondait sans malice. Il s'étonnait même que le pauvre homme d'église s'emporta si souvent, il lui semblait pourtant ne rien dire de mal. Il avouait sa foi pour le Soleil et son amour exclusif pour la Loire. Quand l'autre lui parlait de péchés, il se demandait s'il ne se trompait pas de métier, lui était passeur et rien de plus.

Pourtant plus la séance durait et plus l'homme en noir se signait et hurlait. Grian vraiment ne comprenait rien à ce verbiage étrange que lui tenait un curé écumant et enragé. Le confesseur faillit même s'étouffer quand le passeur lui avoua que chaque matin, il se prosternait devant le soleil à son lever et qu'il faisait de même le soir en son couchant.

Ainsi donc, telle était la seule foi de ce brave garçon ! Le prêtre voulait sauver une âme que les feux du soleil brûlaient chaque jour et que l'enfer guettait aussi certainement que Dieu existe. Il consentit une absolution du bout des lèvres et exigea que ce pauvre homme lui récita aussitôt dix « Pater » et autant de « Je vous salue Marie » en signe de repentance et de grande contrition ! Que n'avait-il pas demandé là !

Grian sortit alors de cette étrange petite cabane, tout juste bonne à servir de tinette. Il demanda au curé ce qu'il entendait par prière et qui pouvait être ce Pater et cette Marie qu'il évoquait sans cesse. C'est alors que le pauvre curé vit que ce monstre n'avait pas retiré son chapeau de marinier et ignorait tout de la liturgie de notre sainte mère l'église.

« Mon Dieu, qu'ai-je mérité pour subir pareille épreuve ! » marmonnait le prêtre. S'emportant et perdant tout contrôle, il hurla alors : « Ôte-moi immédiatement ce chapeau en la maison du Christ ! » Grian qui sentait le vieil homme au bord de l'apoplexie lui répondit alors le plus calmement du monde : «  Restez calme, brave homme. Je n'ôte mon chapeau que lorsque je m'incline devant le soleil et il peine bien à rentrer dans cette grande demeure fort mal éclairée ! »

Le curé faillit en tomber roide. Il se reprit et en une dernière bravade, il le mit au défi d'accrocher ce couve-chef ridicule à un des rares rayons de soleil qui pénétrait en ce lieu sanctifié. Grian ne se fit pas prier, il dit quelques mots magiques, fit de la main, deux ou trois moulinets mystérieux et accrocha son chapeau marinier à un rayon de soleil.

Lorsque le prêtre vit ce grand prodige, il se prosterna ventre contre terre, déchira sa soutane et sortit de l'église en maudissant tous les saints de son panthéon. Grian reprit tranquillement son chapeau et s'en retourna à sa barque et à son soleil …

Depuis ce jour, le village n'a plus de curé mais a toujours son passeur de Loire aux pratiques solaires. Les habitants se sont fait une raison. C'est ainsi qu'il ne faut jamais se mêler des croyances des autres, la tolérance permet de vivre en bonne intelligence. Il en coûte parfois à celui ou bien à celle qui veut imposer sa foi aux autres. C'est la morale de cette fable que vous n'avez nul besoin de croire. Mais suivez son précepte et vous n'en serez que plus heureux !

Irrationnellement vôtre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...