En
1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait
de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des
jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à
l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se
remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour,
celui qui fait battre le cœur.
Lucien
était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une
cuillère en argent dans la bouche ou bien un Louis d’or à chaque
anniversaire ; nous connaissons de tels personnages dont il n’est
rien à attendre de bon. Lui, il était d’ humble extraction, de
celle qui vous pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.
Le
hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la
coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande
aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines
du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et
par le roi Louis XIV, qui avaiwwt en ce temps-là grand besoin
d’énergie pour son industrie naissante.
Il
fut suggéré de transporter le précieux minerai par voie d’eau,
la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de
Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible
de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le
problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui
dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse
exigeant un saut périlleux.
Lucien
fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable.
Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours
à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur
cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les
rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il
avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et
affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la
contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les
promoteurs de cette aventure en devenir.
Lucien
supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande
barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné
des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se
porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie,
en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut
d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de
l’accompagner dans l’aventure.
Il
fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et
d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles
et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui
venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les
bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les
confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.
Ces
gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant
rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec
leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu
tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de
tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours
aimé ceux qui défient le destin.
Lucien
tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le
passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la
robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le
spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne
manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à
l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un
baiser.
La
demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de
Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu
l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du
danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable
révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à
chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait
qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.
Elle
se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir.
Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la
légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs
reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était
juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle
s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.
Hélas,
elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment.
Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée
de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée
qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un
violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle
chérissait.
Ce
ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et
élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre
Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les
autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient
inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau
devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots
en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée.
Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.
La
pauvre, folle de douleur, se précipita à Vernay. C’est là,
quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une
longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit
l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se
fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité
qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire
fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de
réconfort qu’elle pouvait leur accorder.
De
ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle,
terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui
pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension,
font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans
honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un
point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si
fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour
des boulets de charbon.
Que
cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de
compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Elle
fut écrite pour les dix ans du Liger Club de Roanne, c’est un
curieux cadeau que voilà. Puissent son président et ses membres en
faire bon usage pour qu’enfin, les gens de cette région,
retrouvent le désir d’aimer la Loire, belle et éternelle en dépit
de tous les tourments et les sacrifices qu’elle a imposés aux
ligériens durant l’histoire.
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